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Afghanistan

Un violent sentiment anti-américain s’est emparé du pays

Des étudiants de Jalalabad brûlent un mannequin à l'effigie de George Bush. Les violentes manifestions dans cette ville de l'est du pays ont fait quatre morts et des dizaines de blessés.(Photo : AFP)
Des étudiants de Jalalabad brûlent un mannequin à l'effigie de George Bush. Les violentes manifestions dans cette ville de l'est du pays ont fait quatre morts et des dizaines de blessés.
(Photo : AFP)
Les manifestations anti-américaines se sont multipliées ces derniers jours en Afghanistan après que la rumeur sur des profanations d’exemplaires du Coran dans la base de Guantanamo, où sont détenus sans jugement près de 500 prisonniers islamistes, se soit propagée à travers tout le pays. Au moins sept personnes sont mortes dans ce qui est d’ores et déjà considéré comme le mouvement de protestation contre Washington le plus important depuis la chute du régime des Taliban à la fin de l’année 2001.

Même si le président afghan Hamid Karzaï, en visite en Europe depuis mardi, a tenu à réfuter l’affirmation selon laquelle les récentes manifestations dans son pays reflétaient «un sentiment anti-américain», les faits parlent d’eux même. Drapeaux américains brûlés, défilés aux cris de «Mort à l’Amérique !» et «Mort à George Bush !» en disent en effet long sur ce que pensent les Afghans des Etats-Unis et de la politique menée par l’administration Bush dans leur pays. Cantonnées au début au sud et à l’est de l’Afghanistan, des régions considérées comme le foyer de la rébellion anti-gouvernementale depuis la chute du régime du mollah Omar en décembre 2001, les manifestations se sont très vite propagées à d’autres secteurs et aujourd’hui dix provinces sur les trente-quatre que compte le pays sont le théâtre de rassemblements hostiles aux Etats-Unis.

A l’origine de ces violences, qui ont pour le moment coûté la vie à sept personnes –une centaine d’autres auraient été blessées–, un article publié par l’hebdomadaire américain Newsweek. L’auteur, qui cite un ancien employé de Guantanamo, y affirme que des enquêteurs auraient jeté des exemplaires du Coran dans les toilettes pour irriter certains des quelque 520 prisonniers soupçonnés de terrorisme et détenus sans jugement dans cette base militaire située sur l’île de Cuba. L’information a d’abord provoqué dès dimanche une très vive émotion au Pakistan avant d’embraser l’Afghanistan voisin où depuis mardi les manifestations anti-américaines se multiplient. Le plus violent de ces rassemblements a eu lieu mercredi à Jalalabad où près de 10 000 personnes sont descendues dans la rue pour dénoncer les pratiques supposées des enquêteurs américains. Les manifestants s’en sont notamment pris à des lieux symboliques de la présence occidentale en Afghanistan. Ils ont ainsi endommagé et parfois même incendié des locaux appartenant soit à des agences des Nations unies soit à des organisations non gouvernementales internationales. Les bureaux du gouverneur de la province ainsi que le siège du consulat du Pakistan ont également été attaqués.

Ces violences se sont poursuivies jeudi à Jalalabad où le climat d’insécurité est devenu tel que les ressortissants étrangers résidant dans cette ville ont dû être évacués. Au moins 126 personnes, dont sept Français, ont en effet été transportées par avion vers la capitale Kaboul. Partout dans le pays, des manifestants se sont spontanément réunis pour crier leur colère contre «l’Amérique de Bush» sous l’œil attentif des forces de l’ordre. Mais mis à part le cas de Jalalabad, ces rassemblements se sont tous terminés dans le calme.

Une enquête a été ouverte

Soucieux de désamorcer au plus vite cette crise, les Etats-Unis se sont empressés d’annoncer qu’une enquête avait été ouverte pour faire la lumière sur des allégations jugées «très graves». Le Pentagone a en outre tenu à réaffirmer que l’armée américaine respectait les pratiques religieuses des quelque 520 prisonniers de la base de Guantanamo. «Comme vous le savez, nous accordons une grande considération aux détenus et à leurs pratiques religieuses», a ainsi déclaré mercredi Bryan Whitman, un porte-parole du secrétaire à la Défense. Et d’ajouter : «nous leur servons des repas appropriés, leur accordons la possibilité d'assister à des services religieux et leur fournissons des documents religieux comme le Coran». Selon lui, plusieurs semaines devraient toutefois être nécessaires avant de tirer des conclusions sur cette affaire qui semble embarrasser au plus haut point l’administration Bush. Empêtrée dans le bourbier irakien, la Maison Blanche pouvait jusqu’à présent s’enorgueillir de ses succès apparents en Afghanistan où un début de démocratie semblait s’installer. Mais les violences de ces derniers jours ont surtout mis en lumière les difficultés du pouvoir central à asseoir son autorité dans plusieurs régions du pays qui échappent totalement à son contrôle.

En visite en Europe, le président Hamid Karzaï a d’ailleurs mis le doigt sur le problème. Le chef de l’Etat afghan a en effet insisté sur le peu de moyens dont dispose son gouvernement face aux seigneurs de guerre et à la rébellion menée par les Taliban qui, après une trêve hivernale, ont repris leurs attaques contre la toute jeune armée afghane. «Les événement de Jalalabad démontrent deux choses : premièrement que l’Afghanistan est un pays démocratique –où les gens peuvent manifester librement– et deuxièmement, que l’Afghanistan en tant que pays démocratique n’a pas encore des institutions aptes à l’assumer», a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse au siège de l’Otan. «Il va falloir encore de nombreuses années avant que notre pays soit capable de marcher sur ses deux pieds en terme de consolidation des institutions démocratiques et en matière de sécurité», a-t-il insisté plaidant pour que la communauté internationale reste au chevet de l’Afghanistan.    


par Mounia  Daoudi

Article publié le 12/05/2005 Dernière mise à jour le 12/05/2005 à 17:30 TU