Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Cachemire

Enfin des familles se retrouvent

Une fois tous les deux mois, le bureau des passeports de Srinagar distribue 100 formulaires pour les futurs passagers du bus Srinagar-Muzaffarabad. Il faut être là à l'aube pour obtenir le document.(Photo: Pauline Garaude/RFI)
Une fois tous les deux mois, le bureau des passeports de Srinagar distribue 100 formulaires pour les futurs passagers du bus Srinagar-Muzaffarabad. Il faut être là à l'aube pour obtenir le document.
(Photo: Pauline Garaude/RFI)
Depuis 1947, la partition entre l’Inde et le Pakistan a déchiré des milliers de familles du Cachemire de part et d’autre de la Ligne de Contrôle. Mais deux mois après l’ouverture de la ligne de bus entre Srinagar et Muzaffarabad -les deux capitales cachemiris– l’espoir renaît. Des familles peuvent enfin se retrouver et pour la majorité d’entre elles, se rencontrer pour la première fois.

De notre envoyée spéciale au Cachemire

Trois heures avant l’ouverture des portes du «Passeport Office» de Srinagar, la file d’attente dépasse déjà les cent mètres. «Si nous voulons avoir un formulaire pour prendre le bus qui va à Muzaffarabad, il faut arriver dans les premiers. Les autorités ne délivrent que 100 formulaires tous les deux mois» s’exclame Zahid. Depuis que la ligne de bus a été ouverte, le 7 avril, il n’a pu obtenir un formulaire ! Il a 26 ans et rêve de rencontrer son oncle qui habite du côté pakistanais. «J’habite à Uri, à plus de 60 km d’ici. Ma maison est juste à côté de la Ligne de Contrôle (LOC) et en montant sur le toit, je peux presque apercevoir ma famille. Mais je n’ai encore jamais pu la rencontrer», dit-il indigné. Et si triste... Avec un bus tous les quinze jours et seulement trente passagers, il sait qu’il lui faudra beaucoup de chance pour obtenir une place. Car il y a autant de cachemiris pakistanais qui retournent chez eux que de cachemiris indiens qui y vont pour la première fois. Et comme l’explique, Azid, 50 ans, qui espère voir son cousin : «Je ne me leurre pas car même si nous n’avons pas besoin de passeport ou de visa, le permis de voyage ne s’obtient pas si facilement». En effet, le formulaire exige pour chaque personne au moins trois contacts familiaux du côté pakistanais avant d’être scruté à la loupe par les autorités du Jammu et Cachemire, puis par les services de renseignements de Delhi. «Mon oncle est journaliste à la BBC de Muzaffarabad. Il y a deux mois, son  frère s’est vu refuser le permis ! Moi, je croise les doigts».

Elle ne veut y croire, l’espoir l’a trop rongée

Azeeza, née en 1942 à Srinagar, n’a pas vu son mari depuis 40 ans !  «Je me suis mariée en 1961 et Ghulam a franchi comme tant d’autres à l’époque, la LOC. Une semaine après, il m’a appelé pour que je le rejoigne avec nos deux filles, de 2 et 3 ans.  Mais en tant que femme avec deux enfants, impossible de prendre un tel risque ! Il est resté un an à Muzaffarabad, essayant en vain de retraverser la frontière. Mais la militarisation s’est intensifiée et il savait que s’il franchissait la Ligne, il prenait le risque de se faire prendre et de passer le reste de ses jours en prison. Résultat : il est parti vivre au Pakistan, à Karachi, s’est remarié en 1977 et a eu deux autres enfants. Je ne l’ai jamais revu...» Azeeza ne peut poursuivre son récit. Ses larmes coulent à flot. Ses filles lui tiennent la main... L’aînée raconte : «Mon père vient d’appeler. La première fois en huit ans ! Il ne sait même pas que j’ai  deux enfants. Il a refait sa vie et je crois qu’il a eu honte. Mais il est veuf depuis l’année dernière et maintenant, il a envie de nous revoir. Il a eu son passeport et son visa hier et il sera là dans dix jours. Maman ne veut y croire. Pendant des années l’espoir l’a trop rongée».

A Srinagar, Abdul (à g.) rencontre pour la première fois son oncle arrivé de Muzaffarabad.
(Photo: Pauline Garaude/RFI)
Abdul, un jeune chirurgien de 30 ans, a rencontré pour la première fois il y a dix jours ses oncles paternels qui vivaient à Muzaffarabad. «Ils sont arrivés par le bus du 2 juin. Travaillant à Bombay, quand je suis arrivé à Srinagar par avion, ils fêtaient leurs retrouvailles dans le jardin. J’ai ouvert la porte et suis resté sans voix. Nous nous sommes regardés fixement pendant quelques minutes, sans pouvoir échanger un mot. L’émotion était trop forte. Même si depuis ma naissance, nous nous connaissons par lettre, photo et téléphone, c’est incomparable avec quelqu’un qui vous serre dans ses bras et vous dit qu’il vous aime». Azeeza, Zahid, Abdul voient leur vie soudain basculer. Ils illustrent ce déchirement dont est victime une famille sur six du Cachemire.

« Le bus est une farce diplomatique »

Mais le bus couvre une autre réalité, navrante cette fois-ci. Le 7avril, 19 cachemiris indiens étaient dans le bus. Le 2 juin, quatre seulement. «Et ce nombre va aller en décroissant», atteste un journaliste qui souhaite conserver l’anonymat. «Nous sommes beaucoup à penser que ce bus est une farce diplomatique de l’Inde et du Pakistan. Même si nous voulons revoir nos familles, nous hésitons à cautionner ce qui n’est qu’une façade d’accords de paix. Le problème du Cachemire, ce n’est pas le bus, c’est la ligne de contrôle. Il fallait la démilitariser puis la supprimer, et non de permettre à quelques individus chanceux de la traverser, avec des militaires postés tout du long». Anwar, dont la famille maternelle est basée au Cachemire pakistanais, ne prendra jamais le bus. «Je ne suis pas un traître», martèle-t-il. «Je n’irai pas là-bas tant que des mesures concrètes ne seront pas prises pour régler le problème du Cachemire. Je n’ai encore jamais vu ma famille et je n’en suis plus à quelques mois, voire à quelques années près... Le jour où je la reverrai, c’est que nous pourrons circuler librement dans un Cachemire libre !».


par Pauline  Garaude

Article publié le 19/06/2005 Dernière mise à jour le 19/06/2005 à 13:19 TU