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Ouzbékistan

Le régime Karimov face à une insurrection

Le président ouzbèk Islam Karimov a accentué ces derniers mois la répression contre les milieux religieux(Photo : AFP)
Le président ouzbèk Islam Karimov a accentué ces derniers mois la répression contre les milieux religieux
(Photo : AFP)
La ville d’Andijan, dans l’est de l’Ouzbékistan, était vendredi le théâtre d’une insurrection menée par des opposants au régime du président Islam Karimov qui dirige d’une main de fer depuis 1991 cette république d’Asie centrale. Au moins neuf personnes sont mortes dans ces violences. Plusieurs milliers de manifestants occupaient à la mi-journée la place centrale de la ville en soutien aux insurgés dont les revendications n’étaient toujours pas connues. Le chef de l’Etat s’est immédiatement rendu sur place.

Les affrontements ont débuté dans la nuit de jeudi à vendredi lorsqu’une centaine d’insurgés ont pris d’assaut une prison de haute sécurité et libéré ses quelque 2 000 détenus. Les rebelles avaient auparavant attaqué une garnison militaire, un poste de police et le siège de l’administration locale. Ils ont également pris en otage une vingtaine de personnes présentées comme des tireurs d’élite des forces de sécurité. Selon le responsable d’un centre culturel russe d’Andijan, cité par l’agence russe Ria Novosti, les insurgés se sont emparés d’armes et de munitions ainsi que de trois véhicules blindés qu’ils ont postés dans la ville puis ils se sont retranchés dans l’enceinte de la résidence du gouverneur de la région. Après avoir gardé le silence durant plusieurs heures, la télévision d’Etat a, dans une édition spéciale, finalement confirmé ces informations dans la matinée, précisant que neuf personnes avaient été tuées et trente-quatre autres blessées. A la mi-journée, les rebelles ont publié une déclaration dans laquelle ils demandent notamment aux autorités d’arrêter de tirer sur les habitants d’Andijan. Dans ce document, ils appellent également le président russe Vladimir Poutine à jouer les médiateurs et déclarent compter sur son soutien.

Cette insurrection, dirigée contre le pouvoir autoritaire d’Islam Karimov, semble avoir immédiatement reçu l’appui de la population. Plusieurs milliers de personnes se sont en effet rassemblées à la mi-journée sur la place centrale de la ville d’Andijan, devant le siège de l’administration régionale, pour soutenir les rebelles. La foule, qui manifestait dans le calme, a réclamé «l’amélioration des conditions économiques, la démocratie ainsi que la démission» de l’homme fort de Tachkent, qui s’est rendu immédiatement sur place. Mais alors que les insurgés réclamaient l’ouverture de négociations, les événements ont pris une tournure plus violente en fin d’après-midi. Des soldats à bord d’un camion militaire ont traversé à trois reprises la place centrale où la foule était toujours rassemblée avant de tirer en l’air puis sur les manifestants. Au moins une personne –un jeune homme– est morte au cours de cet assaut tandis que cinq autres ont été blessées. Les tirs des soldats ont provoqué un grand mouvement de panique sur la place centrale d’Andijan poussant la foule à s’enfuir de tous côtés. Les autorités ouzbeks ont immédiatement justifié leur intervention en annonçant que les rebelles, qui retiennent en otage des policiers, avaient rejeté tout compromis lors des pourparlers.

Les tensions couvaient depuis plusieurs semaines

(Carte : DK/RFI)
Le déclenchement de cette insurrection paraissait quasiment inévitable dans la mesure où il semble directement lié à un procès en cours intenté contre vingt-trois chefs d’entreprise d’Andijan accusés d’avoir mené des activités anticonstitutionnelles et d’avoir fondé une cellule du mouvement radical islamiste Hizbi Tahrir. Depuis plusieurs semaines en effet, des milliers de personnes avaient pris l’habitude de se rassembler silencieusement sur la place centrale de la ville. Ces derniers jours, ils étaient près de 3 000, hommes et femmes, à se retrouver quotidiennement sans slogan ni bannière dans ce qui apparaissait déjà comme un geste de défiance sans précédent au régime autoritaire d’Islam Karimov. Jamais en Ouzbékistan de telles manifestations silencieuses n’avaient été organisées. Et si les personnes qui y ont participé ont tenu à préciser qu’elles ne descendaient pas dans la rue pour s’opposer au gouvernement mais pour demander justice, le désaveu est incontestable pour le pouvoir de Tachkent.

La situation en Ouzbékistan, dirigé d’une main de fer depuis son indépendance en 1991 par Islam Karimov, l’ancien président du soviet suprême de cette république d’Asie centrale, n’a cessé de se dégrader ces derniers mois. Les organisations de défense des droits de l’Homme ont récemment multiplié les rapports dénonçant l’usage systématique de la torture contre les opposants au régime et les atteintes à la liberté d’expression, réduite à néant avec la mise sous contrôle de tous les médias. Selon Amnesty International, au moins six mille prisonniers politiques, parmi lesquels des dizaines de femmes, seraient actuellement détenus dans des conditions cruelles et dégradantes.

Depuis la vague d’attentats, qui a frappé le pays en mars 2004 faisant 47 morts, et la série d’attaques suicide dirigée en juillet dernier contre les ambassades américaine et israélienne et le Parquet de Tachkent, qui ont coûté la vie à trois personnes, le pouvoir d’Islam Karimov a considérablement accentué sa répression contre l’opposition et notamment contre les milieux religieux ouzbeks, y compris les plus modérés. Au point où une commission du Congrès américain –Tachkent est pourtant un allié de poids de Washington dans sa guerre contre le terrorisme– a estimé début mai que l’Ouzbékistan ne respectait pas la liberté religieuse. Alors que les deux capitales entretenaient d’excellents rapports après les attentats du 11 septembre, l’Ouzbékistan ayant autorisé les Etats-Unis à installer une base militaire à sa frontière avec l’Afghanistan, leurs relations se sont considérablement refroidies ces derniers mois. L’administration Bush n’a notamment pas hésité à réduire son aide financière pour protester contre les violations massives des droits de l’Homme et les scrutins douteux qui ont permis à Islam Karimov de se maintenir au pouvoir.


par Mounia  Daoudi

Article publié le 13/05/2005 Dernière mise à jour le 14/05/2005 à 19:37 TU

Audio

Sophie Malibeaux

Journaliste à RFI

«Les insurgés ont immédiatement demandé une médiation de Moscou.»

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