Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Brésil

Un défenseur des sans-terre dans le far west amazonien

Frère Henri Burin des Roziers.(Photo: Catherine Monnet)
Frère Henri Burin des Roziers.
(Photo: Catherine Monnet)
Cela fait 25 ans maintenant que ce frère dominicain se bat pour les sans terre dans l’Etat le plus violent du Brésil, le Para.

Xinguara, Etat du Para, Brésil
De notre envoyée spéciale

Il y a des hommes qui donnent un sens aux mots foi et engagement. Henri Burin des Roziers fait partie de ceux-là. Cela fait 25 ans maintenant que ce frère dominicain se bat pour les «sans terre» dans l’Etat le plus violent du Brésil, le Para. Avocat de formation, il a délaissé les lambris dorés des tribunaux français pour la chaleur et la poussière du farwest amazonien. C’est dans la petite ville de Xinguara que se trouve le siège de la Commission pastorale de la Terre et où travaille le Frère Henri. Là, comme dans le reste de l’Etat, ce sont les fazeinderos, les grands propriétaires terriens et les éleveurs de bétails, qui font régner leur loi. A coup d’assassinats de paysans, de responsables syndicaux et même de religieux.

Propriétaires terriens et les éleveurs qui font la loi dans l'Etat du Para se retrouvent une fois par an à Xinguara pour des enchères de bétail.
(Photo: Catherine Monnet)


Le 12 février dernier, la soeur Dorothy Stang, a été froidement assassinée dans la localité voisine d’Anapu. La religieuse américaine était engagée dans le même combat que le frère Henri, auprès des sans terre. Son meurtre «a été une bombe» reconnaît Henri Burin des Roziers, «ça a créé un vent de panique au Brésil, car si ils ont été capable de tuer une religieuse étrangère de 73 ans qui était très connue, alors cela voulait dire qu’ils pouvaient tuer n’importe qui». De fait, dans les jours et les semaines qui ont suivit d’autres syndicalistes ont été assassinés. Et puis très rapidement, certains journaux brésiliens ont publié, comme il le font parfois, les barèmes en cours, le prix des personnes à abattre… «Car la tête d’un syndicaliste, d’un avocat ou d’un religieux ne vaut pas la même chose» explique avec un calme sourire le frère Henri avant de poursuivre : «juste au dessus de la photo de sœur Dorothy, où il y avait le chiffre 50 000 réals, il y avait ma photo, avec aussi un révolver pointé dans ma direction et le barême de 100 000 réals ; soit 30 000 euros environ».

C’est la tête d’Henri Burin des Roziers qui vaut le plus cher en ce moment au Para, mais ça ne l’émeut guère. Même si cette fois, il n’a pas eu d’autres choix que d’accepter la protection policière que les autorités de l’Etat lui ont alors imposée. «Moi, je suis convaincu qu’il ne m’arrivera rien, mais au moins maintenant mon équipe est plus tranquille» concède t-il seulement.

Le frère Henri écoute des sans terre installés dans un camp de fortune sur le bord d'une route.
(Photo: Catherine Monnet)

Les deux sympathiques policiers en civils qui se relaient désormais 24 heures sur 24 auprès du frère Henri, sont la seule conséquence visible du meurtre de sœur Dorothy. Pour le reste, rien n’a changé. Henri Burin des Roziers continue inlassablement, à 75 ans, de se battre, avec la même conviction, pour les sans terre et les victimes de violence policière. Dès les premières heures du jour, l’infatiguable religieux à la chevelure argentée prend sa voiture pour aller à la rencontre de ceux qui, comme lui, se battent pour défendre la justice dans cet état sans loi. Et de la persévérance, il en faut, car ici les procès traînent de longues années, quand ils finissent par aboutir… «On en peut pas s’occuper de tous les cas, regrette Henri Burin des Roziers, alors on choisit de suivre des affaires emblématiques et qui auront, si on obtient des sanctions, un effet dissuassif contre les fazeinderos ou les policiers coupables de violences arbitraires».

La justice et l'évangile ont toujours été liés chez Henri Burin des Roziers.
(Photo: Catherine Monnet)


Si sa foi lui a donné très jeune le sens de la justice, Henri Burin des Roziers reconnaît que pour lui «le problème de la terre au Brésil, a été une révolution». Avant, il ne se rendait pas compte «des inégalités au Brésil, de l’existence de ces propriétés de milliers d’hectares alors que des milliers de gens restent en bordure de route et meurent de faim». Il ne se rendait pas compte «de la violence liée à la terre, de la mafia, des organisations de fazeinderos pour tuer des paysans qui luttent pour la terre, des grands propriétaires qui ont leurs tueurs à gage, leurs milices»… Mais c’est dans cet autre Brésil, «qu’il n’avait jamais imaginé» que cet homme s’est lancé avec une constante humilité dans une bataille qui semble sans fin. Mais le temps lui importe peu, car «ce qui compte c’est de se battre pour une cause juste. Et cette cause est juste».


par Catherine  Monnet

Article publié le 13/07/2005 Dernière mise à jour le 15/08/2005 à 19:39 TU