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Moyen-Orient

La leçon de démocratie de Condi Rice

La secrétaire d'Etat américaine, lors de son discours à l'université américaine du Caire, n'a pas hésité à critiquer les principaux alliés de Washington au Moyen-Orient.(Photo: AFP)
La secrétaire d'Etat américaine, lors de son discours à l'université américaine du Caire, n'a pas hésité à critiquer les principaux alliés de Washington au Moyen-Orient.
(Photo: AFP)
Si lors de son étape en Israël et dans les Territoires palestiniens la chef de la diplomatie américaine était venue appuyer le plan de retrait israélien de la bande de Gaza, c’est à un tout autre exercice qu’elle s’est livré en arrivant en Egypte. Condoleezza Rice était en effet en mission commandée de défense du projet de démocratisation du monde arabo-musulman si cher au président George Bush. Et pour cela, elle n’a pas hésité à critiquer sans ménagement les principaux alliés de Washington dans la région, trop frileux, à ses yeux, à engager des réformes.

Les Etats-Unis faisant amende honorable pour leurs erreurs passées ! Une situation peu banale surtout lorsque c’est la secrétaire d’Etat en personne qui fait ce mea culpa. «Pendant soixante ans, mon pays, les Etats-Unis, a cherché la stabilité aux dépens de la démocratie, ici au Moyen-Orient, et nous n’avons obtenu ni l’une ni l’autre», a en effet déclaré Condoleezza Rice, devant un parterre de personnalités, triées sur le volet, pour assister à l’université américaine du Caire au discours phare de sa tournée dans la région. Et d’ajouter : «aujourd’hui, nous choisissons une voie différente. Nous soutenons les aspirations démocratiques de tous les peuples». La chef de la diplomatie américaine s’en est, à ce sujet, ouvertement pris à la frilosités des régimes de la région, incapables de se réformer. «Il y a ceux qui disent que la démocratie mène au chaos, à la terreur. C’est le contraire qui est vrai : la liberté, la démocratie sont les seules idées assez fortes pour vaincre la haine, la division et la violence», a-t-elle notamment insisté. Un message destiné avant tout aux opinions publiques de la région auprès desquelles l’image des Etats-Unis n’a cessé de se dégrader.

Et pour tenter de convaincre cette opinion si hostile à l’administration Bush, Condoleezza n’a pas hésité à se montrer particulièrement critique envers les régimes qui sont pourtant considérés comme les précieux alliés de Washington au Moyen-Orient : l’Egypte et l’Arabie saoudite. La secrétaire d’Etat américaine a ainsi jugé insuffisantes les récentes réformes esquissées par le président Hosni Moubarak tout juste crédité d’avoir «ouvert la porte au changement». «Il faut que l’Etat de droit remplace les décrets d’urgence, qu’un système judiciaire indépendant remplace la justice arbitraire. Il faut que le gouvernement égyptien croie en son propre peuple», a-t-elle asséné. Condoleezza Rice n’a pas non plus oublié la répression dont ont été victimes ces dernières semaines les opposants au raïs. «Nous nous inquiétons de l’avenir des réformes en Egypte lorsque de pacifiques partisans de la démocratie, hommes et femmes, ne sont pas protégés de la violence», a insisté celle qui n’avait pas hésité à annuler en mars dernier une visite au Caire en représailles à l’arrestation de l’opposant libéral Ayman Nour.

Opération de relations publiques ?

Et si l’Iran et la Syrie ont tout naturellement essuyé les plus vives critiques de la chef de la diplomatie américaine –l’un a été accusé d’être un régime à la «cruauté organisée», l’autre dénoncé pour héberger et appuyer des groupes terroristes–, plus surprenante a en revanche été la charge portée par Condoleezza Rice contre la monarchie wahhabite. «Des premiers pas vers l’ouverture ont été pris avec les élections municipales. Toutefois beaucoup de personnes continuent de payer un prix injuste pour l’exercice de leurs droits de base», a-t-elle déclaré. Et pour appuyer ses dires, elle a évoqué le cas de «trois personnes actuellement emprisonnées pour avoir présenté pacifiquement une pétition à leur gouvernement». Un tribunal saoudien a récemment condamné trois opposants à des peines de prison allant de six à neuf ans pour avoir réclamé des réformes constitutionnelles. «Ceci ne devrait être un crime dans aucun pays», a dénoncé Condoleezza Rice.

Ces critiques ont, comme il fallait s’y attendre, été très mal perçues en Arabie saoudite où la secrétaire d’Etat a achevé mardi sa tournée au Moyen-Orient. Son homologue, Saoud Al-Fayçal, n’a accordé que très peu de temps à ce qu’il a estimé n’être qu’«une querelle tout à fait inutile». Et pour clore tout à fait ce sujet, il a déclaré que «le jugement qui compte pour tout pays en train de procéder à des réformes politiques est celui de son propre peuple. C’est là en dernière analyse le critère que nous avons adopté».

Paradoxalement, ce discours de Condoleezza Rice, si sévère à l’égard des régimes du Moyen-Orient, est loin d’avoir convaincu les démocrates de la région. Et il faut croire que le passif américain est bien lourd pour que les appels de la secrétaire d’Etat américaine à des réformes n’aient été perçu que comme une «simple opération de relations publiques». Il est vrai que la réalité de la politique menée par l’administration Bush dans les Territoires palestiniens, en Irak et le soutien constant aux régimes de la région ne plaident pas en faveur de Washington. Et pour de nombreux analystes arabes, les Etats-Unis ne sont pas prêts à mettre un terme à leur soutien à ses pays. «L'appel de Rice en faveur de la démocratie vise à améliorer l'image de marque des Etats-Unis dans la région et à y réduire les sentiments antiaméricains», a ainsi affirmé le secrétaire général du parti d’opposition égyptien Tagammou, Hussein Abdel Razek. Selon lui, «Washington réclame quelques changements aux apparences démocratiques mais n'ira pas jusqu'à soutenir des changements substantiels vers une réelle démocratie basée sur une alternance du pouvoir qui pourrait amener au pouvoir des forces hostiles à sa politique dans la région». L'analyste libanais, Satea Nour Eddine, est encore plus critique. «Je ne pense pas que Condoleezza Rice était sincère» dans l'autocritique de la politique de son pays, a-t-il estimé. «Avec sa tournée dans la région, nous avons découvert que Washington continuera à traiter avec les régimes en place», a-t-il ajouté.


par Mounia  Daoudi

Article publié le 21/06/2005 Dernière mise à jour le 21/06/2005 à 18:09 TU