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Corée du Nord

Quand Washington cède devant Pyongyang

Plus d’un an après la rupture du dialogues entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, un timide dégel se fait sentir. Lundi, des émissaires des deux pays se sont rencontrés à Pékin, pour marquer leur volonté commune d’avancer sur le contentieux nucléaire qui les oppose depuis 2002, à la veille de la reprise des négociations à six, avec la Corée du Sud, la Chine, le Japon et la Russie, à Pékin. Cette fois, Pyongyang ne compte pas claquer la porte à ses interlocuteurs, décidés à la dissuader de stopper son programme nucléaire, en échange d’une aide économique et de garanties de sécurité. Mais ce quatrième cycle de négociations, marqué par les bonnes résolutions de chacun, pourrait entériner la position de force de Pyongyang, résolue à faire plier Washington sur un certain nombre de questions, en échange de ses concessions en matière nucléaire.

George W. Bush était passé maître en noms d’oiseaux, pour affubler son homologue, et non moins dictateur stalinien, Kim Jong-il, président de la Corée du Nord, qualifié tantôt de « personne dangereuse », ou de « tyran » à la tête d’un Etat membre de l’« axe du mal », et à l’« avant-poste de la tyrannie ». Cette litanie de mots doux pourrait bien disparaître, à en croire les récentes déclarations de bonne volonté de part et d’autre du Pacifique. Lundi, le secrétaire d’Etat adjoint pour le Pacifique et l’Extrême-Orient, Christopher Hill et le vice-ministre nord-coréen des Affaires étrangères Kim Kye-Gwan se sont retrouvés autour d’une table pendant une heure et quart, à Pékin, où se déroulera mardi, le quatrième cycle de négociations entre les deux pays depuis août 2003, entre la Corée du sud, le Japon, les Etats-Unis, la Russie et la Chine. Ce prélude laisse augurer une vraie volonté d’avancer sur des dossiers épineux. Une première pour les deux pays à la veille de la reprise des pourparlers multinationaux. « Nous tentons simplement de nous mettre au fait de la situation, de passer en revue comment nous voyons les choses évoluer et de comparer nos notes », a sobrement déclaré l’émissaire américain à la sortie de l’entrevue.

Il y a quelques mois une telle rencontre n’était même pas envisageable, depuis les impasses face auxquelles s’étaient retrouvés les deux pays, lors des trois derniers pourparlers. En 2002, les Etats-Unis avaient ainsi accusé la Corée du Nord de violer l’accord stipulant le gel de son programme nucléaire. Motif de ce retournement de situation ? Soumise à de multiples pressions, Washington s’est finalement résolu à revoir sa copie au sujet de celui qu’il sied désormais d’appeler « Monsieur Kim Jong-il ». Au début du mois, la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice avait radouci le ton, en annonçant que les Etats-Unis n’avaient plus l’intention d’attaquer le « Royaume Ermite», reconnu comme souverain et retiré du même coup de la liste des pays membres de l’« axe du mal » qui sponsorisent le terrorisme. « Nous n’avons besoin d’aucun missile nucléaire si la menace nucléaire américaine est levée », avait aussitôt répondu à cela un officiel nord-coréen. Autre signe de la nouvelle policy américaine, la possibilité, rapporte l’agence japonaise Kyodo News, d’ouvrir un bureau de liaison tenant lieu de représentation diplomatique permanente si la Corée du Nord renonce à son programme nucléaire.

Pyongyang en position de force

A l’origine de ce changement de stratégie américaine, les lourdes pressions internationales, notamment exercées par le Japon et la Corée du Sud. « Tokyo et Séoul refusent de prendre le risque d’avoir une puissance nucléaire incontrôlée et paranoïaque tout près de chez eux », explique Barthélémy Courmont, chercheur à l’IRIS et spécialiste des questions nucléaires et des Etats-Unis. L’administration américaine qui craint de s’isoler diplomatiquement, a réalisé qu’elle ne pouvait pas attaquer la Corée du Nord, comme elle l’a fait avec l’Irak. « C’est la politique à deux visages promue par Condoleezza Rice : d’accord pour utiliser la force en Irak où il n’y a pas d’arme nucléaire. Mais ils ne peuvent pas prendre ce risque avec un Etat comme la Corée. C’est donc la diplomatie qui prévaut », poursuit Barthélémy Courmont.

Dans ce contexte, la reprise des pourparlers ne surprend personne, dans la mesure où la « Première dynastie communiste » se retrouve en position de force face à des négociateurs aux visées modestes. Kim Jong-il n’a d’ailleurs pas hésité à rédiger une liste de vœux, telle une lettre au père Noël. Il sait qu’il peut obtenir tout ce qu’il réclame : sortir de l’axe du mal, signer un nouvel accord énergétique avec les Etats-Unis et la Corée du Sud, recevoir une aide humanitaire de la part du Japon et de la Corée du Sud pour nourrir le tiers de ses 22,7 millions d’habitants, et obtenir le retrait planifié des quelque 32 500 soldats américains présents sur le territoire. Sans oublier, « le plus humiliant de tous, la garantie de non-agression ». « En échange, la Corée du Nord doit juste offrir l’accès à ses sites nucléaires aux inspecteurs de l’AIEA (Agence international de l'énergie atomique), ce qui ne garantit en rien qu’elle abandonne son programme nucléaire ! », précise M. Courmont. Avec la presse américaine, on peut douter de l’honnêteté de Kim Jong-il dans ces négociations. Et le chercheur d’ajouter. « Rien ne l’empêche d’utiliser le même scénario dans quelques années ! De toute manière, l’AIEA n’a jamais vraiment pu vérifier l’étendue de son programme nucléaire. Tout cela peut être un gros coup de bluff ! » 


par Julie  Connan

Article publié le 25/07/2005 Dernière mise à jour le 15/09/2005 à 14:02 TU

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Michaël Sztanke

Journaliste à RFI

«Il semblerait que Washington soit en train de céder du terrain aux exigences de la Corée du Nord…»

Jean-Vincent Brisset

Directeur de recherche à l'Iris, l'institut de relations internationales et stratégiques

«Prudence, les Etats-Unis et la Corée du Nord jouent un jeu assez pervers.»

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