Brésil
Le soja, nouveau prédateur de l’Amazonie
(Photo : AFP)
De notre envoyée spéciale au Brésil
Santarem, ville paisible de bord de fleuve, dans le nord-est de l’Etat du Para, prend des airs de Far-West. «Depuis deux ans, on voit des violences», explique Philippe Sablayrolle, coopérant technique du Groupe de recherche et d’échanges technologiques (GRET). «On voit maintenant des pistolets, des pressions, des gens qui attaquent les baraques et qui mettent le feu, ça n'existait pas il y a 5 ans. Et ça, c'est dû à une concurrence beaucoup plus forte pour les terres». Les zones de conflits coïncident avec les endroits où la frontière agricole se réactive, où l’on se bat pour la terre.
Dans cette région qui avait connu un premier boum économique grâce au caoutchouc au début du siècle dernier, ce qui a aujourd’hui l’attrait et la couleur de l’or n’est plus qu’une simple céréale : le soja. Mais sa culture a de lourdes conséquences sur la forêt amazonienne : «Sur Santarem, l'impact du soja, c'est d'abord le doublement des surfaces agricoles, au détriment de la forêt. Il y a quelques endroits en Amazonie où ça se passe, dans le sud du Para, dans le Mato Grosso ; mais à Santarem, c'est vraiment un cas d'école», estime Philippe Sablayrolle.
Vêtu d’un simple tee-shirt et d’un jean, comme la plupart des brésiliens, le père Edilberto Moura Sena, parle de Jésus avec douceur et des grands producteurs de sojas avec colère : «Un type, cette année, a par exemple planté 2 443 hectares de soja. Est-ce que vous imaginer ce que ça veut dire ? Cela représente 2 443 hectares de forêt détruite et ça, c'est le fait d'une seule personne ! Imaginez qu'il y a des centaines de types qui font la même chose en même temps en Amazonie». Depuis 4 ans, le père Sena s’est vu confier par l’évêché la direction de la radio du diocèse, Radio Rural Santarem. Sur son antenne, il aborde les problèmes liés à la culture du soja : «Ce que font les gens en Amazonie est un crime, un crime humanitaire car ils dévastent notre terre, ils la désertifient avec la culture du soja. Ils détruisent notre terre pour nourrir les cochons et les poulets d'Europe et de Chine. Ce que fait l'Europe est cruel : elle finance la préservation de l'Amazonie et en même temps, elle encourage les gens à planter du soja car, depuis le problème de la vache folle, elle a besoin d’une nourriture végétale pour nourrir son bétail. C’est pour cela que l’on est en colère et que l’on se bat».
«C'est un processus historique»
C'est à bord d'un 4X4 que les équipes de Greenpeace sillonnent discrètement les frontières agricoles pour constater la progression des cultures de soja. (Photo : Catherine Monnet) |
«Le problème ce n’est pas l’agriculture, c’est l’agriculture illégale», insiste Muriel Saragoussy. La secrétaire de coordination des politiques de l’Amazonie au ministère de l’Environnement rappelle que bien souvent les propriétaires déboisent pour s’approprier les terres. «C'est un processus historique, les terres ont toujours été distribuées comme ça au Brésil ; la constitution garantit que celui qui s'installe, travaille et vit de la terre a le droit de posséder cette terre, jusqu’à 100 hectares. Mais la logique du secteur privée est d'avoir beaucoup d'hectares et de s’approprier davantage de terre. Aucun gouvernement avant nous n'a eu le courage de dire que ce n’était pas possible, aucun n'a eu le courage de prendre les mesures nécessaire pour arrêter ce genre de trafic».
«Le ministre de l'Agriculture est un monstre»
Les convictions des plus grands défenseurs de l’Amazonie, dont l’actuelle ministre de l’Environnement Marina Silva -ancienne compagne de lutte du militant écologiste assassiné Chico Mendes- se heurtent à une réalité économique, à l’origine de nombreuses contradictions.
Dans le processus de déforestation, les essences rares sont les premières extraites du milieu. (Photo : Catherine Monnet) |
Devant un immense champ de soja, le regard fixé sur la lointaine lisière de la forêt amazonienne, Nilo Davila est catégorique : «le gouvernement doit prendre des mesures dures contre le déboisement et contre l'agro-négoce qui coupe légalement la forêt. Il doit mettre en place des politiques qui permettent l'exploitation durable de la forêt». C’est à ce prix et à celui-là seulement, bien éloigné des cours du soja sur le marché, que le Brésil pourra conserver ses ressources naturelles.
par Catherine Monnet
Article publié le 12/07/2005 Dernière mise à jour le 12/07/2005 à 11:08 TU