Népal
100 000 réfugiés bhoutanais attendent de rentrer chez eux depuis quinze ans
(Photo : Marie Perruchet/RFI)
De notre envoyée spéciale au Népal
C’est près de 20% du royaume bhoutanais qui vit dans l’attente depuis une quinzaine d’années dans sept camps répartis dans le district de Jhapa, à quelques kilomètres de la frontière indienne, la fierté encore blessée par les paroles de leur souverain Jigme Singye Wangchuk :«Ces sujets ne sont pas les miens». Dans les années 80, le roi lance un programme de «bhoutanisation» avec pour slogan, «une nation, un peuple». Tara, 40 ans, résidente au camp de Timai, se souvient que «le roi nous obligeait à parler la langue nationale, le dzongkha et à porter la robe traditionnelle, le gho and kira sous peine d’amende». Un monarque aux méthodes autoritaires, pour qui seuls les «purs Bhoutanais» sont les Ngalongs, les élites de l’ouest du Bhoutan aux traits mongoloïdes et de confession bouddhiste. Ainsi en a-t-il décidé. Au milieu des années 80, le souverain demande alors que les Bhoutanais fournissent une preuve de nationalité antérieure à 1958, un document difficile à trouver pour les illettrés et les paysans.
Dans les années 1990, la politique de purification ethnique se durcit et vise alors les Lhotshampas, littéralement «les gens du sud» dont les ancêtres népalais, aux traditions hindoues, auraient émigré au Bhoutan il y a plus d’une centaine d’années. «Un soir, j’ai reçu un ultimatum de la part de la police qui m’a obligé à quitter mes terres et à signer un formulaire d’émigration volontaire, ce qui revenait à abandonner ma nationalité bhoutanaise», raconte Jaja Maya, hindoue, 50 ans, résidente au camp de Beldangi, du fond de sa hutte sombre aux murs de bambou colmatés avec du papier journal. «Les autorités refusaient de me laisser profiter de mes traditions, de porter le sari et de parler la langue népalaise. Parfois le gouvernement brûlait les documents écrits en népalais devant les écoles», continue-t-elle en travaillant sur son métier à tisser.
Les réfugiés bhoutanais, un problème bilatéral
Au même moment, la révolte gronde dans les rues de Thimphu, la capitale, contre la politique d’intégration nationale du roi. Les manifestants, accusés de «manquer de loyauté envers leur souverain» feront aussi partie des vagues d’expulsion. Elles les conduisent d’abord vers l’Inde qui les renvoie immédiatement au Népal. «L’Inde a même fermé ses frontières, d’habitude ouvertes, avec le Népal quand des groupes de réfugiés ont tenté de prendre la route du Bhoutan. Ils sont restés bloqués pendant plusieurs jours sur le pont qui délimite la frontière. New Delhi a depuis toujours considéré que c’était une question bilatérale», s’indigne Hem Kadkha, correspondant d’Amnesty International dans le district de Jhapa.
À la demande du gouvernement népalais, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) les prend alors en charge et les répartit dans des huttes de fortune. En 2001, le Népal et le Bhoutan envoient dans un des camps une commission conjointe pour vérifier l’identité des réfugiés, qu’ils comptent classer en quatre catégories : Bhoutanais, non-Bhoutanais, Bhoutanais ayant signé un formulaire stipulant qu’ils renonçaient à leurs terres et à leur nationalité, et criminels. Le processus s’est déroulé dans un seul camp, et depuis lors, les deux gouvernements n’ont pas réussi à trouver un accord sur la manière de classer les personnes interrogées.
Reste donc que le sort de ces réfugiés est loin d’être résolu. Le Bhoutan, qui fait partie de l’ONU, refuse toute intervention de la communauté internationale. L’Inde, quant à elle, a adopté «une position silencieuse car elle voit dans le Bhoutan des intérêts sécuritaires vis-à-vis de la Chine», selon Anand Kumar, professeur en sciences sociales à l’Université Jawaharlal Nehru de New Delhi. Et le Népal, lui, s’enlise dans une guerre civile qui oppose les rebelles maoïstes à l’Armée Royale du Népal.
Voilà quinze ans que ces réfugiés se sentent totalement abandonnés. Certains ont pris les devants et ont trouvé en Inde ou au Népal des travaux temporaires dans les plantations de thé et les rizières. D’autres entretiennent des relations avec les partis de l’opposition en exil, prêts à croire à la promesse de la fin de la monarchie absolue qu’a fait naître Jigme Singye Wangchuk début avril, en dévoilant un texte de Constitution. Si le texte est ratifié par ses sujets d’ici la fin de l’année, le pouvoir exécutif sera confié à un Conseil des ministres, lui-même formé de parlementaires élus au suffrage universel.par Marie Perruchet
Article publié le 08/06/2005 Dernière mise à jour le 08/06/2005 à 14:24 TU