Bosnie
Srebrenica, dix ans après
(Photo: AFP)
Dix ans après la chute de l’enclave, Srebrenica est toujours une ville dévastée. Quelques milliers de Serbes arrivés après 1995 cohabitent sans se croiser avec les 2 866 Bosniaques musulmans revenus vivre dans la commune ces dernières années. La reconstruction a surtout concerné les villages dépendant de la vaste commune de Srebrenica, tandis que le centre de la ville porte toujours les séquelles du conflit.
Fatima est revenue vivre à Srebrenica. Elle tient un petit restaurant dans le centre de la ville. En 1995, comme des milliers de femmes, elle a fui avec ses enfants en direction du check-point des soldats hollandais de la FORPRONU, à Potocari. «A l’époque, se souvient-elle, il y avait près de 40 000 personnes à Srebrenica, des réfugiés venus de toute la région. On ne pouvait pas marcher dans les rues, tellement la foule était dense. Les gens dormaient partout où ils le pouvaient, et il n’y avait presque pas de nourriture. Nous savions bien que la fin était proche.»
À Potocari, les hommes du général Mladic ont trié les fugitifs. Les hommes âgés de 16 à 60 ans ont été massivement dirigés vers les lieux d’exécution. D’après les derniers décomptes de la Commission internationale pour les personnes disparues, 7 789 habitants de Srebrenica sont portés disparus.
Fatima se souvient du calme étrange qui régnait parmi les femmes, transférées en autobus vers les territoires contrôlés par les forces gouvernementales de Sarajevo. «Personne ne parlait, même les enfants se taisaient. Le voyage a été très long, car les bus s’arrêtaient souvent. Malgré la chaleur, aucun enfant ne réclamait à boire. Tous restaient prostrés près de leurs mères». Fatima a eu une chance relative : son mari et ses enfants sont restés vivants. Parmi ses proches, seuls ses trois oncles ont été tués.
Les rescapés témoignentL’un des rares clients installés dans le restaurant de Fatima est un robuste jeune home qui arbore un tee-shirt aux couleurs de l’État d’Arizona. Elvin avait 16 ans à la chute de l’enclave. Avec un groupe de 750 hommes, il est parti dans la montagne en direction de la Serbie. Cela leur a permis d’échapper aux tueurs des forces du général Mladic. Tous ces fugitifs ont cependant été détenus durant plusieurs mois dans des camps établis sur le territoire de la République de Serbie. «Nous étions battus et nous n’avions presque rien à manger, mais n’avons pas été tués», explique Elvin. «Finalement, le Comité international de la Croix Rouge nous a retrouvé et a négocié notre libération. Nous avons pu partir à l’étranger. Pour moi, cela a été l’Amérique.»
Elvin est revenu passer un mois de vacances à Srebrenica, pour voir ses parents, revenus s’établir dans la ville il y a trois ans, et surtout pour essayer d’obtenir des nouvelles de son frère aîné, porté disparu depuis juillet 1995, mais dont les restes mortels n’ont pas encore été identifiés. «Si je le pouvais, je préférerais revenir vivre ici, en Bosnie, dans ma ville, mais qu’est-ce que je pourrais faire à Srebrenica ? Il n’y a rien, aucun travail.»
Vendredi matin, près d’un millier de survivants du massacre de juillet 1995 ont commencé à converger vers Srebrenica. Ils vont parcourir à pied plus de 70 kilomètres, reprenant l’itinéraire emprunté, dans l’autre sens, par les fugitifs harcelés par les forces serbes du général Mladic.
Ils vont rejoindre les quelque 50 000 personnes attendues pour les cérémonies de lundi. Les corps de 600 victimes récemment identifiées vont être ensevelis dans le vaste mémorial de Potocari. Au total, 2 100 des plus de 7 500 victimes du massacre ont été identifiées à ce jour. De nouvelles fosses communes continuent d’être découvertes, et les identifications ADN sont menées dans un laboratoire de Tuzla.
Ces cérémonies se déroulent dans un contexte tendu. Mardi, des explosifs ont été découverts sur le site du mémorial et la police de Republika Srpska, l’entité serbe de Bosnie, sur le territoire de laquelle se trouve Srebrenica, a renforcé son dispositif. De nombreux dirigeants de la région sont attendus à Srebrenica, notamment le Président de la République de Serbie, Boris Tadic, dont la présence annoncée a été vivement dénoncée par les associations des mères des victimes de Srebrenica.
Par ailleurs, la Procureure générale du TPI, Carla Del Ponte, a confirmé qu’elle ne se rendrait pas à Srebrenica, sauf si les deux principaux responsables du massacre, Ratko Mladic et l’ancien Président des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic, étaient arrêtés d’ici le 11 juillet.
Les deux hommes défient la justice internationale depuis 1995, et se cacheraient toujours en Serbie et dans les zones serbes de Bosnie. Ces dernières semaines, les rumeurs autour d’une possible arrestation de Ratko Mladic se sont multipliées à Belgrade, mais pour l’instant, les fugitifs courent toujours.par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 10/07/2005 Dernière mise à jour le 10/07/2005 à 09:08 TU