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Yémen

Les émeutes du pétrole font des morts

De violents affrontements ont émaillé les journées de mercredi et de jeudi dans plusieurs villes du Yémen, causant la mort d’une quarantaine de personnes. Dans tout le pays, la contestation populaire a commencé à se faire entendre après l’annonce d’une augmentation colossale des prix des carburants. Le gouvernement de ce petit pays producteur présente cette mesure comme une solution pour réduire son déficit budgétaire. Dans la rue, la population prise à la gorge s’est violemment affrontée aux forces de sécurité déployées en masse.

Scènes de destruction, d’affrontements meurtriers, voitures et magasins vandalisés : le mouvement de protestation populaire a très vite dégénéré en émeute mercredi et jeudi, dans les rues de la capitale yéménite, ainsi que dans plusieurs villes du nord et du sud du pays, où les tanks ont été déployés. 

Pendant près de deux jours, le chaos a gagné le pays lorsque plusieurs milliers de personnes se sont jeté dans la rue pour huer le pouvoir qui s’est prononcé en faveur d’une suppression des subventions sur les produits pétroliers, sous prétexte de réduire le déficit public. Les prix des carburants n’ont pas tardé à doubler en quelques heures : celui du litre d’essence est passé de 35 riyals (0,32 dollar) à 65 riyals, et le gazole de17 riyals (0,16 dollar) à 45. De telles mesures pourraient notamment causer une augmentation des prix des titres de transports publics estimée à 38%. Une situation insoutenable pour les habitants de ce pays, le plus démuni du monde arabe (520 dollars de PIB par habitant 2003, Banque mondiale), où le taux de chômage frise les 36%. Petit producteur (450 000 barils par jour), non membre de l’OPEP, le Yémen vit en grande partie de son pétrole, découvert en 1986. Personne au sein de la population ne semble toutefois bénéficier des richesses de cette industrie.

Les opposants au régime d’Al Abdoullah Saleh, élu premier président yéménite en 1999 avec 96% des suffrages, dénoncent une volonté de frapper les populations les plus pauvres, au profit de dirigeants accusés de corruption. Le Yémen, allié fidèle des Etats-Unis, dans la lutte contre le terrorisme, a signé un accord bilatéral afin d’ouvrir son économie aux investisseurs étrangers. Depuis 1995, il est engagé dans un programme de réformes structurelles, supervisé par la Banque mondiale et du Fonds monétaire international qui prévoit une assistance financière, en échange de mesures de privatisations.

Heurts les plus meurtriers depuis 1998

Face à cette rébellion populaire, la plus importante depuis plus sept ans, d’importantes forces de sécurité ont été déployées dans la capitale, à grand renfort de chars, de véhicules blindés et de gaz lacrymogènes, notamment autour du palais présidentiel, des ministères et des locaux des compagnies pétrolières. Plusieurs groupes de manifestants ont pris pour cible les demeures des membres du gouvernement, y compris celle du Premier ministre, Abdul-Qader Bajammal, qui a appelé la population à « faire la différence entre la liberté d’expression et la liberté de destruction ». Dans Saana, des hauts-parleurs laissaient entendre les voix des responsables des forces de sécurité, invitant les Yéménites à ne pas participer « aux actes destructeurs car la stabilité du pays est la responsabilité de tous les citoyens ». Malgré cela, un cocktail détonnant a opposé des policiers anti-émeutes remontés à des manifestants souvent armés, causant la mort d’au moins 49 personnes dans tout le pays, ainsi qu’une cinquantaine de blessés. Pendant plusieurs heures, une partie des moyens de transports et la quasi totalité des lignes de communication ont été coupées. 

Pour la première fois, les émeutes ont même gagné le port méridional d’Aden, où deux manifestants auraient été tués au cours d’accrochages avec la police, selon des témoins. Autre ville particulièrement secouée, celle de Houdeida, située au bord de la mer Rouge, où des installations pétrolières ont été visées par plusieurs émeutiers. Trois d’entre eux ont été tués par les forces de sécurité. A Taëz enfin, dans le sud du pays, deux personnes ont péri, dont un enfant de neuf ans. Ce n’est pas la première fois que ce petit pays de 25 millions d’habitants se trouve face à ce type d’implosion. A la mi-mars, des premières émeutes étaient survenues, après l’annonce de l’introduction d’une nouvelle taxe. En 1998, également, 34 personnes avaient été tuées suite à des affrontements liés à une hausse des prix.

Depuis vendredi matin, jour de repos hebdomadaire, le calme semble avoir regagné le pays, mais déjà, certains craignaient une reprise des heurts, après la grande prière, à la mi-journée. Pour l’heure, aucun groupe politique n’a été tenu pour responsable du déclenchement de ces émeutes. Selon le Yemen Observer, plusieurs journalistes yéménites auraient été arrêtés par les forces de sécurité, et leurs cassettes confisquées, a confirmé le Syndicat des journalistes yéménites. 


par Julie  Connan

Article publié le 22/07/2005 Dernière mise à jour le 02/08/2005 à 11:06 TU