France-Brésil
Lula à Paris

(Photo: AFP)
Charles de Gaulle, dont on connaît bien l’engagement à préserver la voix de la France au sein du concert des nations, n’aurait certainement pas désavoué son lointain successeur, qui d’ailleurs s’en réclame et, sur ce dossier, travaille dans son sillage. Le contexte mondial, l’histoire des rapports bilatéraux entre Paris et Brasilia et la doctrine française en matière de relations internationales révèlent en effet l’évidence de la nécessité de partenariat entamé voici une dizaine d’année entre les deux capitales.
Il y a tout d’abord l’écume, visible, avec cette année 2005 que la France dédie au Brésil. Il y a les symboles avec la présence de l’armée brésilienne et du président Luis Inacio Lula da Silva sur les Champs-Élysées à l’occasion de la fête nationale française, le 14 juillet. Mais il y a surtout, en arrière-plan, dix ans de travail acharné avec un géant sud-américain de huit millions et demi de km² (plus de 15 fois la superficie de la France), pour 175 millions d’habitants. Il y a une frontière partagée, dans la forêt guyanaise. Il y a une influence intellectuelle réciproque. Il y a même l’aventure des aviateurs de l’aéropostale. Et une très ancienne tradition de coopération militaire qui démarre lors de la Première guerre mondiale et se poursuit jusqu’au Second conflit mondial, période au cours de laquelle, sous l’impulsion d’une dynamique mission militaire française conduite par le général Gamelin, Paris formait les cadres de l’armée brésilienne.
La seconde guerre mondiale et ses funestes conséquences vont porter une coup d’arrêt quasi fatal à cette dynamique. L’Europe est en ruine et la France ne vaut guère mieux. Si les deux capitales ont, chacune de leur côté, de bonnes raisons de se rapprocher pour tenter d’échapper à l’étreinte de Washington, aucune n’a les moyens d’initier une véritable politique alternative. Malgré cette volonté commune de se démarquer, et de construire du multilatéralisme avant l’âge, les points d’achoppements s’avèrent plus forts que les intersections : au début des années 60, le Brésil marque sa différence en se rapprochant du tiers-monde et de Cuba, en nouant des relations diplomatiques avec l’Union soviétique, ce qui n’est pas pour déplaire à la France, mais, parallèlement, il prend parti contre Paris sur l’Algérie et les essais nucléaires et refuse d’accorder aux super-constellations d’Air France une troisième escale à Rio. Enfin, c’est sous la protection de la marine de guerre française que les langoustiers bretons, plusieurs fois arraisonnés par les bâtiments brésiliens, achèveront leur campagne de pêche en 1963.
Les pilotes de chasse brésiliens volent sur des Mirage
Il faudra attendre l’année suivante et le voyage du président français pour entamer une lente normalisation, compliquée par le fait que le Brésil vient d’entrer dans l’une des périodes les plus sombres de son histoire avec l’avènement d’une dictature militaire qui ne prendra fin qu’en 1985. Les priorités se portent alors sur les questions régionales, la rivalité avec l’Argentine, le contrôle des frontières intérieures et la conquête des provinces amazoniennes, la lutte contre la subversion communiste. Washington est l’allié central jusqu’à l’aube des années 80, date au cours de laquelle Brasilia renoue avec des ambitions internationales dont le partenariat mis en route depuis 1995 avec Paris est l’un des outils.
Cette collaboration s’est traduite par une multiplication des échanges officiels entre les deux capitales et une volonté toujours réaffirmée d’approfondir les relations entre Paris et Brasilia. De fait, le Brésil est le premier partenaire commercial de la France en Amérique latine, et le deuxième (hors OCDE et Maghreb) derrière la Chine. La France est le quatrième fournisseur du Brésil où travaillent quelque 500 entreprises françaises qui y emploient 230 000 travailleurs. La coopération bilatérale recouvre les domaines culturel, scientifique et technique. La coopération transfrontalière est privilégiée entre la Guyane et l’Etat brésilien d’Amapa et, depuis quelques années, l’aspect militaire est relancé.
Quand ils ne volent pas sur leurs propres appareils, made in Brazil, les pilotes de chasse brésiliens volent sur des Mirage III, en attendant la confirmation attendue au cours de la visite de Lula cette semaine d’une commande d’une douzaine de Mirage 2000 d’occasion. Ils tirent des missiles français. Au début de la décennie, les Français ont cédé l’un des anciens fleurons de la Royale aux Brésiliens, le porte-avions Foch. Rebaptisé aujourd’hui le Sao Paulo, ce bâtiment fait de la marine brésilienne la première sud-américaine à être dotée d’un porte-aéronefs.
Option française sur Brasilia
L’enjeu de cet axe Paris-Brasilia est évidemment hautement diplomatique. Paris veut représenter pour le Brésil l’option alternative aux Etats-Unis, celle de relations internationales fondées sur le multilatéralisme. D’ailleurs, les choix brésiliens les plus récents, avec le président Lula, montrent un pays engagé dans cette tendance, solidaire des pays émergents et prêt à payer le prix militaire de cette implication en consentant à déployer ses troupes à l’extérieur du territoire national, comme il le fait actuellement en Haïti où il a pris la tête de la mission militaire des Nations unies. Le Brésil est aussi un trait d’union avec des régimes que Washington rêve de déboulonner, à la Havane ou Caracas.
En matière de diplomatie, les choix français ne relèvent pas des affinités avec les régimes, dès lors qu’ils ne manifestent pas d’hostilité à l’égard de la France. En matière de gestion économique les dirigeants français ont fait leur choix, qui ne sont pas forcément ceux de l’équipe du Parti des travailleurs de Lula, mais ils proclament la souveraineté et l’autodétermination des peuples comme des préalables incontournables. C’est une constante de la diplomatie française. A cet égard, on mesure bien la distance entre un Lula, ancien syndicaliste parvenu au sommet de l’administration de son pays, et un Chirac, pur produit de l’élite nationale française. Pourtant les deux hommes se retrouvent sur le terrain de l’égalité en matière de dignité. Le poids des nations et l’espace qu’elles contrôlent sont des variables fondamentales dans les choix de la diplomatie française. Le Brésil, continent au sein du sous-continent sud-américain, est incontournable pour Paris au même titre que la Chine en Asie, le Soudan en Afrique. La nature du régime importe peu. Paris ne reconnaît que les Etats, critère permanent ; pas les gouvernements, critère plus qu’éphémère de part et d’autre de l’Atlantique.
Ainsi, de la même manière que Paris a reconnu Pékin, à l’époque où la Chine peinait à nourrir ses enfants, la France a pris une option ancienne sur le Brésil. Et elle est en train de remporter son pari. Personne ne conteste plus la place que Brasilia prendra, tôt ou tard, au sein du club très fermé des membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu, lorsque la réforme deviendra incontournable. Victoire brésilienne, satisfaction française.
par Georges Abou
Article publié le 12/07/2005 Dernière mise à jour le 13/07/2005 à 13:00 TU