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Côte d'Ivoire

Nouveau bain de sang à l’Ouest

Des corps sont entassés dans un chambre à Duékué, le 2 juin 2005.(Photo : AFP)
Des corps sont entassés dans un chambre à Duékué, le 2 juin 2005.
(Photo : AFP)
Selon l’état-major des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci), l’attaque des villages de Guitrozon et de Petit-Duékoué, «dans la nuit du mardi 31 mai 2005 au mercredi 1er juin 2005, vers 2 heures du matin [par] des individus non identifiés, armés de fusils de chasses de type calibre 12 et d'armes blanches» a fait «41 morts, 64 blessés plus ou moins graves et une trentaine de cases incendiées» dans lesquelles ont été retrouvés 11 corps calcinés. Les victimes de ce massacre nocturne appartiennent toute à la communauté guéré. Implantée dans l’Ouest forestier et cacaoyer, celle-ci fournit des miliciens à des factions animées par le pouvoir contre l’opposition armée des Forces nouvelles. A l’heure promise du désarmement, les deux camps se disputent de plus en plus férocement le contrôle de Duékoué, position gouvernementale, en bordure de la zone de confiance sous surveillance française et onusienne. Les civils paient le tribut du sang.

Représailles après des affrontements intercommunautaire en avril dernier ou stratégie de la terreur pour modifier la composition de la population, le massacre perpétré à quelque quatre-cent kilomètres à l’ouest d’Abidjan, dans la banlieue de Duékoué témoigne de la dérive d’un conflit qui tient les civils en otages. Attaqués pendant leur sommeil, au fusil et à l’arme blanche, certains ont même été «enfermés dans des cases afin d'y être brûlés vifs», rapportent des témoins. Une bataille des chiffres a déjà commencé. Elle en prolonge une autre qui avait suivi, fin avril, quatre jours d’affrontements entre Guéré et Dioula, devenu le terme générique qui désigne désormais en Côte d’Ivoire non seulement les commerçants malinké mais aussi bien d’autres communautés ayant l’islam en partage. Fin février, il y avait eu aussi cette offensive ratée, contre des positions des Forces nouvelles à Logoualé, revendiquée par un mystérieux Mouvement ivoirien de libération de l’Ouest de la Côte d’Ivoire (Miloci). Tout près de là, en pays guéré, à Bangolo, des meurtres en série sont signalés depuis l’année dernière. A la charnière des deux morceaux de Côte d’Ivoire, figés sur l’ancienne ligne de front qui marque la zone dite «de confiance», la guerre continue, essentiellement par cadavres de civils interposés, «dioula» ou guéré.

Résonances politico-militaires

A supposer qu’il soit pure vengeance, le massacre des Guéré n’en a pas moins d’immédiates résonances politico-militaires. Il contribue à l’exode de populations déjà décimées par l’abandon économique dans lequel les tiennent les acteurs de la crise ivoirienne. Le bain de sang intervient en outre au moment même où devait démarrer le désarmement de trois milices où sont enrôlés nombre de Guéré et apparentés : le Front de libération du grand Ouest (FLGO), l’Alliance des patriotes Wè (le groupe auquel ils appartiennent) et le Miloci. La veille du massacre, le 30 mai, un Conseil des ministres du gouvernement de «réconciliation» s’était félicité d’une cérémonie au cours de laquelle, le 25 mai, ces groupes armés avaient remis «une arme symbolique» aux Fanci, en présence de représentants de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci). Le communiqué oubliait déjà de mentionner que la troupe refusait de suivre les chefs des milices dans le crucial programme de DDR (désarmement, démobilisation, réintégration dans la vie civile ou militaire) qui doit démarrer le 27 juin.

Les miliciens disaient alors qu’ils voulaient d’abord être sûrs du désarmement des quelque 42 500 anciens rebelles recensés par la Commission nationale de désarmement, démobilisation et réinsertion (CNDDR). Ils réclamaient surtout la même prime de démobilisation (500 000 francs CFA soit environ 750 euros) que les autres anciens combattants. Conscient toutefois des risques de banditisme engendrés par l’absence de garantie d’emploi à offrir à ces foules de jeunes gens, le Conseil des ministres du 30 mai avait aussi pris en compte la criminalité déjà grandissante dans le Sud, jusqu’aux abords d’Abidjan. Concernant les incidents intercommunautaires sanglants d’avril à Duékoué et «la récurrence des tueries des Wè» dans la région de Guiglo, il annonçait que «des réflexion pour une stabilisation durable de la situation ont été engagées entre les ministères de la Sécurité intérieure et de la Réconciliation nationale après la tournée» effectuée dans cette zone du Moyen-Cavally.

Voici la région à nouveau à feu et à sang, mais aussi en plein désarroi, car ses habitants se croyaient effectivement en sûreté avec la présence, à Duékoué, d’un détachement des Fanci et des casques bleus bengladeshi, mais aussi avec les troupes françaises de Licorne chargées d’intervenir dans la zone tampon. Quant aux troupes de l’AP-Wè sur place, bien qu’inopérantes mercredi, nul doute qu’elles trouvent dans la tuerie un argument supplémentaire pour enrichir leur cahier de doléance. Dans le camp adverse, les Forces nouvelles tentent au contraire d’expliquer, voire de justifier, le massacre des civils par les méfaits des miliciens.

L’Onu condamne la tuerie. Paris «s’associe pleinement à cette condamnation» et suit la situation avec «beaucoup de vigilance». L’état-major des Fanci promet un «ratissage de la zone» et un redéploiement «pour prévenir toutes nouvelles attaques et apaiser les populations». Celles-ci accusent «des allogènes d’origine étrangère provenant des campements situés au Nord de la zone de confiance», dans les colonnes du quotidien national Fraternité Matin, mais aussi des dozo, des chasseurs traditionnels du Nord. Fraternité Matin évoque l’assassinat, le 26 mai, de quatre planteurs sénoufo (des «autochtones» du Nord musulman) par des miliciens de l’AP Wè et celui d’un Baoulé (un «autochtone» du centre) le lendemain. Ces meurtres s’inscriraient dans le prolongement de la «guerre des territoires» qui a officiellement fait une trentaine de morts en avril dernier. Le catalyseur des affrontements avait été la grève des transporteurs et des commerçants dioula en réaction aux barrages et au racket des miliciens du FLGO, de l’AP-Wè, du Miloci, mais aussi des groupes qui ont surgi tout armés de la guerre du Libéria.

Visiblement, le désarmement n’est pas pour demain même si la guerre répand le sang des civils infiniment plus souvent que celui des combattants. Cela n’est peut-être pas indifférent à la visite éclair rendue les 1er et 2 juin par le président Gbagbo à deux «puissances» militaires régionales, l’immense Angola et le tout petit Rwanda.


par Monique  Mas

Article publié le 02/06/2005 Dernière mise à jour le 02/06/2005 à 18:19 TU

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Jules Yao Yao

Porte-parole de l'état-major des Forces armées nationales de Côte d'Ivoire (Fanci)

«Le désarmement repose sur le volontariat.»

Assoa Adou

Ministre ivoirien des Eaux et Forêts

«La Côte d'Ivoire de 2005 n'est plus la Côte d'Ivoire de 2000.»

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