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Afghanistan

Le sentiment d’abandon des réfugiés

Soixante pour cent des réfugiés rapatriés sont livrés à eux-mêmes. Certains se débrouillent mais près de 10% n’y arrivent pas.(Photo : AFP)
Soixante pour cent des réfugiés rapatriés sont livrés à eux-mêmes. Certains se débrouillent mais près de 10% n’y arrivent pas.
(Photo : AFP)
Fin 2001, à la chute du régime taliban, les afghans réfugiés à l’étranger ont commencé à rentrer chez eux. Trois millions et demi sont déjà revenus. Mais plus de 10% vivent dans des conditions précaires. Les Nations unies, en charge de leur rapatriement, ne leur fournit ensuite plus aucune aide. Face à ces nouveaux pauvres, le gouvernement de Kaboul semble bien démuni.
De notre correspondant à Kaboul

Je vis ici depuis trois ans. Depuis mon retour d’Iran. On a demandé de l’aide au gouvernement, mais personne ne nous a répondu jusqu’à maintenant. Quand je pense qu’il nous disait que nous pouvions rentrer dans notre pays. Que tout était prêt pour nous accueillir. Si ça ne tenait qu’à moi, je repartirais pour l’Iran », s’insurge Abdul Salam, vieil homme à la barbe grise. Debout prêt d’une bâche marquée HCR*, qui fait office de porte, il indique à sa fillette où se trouve la farine pour préparer le pain. Un trou creusé à même le sol tient lieu de four.

Aujourd’hui, ils n’auront que ça à manger. « Un jour comme les autres, hélas », avoue, dépité, Abdul Salam. A son retour avec sa femme et ses huit enfants, il s’est d’abord installé dans les ruines de sa maison, bombardée par les moudjahidines dans les années 1990, puis dans ce vaste complexe à moitié détruit, qui fut autrefois l’ancien centre culturel soviétique. Plusieurs immeubles bâtis autour d’un petit cinéma en plein air et d’une piscine. Un lieu alors très couru, avec ses jardins, ses expositions, ses conférences. Situé sur la ligne de front, ce symbole de l’invasion soviétique n’a pas tenu très longtemps. Désormais, c’est une ruine ; murs troués d’obus, impacts de balles, débris de roquettes. Une ruine dans laquelle se sont installées plus de cent-cinquante familles d’anciens réfugiés revenus d’Iran et du Pakistan. Cent cinquante familles qui n’avaient nulle part où aller.

Entassées dans les étages et sur les esplanades où elles ont construit des petites maisons avec des briques chapardées et de la terre, des maisons qui ne résistent pas à la pluie, ces familles constituent les hordes de mendiants qui errent dans Kaboul, à la recherche de moyens de subsistance. « Nos enfants ne vont même pas à l’école. C’est pour ça qu’ils traînent toute la journée dans les rues. Pour l’État, ils n’existent pas», s’insurge un autre réfugié, assis près de l’unique puits de ce campement de fortune.

L’Iran accélère les retours

Une grappe d’enfants sales, en haillons, attend son tour pour pomper l’eau et remplir la dizaine de récipients à ses côtés. Le HCR a certes fourni une aide au retour, comme promis, et le Programme alimentaire mondial ravitaille les anciens réfugiés de temps en temps. Mais cela ne suffit pas. Selon le nouveau ministre des Réfugiés, Mohammad Azam Dadfar, « plus de 3,5 millions de réfugiés sont revenus depuis mars 2002 et le lancement du programme de retour, supervisé par le HCR. Nous n’avons pas les moyens de tous les absorber et leur offrir une vie décente ». Un peu partout dans le pays, cette grande précarité semble durable. Les Nations unis reconnaissent que 60% des réfugiés rapatriés sont seuls face à eux-mêmes à partir du moment où ils sont arrivés. Certains se débrouillent, mais près de 10% n’y parviennent pas. Echec du HCR ? Pas faux. Un employé des Nations unies, qui souhaite conserver son anonymat, avance : « c’est toujours la même chose, sur toutes les missions. Nous organisons le rapatriement et ensuite, nous partons. Nous fabriquons des nouveaux pauvres et très souvent avec des populations qui bénéficiaient d’une aide considérable dans les camps, à l’étranger. Il faut arrêter de faire de l’humanitaire sans développement durable. Je suis écœuré. »

Face à ce problème, le Pakistan, qui compte encore quelques centaines de milliers de réfugiés, a pour le moment réduit les rapatriements. Mais pour combien de temps ? Depuis le début de l’année, l’Iran, au contraire, accélère les retours. Et malgré les appels du HCR, les autorités de Téhéran, qui sentent bien que les réfugiés ne sont pas pressés de rentrer chez eux, font la sourde oreille. « La guerre est terminée. Ils doivent rentrer maintenant », confie un fonctionnaire de l’ambassade d’Iran à Kaboul. Or, les réfugiés savent désormais ce qui les attend, en outre, rien.

Jamshid, 18 ans, vient d’arriver dans la capitale afghane. « La police iranienne nous a chassés », dit-il. Il ne reconnaît plus sa ville et cherche, avec son oncle et sa tante, tous deux très âgés, un endroit où s’installer. Un matin, ils débarquent tous les trois dans l’ancien centre culturel soviétique où on leur indique, au troisième étage du bâtiment principal, une grande pièce vide et froide. Le plafond est criblé de trous d’obus et les fenêtres ont été retirées. « Même le carrelage a disparu », confie le jeune homme en déposant ses minces bagages. En mars 2006, tous les réfugiés afghans seront rentrés chez eux. En quatre ans, ce sont plus de quatre millions de personnes qui auront été jetées dans une nouvelle vie qu’elles n’ont pas toujours choisies. La plus grande opération de rapatriement de l’histoire du HCR aura alors pris fin.


par Eric  de Lavarène

Article publié le 07/02/2005 Dernière mise à jour le 07/02/2005 à 08:49 TU

* Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés.