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Etats-Unis / Inde

L’Inde élevée au rang de «partenaire stratégique»

Le président américain et le Premier ministre indien sont déterminés à développer «<EM>la coopération dans les domaines du nucléaire civil, de la technologie spatiale et des échanges de hautes technologies</EM>».(Photo : AFP)
Le président américain et le Premier ministre indien sont déterminés à développer «la coopération dans les domaines du nucléaire civil, de la technologie spatiale et des échanges de hautes technologies».
(Photo : AFP)
La visite à Washington du Premier ministre indien confirme la volonté réciproque de rapprochement entre les deux pays, engagés dans un partenariat stratégique. Après de longues décennies marquées par la méfiance réciproque, les points de convergence entre Washington et New Delhi prennent les pas sur les points d’achoppement. Même les affaires de transgression nucléaire ne semblent plus indépassables.

Nehru se retourne dans sa tombe : l’un des chefs de file du mouvement des non-alignés est bien en train de tomber dans les bras de Washington ! Certes au nom des intérêts bien compris des peuples indien et américain, mais tout de même : établir un partenariat stratégique avec les Etats-Unis au moment où siège à Washington l’une des administrations les plus conservatrices relève pour l’Inde du défi à sa propre histoire. Sauf que l’Inde ne nuit plus aux intérêts de l’Amérique, qui la considère désormais comme une puissance émergente qu’il convient de ménager et avec laquelle il faut compter. Sauf que l’Inde n’est plus un monstre internationaliste, gauchiste et vaguement pro-soviétique. L’administration Bush l’a compris : l’Inde ne fait plus partie du problème ; pour Washington, aujourd’hui New Delhi serait même plutôt une partie de la solution.

Là réside l’essentiel du message délivré lors de la visite à Washington du Premier ministre Manmohan Singh, confirmé à l’occasion comme «partenaire stratégique» des Etats-Unis. Les deux pays semblent désormais déterminés à dépasser définitivement l’époque révolue de la guerre froide, à enterrer la brouille causée par l’entrée de l’Inde au sein du club des puissances nucléaires militaires, en 1998, et à aller de l’avant. Il y a quelques semaines, les deux capitales s’étaient entendues sur le volet militaire. Lundi à Washington, le président George W. Bush a annoncé que la prochaine étape consisterait à développer la «coopération dans les domaines du nucléaire civil, de la technologie spatiale et des échanges de haute technologie».

Schizophrénie nucléaire

Selon le texte de la déclaration commune, le président américain va demander au Congrès de son pays de lever les sanctions imposées contre New Delhi de façon «à aboutir à une coopération totale avec l’Inde dans le domaine du nucléaire civil pour accompagner ses efforts de développer l’énergie nucléaire et garantir sa sécurité énergétique». L’administration américaine annonce également son intention de «travailler avec ses amis et alliés pour que les régimes internationaux en vigueur autorisent une coopération des échanges dans le nucléaire civil avec l’Inde». En échange, les autorités indiennes s’engagent à travailler avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), en plaçant ses installations civiles sous le contrôle des inspecteurs de l’agence, ainsi qu’à poursuivre son moratoire sur les essais atomiques, et à ne pas transférer de technologie proliférante. La déclaration mentionne également une action des Etats-Unis auprès de leurs partenaires pour une éventuelle participation des chercheurs indiens au projet du futur réacteur expérimental de fusion nucléaire international ITER.

La realpolitik a des airs de schizophrénie. Le revirement américain sur ce dossier sensible du nucléaire traduit un changement d’attitude révélateur de la place prise par l’Inde dans la recomposition du panorama international, vu de Washington. La Maison Blanche offre une coopération nucléaire civile, mais affecte de ne pas reconnaître la super-puissance militaire, tandis que New Delhi refuse de signer le Traité de non-prolifération (TNP), mais place ses installations civiles sous le contrôle de l’AIEA. C’est donc bien une reconnaissance de la politique du fait accompli à géométrie variable, selon les intérêts de l’Amérique. Le sous-secrétaire d’Etat américain Nick Burns souligne que tout «cela ne veut pas dire que les Etats-Unis reconnaissent dorénavant l’Inde comme une puissance nucléaire». «Il s’agit du triomphe de la politique des grandes puissances aux dépens de la non-prolifération», traduit l’expert américain Joseph Cirincione, de la Fondation Carnegie pour la paix cité par l’agence Reuter.

Sortir du face-à-face Washington-Pékin

Derrière ce dossier, il y a donc la volonté de contribuer à l’indépendance énergétique de l’Inde. C’est à dire diminuer la tension sur un dossier qui affecte directement la stratégie de Washington au Moyen-Orient et éloigner le spectre de la constitution d’un axe politico-économique Pékin-New Delhi visant à modérer les ambitions de l’administration américaine tout en garantissant la sécurité des approvisionnements des deux géants, en concurrence avec les appétits des pétroliers américains. Car, à cet égard, la Chine et l’Inde ont également de bonnes raisons de s’entendre pour, à la fois accéder aux matières premières qui leur font défaut et ne pas laisser les grandes décisions entre les seules mains de la Maison Blanche. Face à la conduite américaine des affaires internationales, et au leadership de Washington, les intérêts des deux capitales convergent donc sur l’établissement de relations internationales fondées sur le multilatéralisme, quoi qu’elles en pensent au fond.

Si l’Amérique a besoin de l’Inde, l’inverse est également vrai. Tout d’abord la fédération indienne compte quelque cent-cinquante millions de citoyens musulmans et a donc de bonnes raisons de souhaiter le succès du projet américain de démocratisation du Proche et Moyen-Orient. Outre des échanges fructueux, Washington peut aider New Delhi sur le dossier de la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU. Cependant les deux capitales sont, apparemment, très éloignées dans leur conception des relations internationales et du rôle de l’organisation internationale, marginal pour la Maison Blanche, central pour l’Inde tant qu’il contribue à limiter la toute-puissance américaine. Pour le reste, la super-puissance indienne émergente, farouchement indépendante et nationaliste, partage certainement à l’égard de l’organisation internationale et ses capacités à contribuer à un monde plus juste et plus sûr le même mépris que Washington. La confiance de l’Inde dans le multilatéralisme, façon ONU, n’a pas résisté à la gestion de la crise indo-pakistanaise toujours pendante, depuis 1947. Depuis, New Delhi a préféré confier la gestion de ses différends extérieurs à ses généraux. Comme les Américains.

Désaccord sur la réforme de l’ONU

En tout cas, sur cette question de la réforme de l’ONU et l’obtention d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité pour l’Inde, les deux partenaires stratégiques ne sont pas sur la même longueur d’onde. Le ton des déclarations indiquent que la querelle n’est pas épuisée. «Lors de nos entretiens, le président et moi-même sommes tombés d’accord sur le fait que la réalité contemporaine doit être pleinement représentée dans les institutions centrales et le processus de décision des Nations unies», a déclaré Manmohan Singh. De son côté, la partie américaine indique «que les institutions internationales vont devoir s’adapter pour refléter le rôle central et grandissant de l’Inde». Une formulation qui laisse ouverte la voie à toutes les interprétations mais qui, en l’état, ne garantit sûrement pas l’appui des Etats-Unis à la demande indienne d’intégrer le club des membres permanents du Conseil. D’autant que le voisin, et ennemi, pakistanais de New Delhi, qui compte parmi les plus proches alliés des Etats-Unis, est évidemment farouchement opposé à une telle perspective. Le statut d’hyper-puissance de l’Amérique lui offre la possibilité d’une posture singulière qui consiste donc à ne pas choisir entre les deux ennemis et à proclamer qu’ils sont tout deux ses «partenaires stratégiques».

Le président Bush est attendu en Inde en 2006.


par Georges  Abou

Article publié le 19/07/2005 Dernière mise à jour le 19/07/2005 à 17:42 TU