Madagascar
Pour Chirac, la répression de 1947 était «inacceptable»
(Photo: AFP)
L’Histoire de la colonisation française retient comme une marque tout particulièrement sanglante la répression de l’insurrection malgache du 29 mars 1947. A l’instar des médias français de l’époque, l’Histoire de France a en revanche choisi de l’occulter. Jacques Chirac a entrouvert le rideau de silence. Mais il ne s’est pas étendu sur les heures noires sonnées par la France dans son ancienne colonie (indépendante depuis le 26 juin 1960). Marc Ravolomana ne l’a pas non plus incité à évoquer plus avant la conquête au canon de Madagascar par le général Duchesne. Il aurait fallu égrener toute une liste de héros de la bataille de la Marne, inscrits au panthéon de la bravoure française. Le général Gallieni, par exemple, qui se vit confier en 1896 le commandement civil et militaire de la Grande île, pour mater les partisans de la turbulente reine Ranavalona. Celle-ci fut finalement déposée et exilée tandis que Gallieni poursuivait d’une main de fer sa mission de «francisation», instaurant le travail forcé et appuyant l’immigration de colons à Madagascar. Autre héros français de la Première Guerre mondiale, le futur maréchal Lyautey arriva en renfort en 1900, pour achever la «pacification» du Sud.
Au passage des généraux Gallieni et Lyautey, le nouvel armement français avait fait ses preuves à Madagascar, en prévision de la Grande Guerre, pour laquelle Madagascar a fourni son quota de chair à canon. Entre les deux guerres, malgré la très rude «pacification», la résistance malgache à la domination française a multiplié les sociétés secrètes. En 1940, la défaite de la France face à l’Allemagne a ébréché le mythe de l’invincibilité de son armée. Conjugué au travail forcé, l’effort de guerre exigé des Malgaches, en riz et en hommes (15 000 serviront sous les drapeaux français), les réquisitions de toute sorte ont en même temps grossi les réseaux indépendantistes des Patriotes nationalistes malgaches (Panama) et de la Jina respectivement fondés en 1941 et en 1943. Parallèlement, les fidélités vichystes de l’administration coloniale menaçaient alors la France de perdre Madagascar. Et à la libération, le général de Gaulle aura dû beaucoup insister pour que les Britanniques lui «rendent» l’île qu’ils ont occupée en 1942 après un débarquement à Diego-Suarez. Entre temps, son discours de Brazzaville avait donné quelque espoir d’émancipation à l’élite urbaine malgache.
Espoirs d'émancipation réprimés
En novembre 1945, deux médecins malgaches représentent la Grande île dans la première Constituante d’après-guerre, Joseph Raseta et Joseph Ravoahangy. Ils seront élus à l’Assemblée nationale française en novembre 1946 avec un troisième représentant malgache, le futur écrivain, Jacques Rabemananjara. Au début de cette même année 1946, les trois hommes ont participé à la création d’un Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM). Cette rénovation, ils l’inscrivent dans un projet de loi indiquant que «Madagascar est un Etat libre ayant son propre gouvernement, son Parlement, son armée, ses finances, au sein de l’Union française». Le texte est repoussé. Mais à Madagascar, l’opinion est gagnée à la cause défendue par les députés. En France, le ministre socialiste des Colonies, Marius Moutet s’en inquiète. En septembre 1946, il proclame «la lutte contre l’autonomisme malgache». Un vent de révolte se lève. Quelques mois plus tard, une insurrection armée éclate, débordant le MDRM.
L’Empire français s’efforce de ravaler sa façade avec l’Union française. De l’autre côté du continent africain et de l’Atlantique, les Etats-Unis le fustigent. A Madagascar, colons et autochtones savent qu’une révolte se prépare. Les députés malgaches aussi bien sûr. Le 27 mars, ils lancent un appel au calme. L’administration française arrache les affichettes qu’ils ont fait apposer. Elle les accusera ensuite d’avoir eux-mêmes fomenté l’opération, l’appel au calme devant servir de feu-vert. Arrêtés et torturés, les députés seront pour deux d’entre eux condamnés à mort, le troisième au bagne à perpétuité. Leurs peines finalement commuées, ils feront neuf ans de prison. Le 29 mars 1947, des attaques ont semblé dans un premier temps surprendre le dispositif sécuritaire français. Mais très vite, le MDRM est désigné comme la cible principale d’une répression qui use de tous les classiques – encore inédits à l’époque – de la guerre psychologique et de la stratégie de la terreur : arrestations et exécutions massives, torture, villages brûlés, prisonniers jetés vivants depuis un avion.
L’insurrection compte dans ses rangs de nombreux «tirailleurs» malgaches, ulcérés par l’absence de reconnaissance de la «mère patrie» à leur égard. Beaucoup de cheminots participent aussi à la guérilla qui s’incruste dans la forêt de l’Est et suit la ligne de chemin de fer. Les insurgés se réclament d’un ressourcement identitaire contre l’assujettissement colonial. Mais ils ont davantage de sagaies que de fusils d’assaut. Et surtout, ils comptent trop sur le soutien militaire de Washington. Il ne viendra jamais. En décembre 1948, les derniers carrés de résistants s’enfoncent pour longtemps dans la forêt malgache. De 18 000 hommes à la mi-avril 1947, le corps expéditionnaires dépêchés sur place a atteint des effectifs de 30 000 hommes.
Officiellement 89 000 morts malgaches
Les forces coloniales auraient perdu 1 900 hommes supplétifs malgaches dans la bataille. Sur les 30 000 européens cohabitant avec les quatre millions de Malgaches de 1947, 550 auraient été tués dont 350 militaires. Selon les comptes officiels de l’état-major français, les vingt mois de répression auraient fait, directement, 89 000 morts malgaches. En janvier 1949, le haut-commissaire de Madagascar, Pierre de Chevigné a revu cette évaluation à la hausse, en lui ajoutant les pertes enregistrées par les fuyards dans la forêt, et en estimant le bilan final à «plus de 100 000 morts».
L’insurrection malgache de 1947 a précédé d’une poignée d’années la défaite française en Indochine et le début de la guerre d’Algérie. Le taba taba (les troubles), comme disent toujours les Malgaches, a finalement été passé à la trappe des mémoires collectives, à Madagascar comme en France. A l’occasion de cette visite destinée à resserrer les liens, Jacques Chirac a qualifié d'«inacceptable» la répression de 1947. Marc Ravalomanana a répondu qu’il était prêt à tourner la page. «Les relations entre la France et Madagascar sont en bonne santé. Le ciel est bleu», il ne faut «pas oublier» 1947, convient-il avec le président Chirac, mais il s’agit d’abord de célébrer «la bonne santé» retrouvée des relations franco-malgaches.
par Monique Mas
Article publié le 22/07/2005 Dernière mise à jour le 22/07/2005 à 13:49 TU