Afghanistan
Dans la prison des femmes de Kaboul
(Photo : Paulina Zidi)
De notre correspondante à Kaboul
Nulle présence armée, c’est ce qui frappe en tout premier lieu le visiteur qui pénètre dans cette prison. Si deux hommes surveillent l’entrée, Kalachnikov pointée, à l’intérieur il n’y a que des femmes, sans uniformes et surtout sans armes. La jeune Gulalai qui nous accueille a tout juste 24 ans. Mais cela fait presque quatre ans qu’elle travaille ici. Elle fait partie des douze gardiennes chargées de gérer cette prison un peu particulière. Pas d’ordre, pas de violence, ici les rapports sont avant tout chaleureux. «Quand une nouvelle femme arrive dans la prison, nous raconte Gulalai pour tenter d’expliquer les liens qui unissent les pensionnaires, on lui raconte notre vie pendant longtemps, puis elle nous raconte la sienne et nous explique elle même comment elle est arrivée là. Ça installe tout de suite un rapport de confiance.»
En ce jour de notre visite, elles sont douze à attendre de passer en jugement. C’est la première étape de l’accusation qui dure environ trois semaines jusqu’à la liberté, si aucune charge n’est retenue, où, dans le cas contraire, le transfert dans la toute nouvelle prison de femmes, celle de Pol-è-Charhi, à la périphérie de Kaboul. Quatre mois plus tôt, les femmes auraient purgé toute leur peine de détention dans ce même pénitencier. Mais, devant leur surnombre, les autorités ont décidé d’aménager un quartier à leur intention dans la plus grande prison du pays. Juste avant le transfert, la prison du commissariat central accueillait jusqu’à 150 femmes pour une capacité de 100 lits. Les détenues sont le plus souvent accompagnées de leurs enfants, comme c’est encore le cas aujourd’hui. «Souvent la famille ne peut pas ou ne veut pas s’occuper des enfants le temps que la mère reste en prison, nous explique Gulalai. Donc ils sont obligés de rester là avec nous, parfois jusqu’à l’âge de 8 ans. On fait tout pour que les plus grands aillent quand même à l’école.»
Solidarité, sécurité, mais aussi...déshonneur
Ce lieu de détention cache tellement sa vocation que l’on en oublierait presque qu’il reste une prison. Pourtant, malgré son atmosphère presque accueillante, les femmes supportent difficilement la privation de liberté. Pour Shanaze, c’est un déshonneur de se retrouver ici, d’autant plus qu’avec sa belle-fille, Mariam, elles ne comprennent pas ce qui a bien pu les conduire ici. Elle nous raconte alors une histoire compliquée : les deux femmes auraient été arrêtées à Mazar-i-Sharif dans le nord du pays dans la maison d’un criminel. «Nous n’étions là-bas que pour visiter cette maison, elle était normalement à louer et je cherchais un logement, raconte très nerveusement Shanaze. Les policiers nous sont tombés dessus sans ménagement. Avant de continuer des sanglots dans la voix : ma belle fille a même perdu son bébé, elle était enceinte de cinq mois et maintenant il est mort. Je me sens moi-aussi morte depuis qu’ils m’ont mise ici.»
Nous apprendrons plus tard que la belle fille de Shanaze a effectivement fait une fausse-couche, la nuit précédent notre visite. Quand nous arrivons à sa cellule, elle est d’ailleurs allongée, affaiblie, dans son lit. Sa belle mère la recouvre d’une couverture pour que nous ne puissions la voir. Elles sont quatre à partager la cellule de Shanaze, depuis la transformation de leur prison en maison d’arrêt les détenues ont été regroupées dans quelques cellules d’un même secteur. Un long couloir les relie donc entre elles et conduit jusqu’à la cour de la prison où elles peuvent circuler librement.
Obligées pour survivre de compter les unes sur les autres, ces femmes tissent des liens très forts durant leur séjour. C’est le cas d’Anisa. A 20 ans, elle se retrouve en prison pour avoir fui sa maison. Toute jeune mariée, sont beau-père aurait abusé d’elle. Depuis, sa famille ne veut plus la voir. Anisa est seule en prison. Ce sont donc ses co-détenues qui l’aident à survivre, partageant la nourriture et les médicaments que leurs familles leur font parvenir de l’extérieur. Cette prison est aussi pour certaines un lieu où elles se sentent enfin à l’abri d’un mari violent. Un moment qui les aidera à se reconstruire. Anisa ne veut plus rentrer dans sa famille. Elle veut divorcer et se remarier avec un homme dont elle est amoureuse. «J’espère que quand je vais sortir, quelqu’un viendra me chercher pour m’emmener loin de tout ça. Je pourrais alors me marier et vivre enfin heureuse. Et si ça marche, cet emprisonnement m’aura finalement aidé à tourner une page de ma vie où j’étais bien malheureuse.»
par Paulina Zidi
Article publié le 01/05/2005 Dernière mise à jour le 01/05/2005 à 10:54 TU