Tanzanie
Jakaya Kikwete succèdera à Benjamin Mkapa
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Arusha
Particularité de la politique tanzanienne : en dépit de la présence sur la scène nationale de 18 partis politiques d’obédiences diverses, le sort de l’élection présidentielle d’octobre prochain est en réalité déjà scellé. En choisissant son porte-flambeau pour ce scrutin, comme souvent, le parti au pouvoir – le Chama Cha Mapindunzi – a de facto nominé celui qui succédera à Benjamin Mkapa, l’actuel chef de l’État à qui la Constitution interdit de se représenter après deux mandats de cinq ans passés à la tête du pays. La faute à la domination sans partage qu’exerce sur le champ politique l’ancien parti unique, dix ans après l’avènement du multipartisme. Le prochain président sera donc, et sans surprise, Jakaya Kikwete, ministre des Affaires étrangères de la Tanzanie depuis une décennie.
A bientôt 55 ans, Kikwete est sans doute le seul personnage tanzanien qui, bien que familier de la scène politique nationale depuis plus de trois décennies, bénéficie auprès des populations d’une image avantageuse d’homme moderne. Toutes choses qu’il doit à son parcours et à son relatif jeune âge. Déjà en lice aux primaires pour le choix du candidat du Chama Cha Mapinduzi en 1995 – il avait perdu alors face à Benjamin Mkapa – Kikwete jouit d’une popularité telle que quelques temps avant d’être nominé par son parti, des formations d’opposition l’ont approché afin qu’il se présente aux prochaines élections sous leur… bannière.
Diplômé en économie de l’Université de Dar es-Salaam dans les années 70, le probable futur président a été officier de l’armée tanzanienne qu’il a ensuite quitté avec le grade de lieutenant colonel. Mais l’essentiel de sa vie publique, il l’a consacré au Chama Cha Mapinduzi, le parti créé par Julius Nyerere à la fin des années 70. Il en est devenu au fil des années un des principaux cadres.
Ce profil d’apparatchik ne lui a cependant pas épargné quelques obstacles lors du processus de nomination au sein du parti. Face à ses dix concurrents à la course au fauteuil présidentiel, il avait au yeux de beaucoup le défaut de manquer d’expérience. C’est en réalité sa relative jeunesse qui était en cause aux yeux de nombreux observateurs. Il faut dire qu’en face on retrouvait de nombreux routiers de la scène politique nationale, dont certains sont d’anciens compagnons de route de Julius Nyerere. D’entre tous, son plus sérieux adversaire était surtout Salim Ahmed Salim, l’ancien Secrétaire Général de la défunte Organisation de l’unité africaine (OUA).
L’opposition ne fait pas le poids
Mais face à la grande popularité d’un candidat dont l’entourage se plaisait à signaler qu’il pouvait remporter les prochaines élections même en dehors de l’appareil du parti, les 1 674 délégués du Chama Cha Mapinduzi n’ont manifestement pas eu d’autre choix. D’autant que le président sortant aurait, selon la presse locale, pesé de son poids en faveur de son ministre. Conséquence : 1 072 votes pour Jakaya Kikwete et 476 pour Salim Ahmed Salim au terme du vote des délégués.
Désormais assuré d’accéder au pouvoir, lors d’élections qui s’annoncent d’autant plus être libres que l’opposition, fantomatique, ne fait pas le poids, Jakaya Kikwete doit se préparer à de nombreux défis. Si la Tanzanie bénéficie d’une stabilité politique enviée dans la région (à l’exception notable de l’archipel semi-autonome de Zanzibar ou le scrutin s’annonce trouble) ; et aussi d’une croissance économique (plus de 6% en 2005) qui place le pays au premier rang dans la région est-africaine devant le Kenya notamment, les performances du pays sont plus que mauvaises dans divers secteurs.
Le taux de prévalence du sida (officiellement autour de 10%) a ramené l’espérance de vie autour de 45 ans. Le taux de mortalité infantile est de plus de 100 pour 1 000. Un tanzanien sur deux ne peut pas décemment satisfaire ses besoins fondamentaux. La pauvreté dans les zones rurales est telle que nombreux sont ceux qui survivent essentiellement grâce à l’aide alimentaire internationale. Sur le plan politique la corruption grandit chaque jour davantage sans que les nombreuses stratégies de lutte contre le fléau produisent des résultats probants. Enfin, engagé sur le chemin de la libéralisation de son économie depuis 1985, la Tanzanie fait l’expérience douloureuse de privatisations parfois désastreuses et le plus souvent contre-productives pour les populations. Sur tous ces sujets, alors que certains espèrent de profondes reformes, Jakaya Kikwete a annoncé les couleurs : il poursuivra sur la même voie que son prédécesseur.
par André-Michel Essoungou
Article publié le 25/05/2005 Dernière mise à jour le 27/05/2005 à 10:02 TU