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Profanation du Coran : Newsweek se rétracte

Des manifestations contre&nbsp;le magazine américain <EM>Newsweek</EM> se sont multipliées dans le monde musulman.(Photo: AFP)
Des manifestations contre le magazine américain Newsweek se sont multipliées dans le monde musulman.
(Photo: AFP)
Après avoir présenté le week-end dernier ses excuses, sans pour autant désavouer le travail de ses journalistes, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire américain Newsweek a finalement retiré l’article paru le 9 mai dernier sur la profanation présumée d’exemplaires du Coran sur la base de Guantanamo, à l’origine d’un déchaînement de violences sans précédent dans le monde musulman. Le magazine avait cité un haut responsable américain qui est par la suite revenu sur ses propos.Newsweek a toutefois tenu à rappeler que d’autres grands médias avaient, avant lui, fait état de ce type d’accusations sur la foi du témoignage d’anciens prisonniers détenus sur l’île cubaine.

Quinze morts et des centaines de blessés. En publiant dans ses colonnes un petit article affirmant que des soldats américains avaient jeté des exemplaires du Coran dans les toilettes pour faire pression sur certains prisonniers de Guantanamo, Newsweek n’imaginait sans doute pas les répercussions qu’aurait cette information dans un monde musulman où le sentiment anti-américain est en constante progression. D’autant plus que la nouvelle n’était pas vraiment un scoop dans la mesure où les accusations de profanation présumée du livre saint des musulmans dataient de plus d’un an et que d’autres médias s’en étaient fait le relais. Mais il est vrai que pour la première fois l’information n’émanait pas d’anciens détenus. «Nous pensions que notre information valait la peine d’être publiée car un responsable américain affirmait que des enquêteurs en avait trouvé la preuve», a d’ailleurs justifié le rédacteur en chef de Newsweek.  Mais contre toute attente, le mystérieux informateur de l’hebdomadaire est revenu sur ses propos. La direction du magazine a donc été contrainte de faire marche-arrière. «Sur la base de ce que nous connaissons aujourd’hui, nous nous rétractons après la diffusion de notre article selon lequel une enquête militaire interne a mis à jour une profanation du Coran sur la base de Guantanamo», a expliqué un communiqué laconique du magazine.

Mais ce recul de Newsweek n’absout pas pour autant les autorités américaines. Plusieurs anciens détenus britanniques de Guantanamo sont en effet montés au créneau pour étayer l’information publiée par l’hebdomadaire. Aucun de ces prisonniers n’a certes assisté en direct à des profanations d’exemplaires du Coran mais plusieurs ont affirmé que ce genre d’incident avait bien eu lieu. «Le Coran a été profané à  plusieurs reprises et plusieurs grèves de la faim ont été déclenchées à Camp Delta –la prison de la base américaine de Guantanamo– après qu'un garde américain eut jeté un Coran aux toilettes», a ainsi affirmé Jamal al-Harith qui a été libéré en mars 2004. «Quand ils fouillaient les cages, les gardes jetaient parfois le Coran au sol. Durant un interrogatoire un gardien a piétiné le coran et a provoqué les détenus», a-t-il encore affirmé. Dans un communiqué, un autre ancien détenu britannique de Guantanamo, Feroz Abbasi, a également raconté lundi comment des détenus s'étaient fait arracher le Coran des mains par des gardiens les insultant et leur demandant «pourquoi ils se refilaient cette m...» Quant à Moazzam Begg, libéré de Guantanamo le 26 janvier dernier, il a estimé étrange que cette affaire ne sorte qu’aujourd’hui «alors qu'elle a pourtant été rapportée dans le détail il y a longtemps». «Si Newsweek se rétracte, c'est vraiment stupide car  tant de personnes disent la même chose», a-t-il ajouté.

L’image des Etats-Unis fortement ternie

Cette affaire ne pouvait tomber plus mal pour l’administration Bush dont l’image a été déjà fortement ternie par le scandale des sévices infligés aux détenus de la prison d’Abou Ghraïb en Irak. Manifestement surprises et fortement embarrassées par l’ampleur des réactions, les autorités américaines ont multiplié les propos apaisants et les promesses de faire toute la lumière sur ce nouveau scandale. Mais pour de nombreux observateurs, le mal est déjà fait. «Que les allégations soient fausses ou que, par malheur, elles soient vraies, cette affaire fait déjà l’effet d’un coup porté en plein visage pour les efforts de relations publiques américains», a ainsi estimé Steven Cook du Council on Foreign Relations, un centre d’étude new-yorkais. Selon lui, cette affaire «risque de rester un point douloureux entre les Etats-Unis et le monde musulman». Et les récentes tentatives de l’administration Bush de faire porter la responsabilité des violences de ces derniers jours à des extrémistes soucieux de renforcer l’anti-américanisme dans le monde musulman risquent de ne pas porter les fruits escomptés.

Plusieurs personnalités musulmanes afghanes et pakistanaises –les deux pays où les manifestations contre les Etats-Unis ont été les plus violentes– ont d’ores et déjà exprimé leur scepticisme après le mea culpa exprimé par le magazine Newsweek. Le mollah Sadoulla Abou Aman, le chef du groupe des religieux afghans qui ont menacé dimanche de déclencher une guerre sainte contre les Etats-Unis s'ils ne livraient pas dans les trois jours les auteurs de la profanation présumée, a ainsi déclaré lundi: «nous ne nous laisserons pas abuser par cela. L'Amérique cherche à se sauver elle-même. Ce démenti a été publié sous la pression du gouvernement américain. Même un paysan de base illettré comprend cela et ne l'acceptera pas». Au Pakistan, le parti religieux Jamaat-e-Islami, qui a lancé un appel à manifester le 27 mai, a estime que le fait que Newsweek fasse machine arrière ne change rien à l’affaire. «Il n'y a pas que cet article. Tous les innocents libérés par les Etats-Unis ont témoigné qu'il y avait eu profanation du Coran», a souligné un responsable de ce parti d’opposition. Le ministère des Affaires étrangères à Islamabad n’a pas non plus semblé croire au démenti de Newsweek. «Nous avons pris note de la clarification publiée par l’hebdomadaire, selon laquelle l'affaire pourrait être fondées sur des informations erronées», a affirmé un porte-parole du ministère. «Néanmoins, nous avons demandé qu'une enquête approfondie soit menée par l'administration américaine et nous espérons que les résultats de cette enquête officielle seront partagés avec nous», a-t-il ajouté.

Consciente que cette affaire est loin d’être terminée, l’administration américaine a tenté mardi d’obtenir du magazine Newsweek qu’il fasse davantage que se rétracter. «Nous apprécions l'initiative prise hier. C'était un bon premier pas. Ce que nous aimerions voir maintenant est Newsweek aider à réparer les dégâts provoqués, surtout dans la région», a déclaré le porte-parole de la Maison Blanche Scott McClellan. Selon lui, l’hebdomadaire a très certainement les capacités d'aider à corriger ce qui peut être corrigé et peut expliquer clairement pourquoi il s’est trompé. «Newsweek peut aussi parler des politiques et des pratiques suivies par l'armée américaine. Celle-ci traite le Coran avec grand soin et respect», a-t-il suggéré. Les journalistes de l’hebdomadaire américain sauront apprécier.


par Mounia  Daoudi

Article publié le 17/05/2005 Dernière mise à jour le 17/05/2005 à 18:41 TU