Politique française
Autoroutes : les concessions de Villepin
Photothèque ASF
C’est François Bayrou, le président de l’UDF, qui le premier, s’était inquiété de la privatisation des autoroutes françaises. L’Etat est en effet l’actionnaire majoritaire des trois sociétés : Autoroutes du Sud de la France (ASF), Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et la société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France (Sanef). Le gouvernement n’avait pas encore décidé si, avec ces 10 ou 11 milliards d’euros, il lancerait de grands programmes d’infrastructures ou ferait un peu baisser le déficit du budget de la France. Mais François Bayrou, président d’une petite formation politique de droite, qui cherche à se démarquer de l’UMP et de la politique du gouvernement Villepin, a protesté, rappelant que les autoroutes ont été payées par les usagers à travers les péages. François Bayrou remarquait également que ces équipements lourds étaient sur le point de rapporter beaucoup d’argent à l’Etat puisque leur remboursement est presque terminé. Donc si l’Etat décidait de maintenir les péages, ces autoroutes étaient susceptibles «de rapporter des sommes assez considérables».
«un choix contraire à l’intérêt général»
Ce vendredi, François Bayrou a donc annoncé son intention de saisir le Conseil d’Etat : «J’ai décidé d’introduire un recours devant le Conseil d’Etat pour excès de pouvoir dès que le décret de privatisation aura été pris», a indiqué le patron de l’UDF à l’occasion d’une conférence de presse motivée par cette affaire, la privatisation des autoroutes françaises. François Bayrou a par ailleurs précisé que «la vente à des intérêts privés des sociétés concessionnaires d’autoroutes est un choix contraire à l’intérêt général. C’est une décision que le gouvernement n’a pas le droit de prendre sans une autorisation du parlement».
Auparavant, Dominique Perben, le ministre des Transports, avait fait une mise au point. «Les autoroutes restent dans le domaine public, c’est le droit de les exploiter pendant une certaine durée qui sera confié à des entreprises qui deviennent privées. A l’échéance des concessions, entre 2026 et 2032, celles-ci reviendront à l’Etat qui pourra les concéder de nouveau. L’Etat, s’il le souhaite, reconcède dans le cadre d’une procédure de concurrence», a expliqué Dominique Perben.
L’avenir des autoroutes françaises avait déjà pris une tournure politique car jeudi, au cours de sa conférence de presse mensuelle pour parler de la lutte contre le chômage, Dominique de Villepin avait ironisé sur les propos de François Bayrou jugeant «scandaleuse» la privatisation des autoroutes. Le Premier ministre avait déclaré : « Bref message SMS : même au cœur de l’été, le standard de Matignon fonctionne. Donc je rappelle à François Bayrou le numéro du standard de Matignon : 01 42 75 80 00».
Le langage gouvernemental a changé
De manière un peu surprenante, le Premier ministre avait changé d’optique sur la gestion des autoroutes. Il expliquait alors que «l’Etat vend des concessions de vingt-trois à vingt-sept ans. Ensuite elles reviendront dans le giron de l’Etat. L’argent des privatisations servira au désendettement de l’Etat, une des exigences de M. Bayrou il y a quelques années». Nouvelle réplique du président de l’UDF : la privatisation des autoroutes «n’est pas une affaire légère qui se réglera sur un coup de fil par un arrangement politique de connivence».
De «privatisation», le langage gouvernemental était passé à «concession». Un changement de stratégie qui n’a pas satisfait François Bayrou, leader de l’UDF, petite formation politique de droite, puisque ce vendredi, il annonçait donc son intention d’en appeler à l’arbitrage du Conseil d’Etat.
Le changement de langage gouvernemental a sans doute fait renoncer le groupe Bouygues. Il ne se porte plus candidat au rachat des parts de l’Etat dans l’une des trois sociétés d’autoroutes françaises, on parlait de Sanef. Le groupe de BTP et de téléphonie indique que «l’appel d’offres en cours, relatif à des infrastructures déjà construites, relève d’une logique financière qui ne correspond pas à la vocation de l’entreprise avant tout entrepreneuriale». Auparavant, les synergies entre autoroute intelligente et téléphonie avaient pourtant été mises en avant pour expliquer la candidature du géant du BTP.
L’opposition des socialistes
Est-il plus intéressant d’être propriétaire ou d’être concessionnaire d’une autoroute française ? Les sociétés Eiffage et le groupe Vinci, qui semblaient certaines d’aller à l’appel d’offre pour le passage au privé, doivent certainement se poser la question. D’autant plus que la politique a repris tous ses droits dans ce dossier. Dominique de Villepin, qui peut se targuer d’avoir en très peu de temps fait reculer le chômage, a changé de vocabulaire concernant les autoroutes, ces sociétés qui marchent bien. Cependant, juste après avoir relancé le «patriotisme économique», certains pourraient s’étonner que l’Etat vende ce patrimoine. C’est en tout cas l’avis de François Hollande, le numéro un du Parti socialiste. «Avec la privatisation de Gaz de France à un cours inférieur à sa valeur marchande, l’ouverture du capital d’EDF dans les mêmes conditions, ou la cession des autoroutes hors de toute procédure de marché ouverte aux épargnants, on affaiblit les capacités d’intervention de l’Etat, qui plus est en bradant le patrimoine des Français. Où est le patriotisme dans tout cela ? C’est la capitulation sans la capitalisation», poursuit le leader de la plus grande formation de gauche.
La droite partagée
Même du côté de la droite, le passage au privé des sociétés d’autoroutes fait débat. Le rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale Gilles Carrez, membre de l’UMP (le parti gouvernemental), s’est déclaré «choqué» par la décision prise «en catimini» par le gouvernement de lancer la privatisation des autoroutes jugeant qu’elle n’est «pas à l’échelle du problème» du déficit du budget. En revanche le député UMP Hervé Mariton, rapporteur du budget des Transports, estime que la privatisation des sociétés d’autoroutes permet «la diversification des sociétés concessionnaires d’autoroutes».
Côté syndical, on s’inquiète de l’avenir des salariés dans ces sociétés qui vont changer de mains. FO indique avoir été reçue au ministère des Transports mais n’avoir «pas reçu de réponse à ses demandes de garanties réglementaires pour les salariés des sociétés d’autoroutes».
A la bourse, l’action Bouygues a monté un peu plus que le reste du marché après la décision des dirigeants du groupe de rester à l’écart de la privatisation des autoroutes. En revanche les titres des trois sociétés autoroutières dont le destin va changer étaient en baisse vendredi matin après l’annonce du retrait du groupe de BTP.
par Colette Thomas
Article publié le 29/07/2005 Dernière mise à jour le 29/07/2005 à 16:11 TU