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Guinée-Bissau

L’inconnue des reports de voix

2 455 bureaux de vote pour le second tour des élections seront ouverts et 12 000 personnes seront sur le terrain pour leur bon déroulement.(Carte: RFI)
2 455 bureaux de vote pour le second tour des élections seront ouverts et 12 000 personnes seront sur le terrain pour leur bon déroulement.
(Carte: RFI)
Dimanche, le deuxième round de la joute présidentielle sera sous la haute surveillance de la Commission nationale électorale (CNE), mais aussi et surtout de la junte militaire qui avait défait Kumba Yala en septembre 2003, des partisans civils et militaires de ce dernier comme de ceux qui soutiennent l’autre poids lourd de l’histoire tourmentée de Bissau, l’ancien président Joao Bernardo Vieira, «Nino», chef incontesté pendant deux décennies de l’ancien parti unique, le Parti pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-vert (PAIGC). «L’infidèle» PAIGC a choisi d’opposer Malam Bacai Sanha à «Nino» Vieira. Eliminé au premier tour, Kumba Yala appelle à voter pour Vieira. Les résultats dépendront des reports de voix. Le suspense reste entier.

Sur le papier, le candidat «indépendant» Joao Bernardo Vieira part favori. Il a recueilli 28,87% des suffrages au premier tour, le 19 juin dernier. Arrivé en troisième position, le chef du Parti de la rénovation sociale (PRS), Kumba Yala a décidé de lui apporter ses 25% d’électeurs pour contrer Malam Sanha, qui a fait 35,45 % au premier tour.L’addition est vite faite. Yala promet une nouvelle défaite au candidat du PAIGC, qu’il a déjà privé de la magistrature suprême, en 2000. Autre argument mathématique: les législatives de 2004. Elles avaient donné 45 sièges sur 100 au PAIGC, mais 35 au PRS de Yala et 17 au Parti uni social et démocrate (PUSD) de l'ancien Premier ministre Francisco Fadul. Ce dernier s’est également prononcé en faveur de Vieira au second tour de la présidentielle. Mais justement, seize des députés du PUDS ont annoncé qu’ils ne suivraient pas les consignes de Fadul. Et les partisans de Yala non plus ne sont pas  décidés à voter comme un seul homme pour Vieira.

«Nous ne sommes pas des moutons!»

«Kumba Yala a décidé tout seul de soutenir Nino Vieira, il n'a pas consulté le parti. Nous ne sommes pas des moutons pour le suivre aveuglément», lançait déjà, il y a quinze jours, le directeur de campagne du candidat malheureux, Carlito Barai. Et la semaine dernière, l’ancien Premier ministre de Kumba Yala, Mario Pires, et son ancien ministre de la Communication, Isidoro Alfonso Rodrigues, deux personnalités éminentes du PRS, sont entré en campagne contre Vieira. D’ailleurs, à Bissau, personne n’a oublié les manifestations des militants du PRS descendus dans la rue au lendemain des résultats du premier tour pour protester contre l’élimination de Kumba Yala. Quatre d’entre eux au moins avaient été tués par la police dans leur tentative d’assaut contre le siège de la CNE. Kumba Yala s’était alors fait prier, notamment par le président Abdoulaye Wade, pour admettre son échec. Samedi dernier, Bissau a de nouveau tremblé avec une attaque armée contre le palais présidentiel et d’autres bâtiments civils et militaires. Selon le dernier bilan officiel, deux policiers ont été tués et dix autres blessés. Les autorités se sont toutefois efforcées de minimiser l’opération conduite par des militaires appartenant à un régiment de parachutistes. Le ministre de l'Administration interne (l’Intérieur), El Hadj Mumini Embalo, assure toutefois qu’un député du PRS de Kumba Yala a participé «de près ou de loin» aux attaques.

L’assise communautaire de Yala (les Balante qui représentent quelque 25 % de la population) n’a guère de raisons de soutenir le candidat Vieira dont elle a subi le joug autoritaire pendant son interminable mandature, entre 1980 et 1999. Sur ce terrain, le signe distinctif des initiés balante, le bonnet rouge de Yala, pourrait bien ne pas opérer. Certains officiers balante avaient d’ailleurs participé au renversement de Vieira. Autre instrument de conquête des cœurs bissau-guinéens, l’étendard sacré de la guerre de libération. Ancien électricien, général de division et commandant des forces armées sous Amilcar Cabral, «Nino» voulait redevenir le porte-drapeau du PAIGC. Il a dû concourir sans étiquette, le PAIGC maintenant son choix en faveur de Malam Bacai Sanha. Ancien responsable de «la jeunesse révolutionnaire» du PAIGC, Sanha affectionne toujours de coiffer le bonnet de laine bicolore cher au héros de la libération nationale. Diplômé de l'ex-Allemagne de l'Est en sciences sociales et politiques, Sanha est aussi un tribun. Il a dirigé la centrale syndicale (UMTG) et longtemps siégé à l'Assemblée nationale. Il en a même été le président, entre 1994 à 1998. C’est à ce titre que les tombeurs militaires de Vieira l’avaient nommé président de la République par intérim en 1999, jusqu’à l’élection de Kumba Yala, en 2000.

Aujourd’hui, aux yeux du PAIGC, Malam Bacai Sanha fait figure de troisième homme, entre Vieira et Yala. A l’épreuve de la réalité du pouvoir, ces derniers n’ont pas démontré leur capacité à remettre le navire bissau-guinéen à flot, du premier putsch (en novembre 1980) qui porta «Nino» au pouvoir, au dernier en date qui déchut Yala. Entre les deux, la Guinée-Bissau a connu le chaos de la guerre civile avec la rébellion du général Ansulane Mané, en 1999, et toutes sortes de péripéties politico-militaires. La semaine dernière, le Premier ministre Carlos Gomes, le président du PAIGC et «Nino» Vieira ont échangé des noms d’oiseaux, le premier traitant le second de «bandit», Vieira rétorquant : «il a usurpé ma société pétrolière, mes maisons et les biens de ma famille. C'est pour cela qu'il a peur que je revienne au pouvoir». La compétition porte aussi en effet sur ce terrain-là, à Bissau, où l’on n’a encore jamais vu un ancien président consacrer son temps à une paisible retraite. La partie de bras de fer à trois se poursuivra dimanche dans les urnes. Les jeux ne sont pas faits.


par Monique  Mas

Article publié le 23/07/2005 Dernière mise à jour le 23/07/2005 à 10:24 TU