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Azerbaïdjan

L’opposition azérie en ordre de bataille

Isa Gambar, candidat malheureux face à Ilham Aliev en 2003, compte prendre sa revanche lors des élections legislatives de novembre 2005.(Photo: AFP)
Isa Gambar, candidat malheureux face à Ilham Aliev en 2003, compte prendre sa revanche lors des élections legislatives de novembre 2005.
(Photo: AFP)
A l’approche des élections législatives prévues en novembre prochain, l’opposition azérie se prépare tandis que la communauté internationale fait pression sur le pouvoir pour qu’il organise un scrutin démocratique. L’opposition se méfie de l’Occident. Selon elle, il est coupable d’avoir fermé les yeux sur les fraudes qui ont marqué la présidentielle, par laquelle Ilham Aliev a remplacé son père à la tête de ce pays riche en pétrole. L’Occident est également jugé coupable de ne pas avoir réagi à la répression qui s’est abattue sur l’opposition dans les jours qui ont suivi.

De notre correspondant dans la région

En ce début d’été, convalescente, l’opposition azérie tâche de se reconstruire. Les élections législatives sont prévues en novembre. Ces dernières semaines, trois coalitions se sont créées. L’une d’elles, Azadliq (Liberté), réunit Musavat (Egalité), dont le leader, Isa Gambar, a défié Ilham Aliev au second tour de la présidentielle d’octobre 2003, l’aile dite «progressive» du Front populaire, conduite par le jeune et médiatique Ali Kerimli, et enfin le Parti démocratique.

Dans le nouveau quartier général de Musavat, un immeuble délabré de la banlieue de Bakou, Isa Gambar veut y croire. «C’est moi qui ait remporté l’élection de 2003, la population nous soutient», affirme sans ambages le chef de file de ce parti durement réprimé au lendemain du scrutin de 2003 et relancé après la manifestation du 4 juin dernier, suivie par 20 000 personnes. C’est moins ce chiffre qui donne confiance à Isa Gambar que le fait que ce rassemblement ait été autorisé, le premier depuis 19 mois, par le pouvoir azéri sous la pression de l’Occident. Même s’il n’attend pas de miracle de la part de Washington ou de Bruxelles.

La pression du Conseil de l’Europe

Une victoire relative à replacer dans un ensemble de demandes pressantes notamment de la part du Conseil de l’Europe et des Etats-Unis. Depuis mars 2004, quelques 150 prisonniers politiques ont pu quitter leurs geôles. Par ailleurs, une nouvelle télévision publique, indépendante du gouvernement, est en cours de lancement. Le président Aliev en profite pour se faire passer pour un réformateur. Rattrapage ? Pas sûr, estime un diplomate européen, préférant parler sous couvert de l’anonymat. «C’est Ilham Aliev qui personnellement impose ces réformes. Contre les forces non démocratiques au sein du pouvoir. Ce qui explique les tiraillements actuels dans son entourage.» Est-ce pour cette raison que Bakou refuse d’accéder aux requêtes occidentales à propos de la révision du code électoral ? Difficile à dire tant le pouvoir azéri est fermé.

«Il est important de remarquer qu’Ilham est bien moins puissant politiquement que son père ne l’était, fait remarquer Farda Asadov, qui dirige la Fondation Soros en Azerbaïdjan, il est donc plus perméable aux exigences occidentales. Cela le conduit peut-être aussi, en jouant la carte démocratique, à s’imposer un peu plus au sein du clan dirigeant». Si l’Occident affiche plus de détermination que les années passées, c’est que «le contexte est différent, explique Farda Asadov. Notre pays, allié de Washington, pâtit de la politique amorcée avec le second mandat de M. Bush et qui consiste à encourager la démocratie, de façon volontariste, dans les pays en transition».

L’opposition veut y croire

Aujourd’hui, la stabilité, au nom de laquelle Américains et Européens ont fermé les yeux sur les fraudes et la répression d’octobre 2003, est moins invoquée par les chancelleries diplomatiques. «La démocratie revient souvent maintenant dans la bouche de l’ambassadeur américain», fait observer l’analyste politique Ilgar Mammadov, de l’International Crisis Group. Même British Petroleum (BP), principal opérateur de l’oléoduc Bakou–Tbilissi–Ceyhan (BTC), inauguré le 25 mai, se met à encourager la démocratisation en Azerbaïdjan.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, «si soutien occidental il y a, confie un diplomate, il va au processus démocratique. Pas à l’opposition. Personne, à Washington, Londres ou Paris n’a envie de voir le pouvoir changer de mains à Bakou». L’opposition azérie n’a d’autre solution que d’y croire. «Elle réclame le soutien des Occidentaux. Elle ne peut faire autrement, même si elle sait qu’ils ne misent pas sur elle», explique Shahin Hadjiev, de l’agence de presse Turan.

Entre naïveté et utopisme, des mouvements de jeunes ont fleuri depuis quatre mois, inspirés de ceux qui ont conduit aux révolutions non violentes de Serbie, Géorgie et Ukraine. Rouslan Bashirli, 27 ans, est le leader de Yeni Fikir (Nouvelle pensée). Ni anglophone, ni russophone, ce jeune militant politique, ex-membre du Front populaire et proche de son leader Ali Kerimli, risque d’avoir de la peine pour prendre les conseils de cette internationale révolutionnaire dont les Serbes d’Otpor ou les Ukrainiens de Pora sont les moteurs.

Des mouvements de jeunes

Certains, comme Razi Nurullayev, 34 ans, qui a créé Yokh ! (Non !) en février, sont plus «connectés». Le jeune homme voyage beaucoup ces derniers temps. Il était à Kiev en décembre, à Tirana en mai, pour une réunion des mouvements de jeunes qui travaillent au renversement des dictateurs, ou à Tallin, mi juin, pour des rencontres sur l’observation des élections. Yeni Fikir comme Yokh ! ont commencé à organiser des actions chocs, pour dénoncer la corruption notamment. Mais ces mouvements sont très faibles numériquement, sans moyens financiers, et sans réelle stratégie donnée par l’opposition.

Cette dernière ne croit d’ailleurs guère dans l’action non violente. «Les méthodes de Gandhi, ici, ça ne marchera pas, le régime est bien plus dur que celui des anglais, au 19e siècle», estime Rauf Arifoglu, qui sort de prison après 17 mois de détention. Rédacteur en chef de Yeni Musavat, il est l’un des leaders de l’opposition. Une opposition par ailleurs loin d’être prête à se réunir, notamment pour une présidentielle, et manquant cruellement de programme. «C’est aussi pour cela que l’Occident ne veut surtout pas la voir accéder aux responsabilités», lance un politologue azéri, proche des cercles du pouvoir et des diplomates.


par Régis  Genté

Article publié le 26/06/2005 Dernière mise à jour le 26/06/2005 à 18:54 TU