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Irlande du Nord

Après l’espoir, l’attente du désarmement

Le prêtre radical du parti unioniste démocratique (DUP), Ian Paisley, a fait part de son mépris "face à la tentative de glorifier les campagnes de meurtre de l'IRA."Photo : AFP
Le prêtre radical du parti unioniste démocratique (DUP), Ian Paisley, a fait part de son mépris "face à la tentative de glorifier les campagnes de meurtre de l'IRA."
Photo : AFP
Au lendemain de l’annonce historique du dépôt des armes par l’IRA, l’heure est au recul et à la réflexion. A Londres comme à Dublin et à Belfast, ce tournant tant attendu semble trop beau pour être vrai, surtout depuis qu’un nouveau cauchemar terroriste hante la Grande-Bretagne. Après plus de trente ans de violences, de traumatismes, et de moult tentatives de dialogue, personne ne veut se fourvoyer en célébrant la paix. De part et d’autre, on attend des preuves tangibles. Car après le pas franchi par l’organisation paramilitaire, c’est au tour des unionistes de faire un geste en faveur d’une réconciliation politique.

A l’annonce de la mise en sommeil de l’IRA, prononcée hier par Seanna Walsh, un ancien détenu républicain, l’Irlande et la Grande-Bretagne ont retenu leur souffle. Comme s’il était encore impensable que la terreur orchestrée par le groupe paramilitaire touche à sa fin. Comme s’il était trop tôt pour y croire. Selon The Times, l’IRA songeait à lancer son communiqué vendredi pour ne pas être éclipsée par les arrestations liées aux attentats de Londres. Mais l’organisation n’a pas eu besoin de ce subterfuge pour attirer les lumières.  

Pour autant, l’enthousiasme n’y est pas. C’est plus que jamais le scepticisme qui prime. Les Irlandais comme les Anglais refusent de s’abandonner à la célébration, tant que les déclarations ne sont pas suivies d’actes. Tous gardent en mémoire, les attentats, les morts, les menaces et le climat de terreur qui a régné depuis trente-cinq ans dans la région. Le quotidien conservateur The Daily Telegraph appelle justement ses lecteurs à se souvenir du « prix de la paix en Ulster : 3 637 morts, 45 000 blessées et 15 300 bombes ». Car depuis sa naissance en décembre 1969, l’IRA provisoire, séparée de l’Official IRA, jugée trop accommodante avec l’ennemi, s’est donnée pour mission première de lutter contre la couronne britannique et ses alliés protestants, et ce, par tous les moyens.

Dès 1969, de graves affrontements opposent catholiques et protestants à Londonderry et dans le reste de la province. L’IRA répond à coup d’attaques contre les militaires britanniques en Irlande du Nord et contre des cibles civiles en Angleterre. Le 30 janvier 1972, baptisé « Bloody Sunday » par l’histoire, l’armée tire sur la foule contre des manifestants des droits civiques à Londonderry, tuant 14 personnes. En représailles, six mois plus tard, l’IRA s’en prend à Belfast, et fait exploser 22 bombes, tuant 9 personnes, et en blessant des dizaines d’autres. C’est le « Bloody Friday ». Autre attaque entrée dans l’histoire, celle fomentée contre le Premier ministre, Margaret Thatcher, dans un hôtel de Brighton. Elle en réchappe mais cinq personnes sont tuées. Après de multiples actes sanglants, le groupe a accepté de signer un cessez-le-feu qu’il observe depuis juillet 1997, transgressé à plusieurs reprises par des membres incontrôlés, comme dans le braquage de la Northern Bank, en décembre 2004, et dans l’assassinat du catholique, Robert McCartney, en janvier 2005.

Premier retrait de l’armée britannique

Traumatisés par ce climat de terreur, Irlandais et Britanniques, catholiques et protestants, ont besoin de temps pour tourner la page, et avoir confiance dans cette nouvelle ère. Car tous ont déjà été échaudés par des annonces similaires par le passé. « Il faudra des mois, sans doute plus, avant que l’on sache s’il s’agit vraiment d’un tournant historique », avance prudemment The Times. « Je ne peux pas prendre chaque déclaration des républicains à la lettre parce qu’il y en déjà eu tellement par le passé », a déclaré le leader du Parti unioniste d’Ulster, Sir Reg Empey. En 1994, déjà, l’IRA avait annoncé « la complète cessation de ses opérations militaires », avant que les pourparlers avec les unionistes et les Anglais ne s’enlisent. Moins de deux ans plus tard, un camion piégé faisait deux morts au sud-est de Londres.

La première marque de bonne volonté que tout le monde attend est bien entendu le démantèlement de l’arsenal de l’organisation, qui a commencé depuis octobre 2001. Pour ce faire, l’IRA est d’ores et déjà entrée en contact avec la commission indépendante chargée du désarmement qui doit s’assurer dans les mois à venir du bon déroulement des opérations. Selon une source proche du général canadien John de Chastelain qui mènera l’inspection aux côtés de deux prêtres, un catholique et un protestant, le désarmement pourrait être achevé d’ici à « quelques mois ». Explosifs comme arsenal lourd seraient entreposés dans des dépôts souterrains à travers l’Irlande. En revanche, aucune photo n’immortalisera ce désarmement, comme l’avaient souhaité les unionistes en gage de transparence, en décembre dernier. La commission devrait rendre un premier rapport sur l’évolution du désarmement en octobre prochain. Pour montrer sa confiance en l’IRA, l’armée britannique a symboliquement commencé par démanteler certaines de ses installations en Irlande du Nord, pour réduire le dispositif de sécurité sur l’île à 5 000 hommes. Dans les jours à venir, un nouveau programme de normalisation devrait être publié par les autorités, qui songent également à autoriser les paramilitaires en fuite à rentrer chez eux, à partir de l’automne.

« L’IRA montre la voie »

En attendant de voir ce que deviennent les promesses de l’IRA, tous les regards se tournent à présent vers les unionistes qui ont tous les atouts entre les mains, comme le suggère en une, le magazine militant républicain An Phoblacht :« L’IRA montre la voie ». Plus circonspect que jamais, le prêtre radical du Parti unioniste démocratique (DUP), Ian Peasley a fait part de son « mépris face à la tentative de glorifier les campagnes de meurtres », et a annoncé qu’il allait « évaluer les conséquences » de cette décision sur le processus de paix. S’il est certain que les unionistes n’accepteront pas de partager le pouvoir au sein d’un gouvernement décentralisé, comme le prévoit l’Accord du vendredi saint de 1998, sans être convaincus de la bonne foi de l’IRA, ils ne semblent pas non plus disposés à faire des efforts dans le sens du dialogue.

Pourtant, les unionistes aussi devront dans les mois à venir s’attacher à désarmer leurs propres milices, pour l’heure, plus concentrées sur leurs luttes internes que sur le conflit nord-irlandais. Gerry Adams, dirigeant du Sinn Féin, ne se fait pas de grande illusion sur la reprise des pourparlers, et la rentrée s’annonce mouvementée entre les deux forces en présence. « Et dans le court terme, il est improbable que les initiatives de l’IRA changent l’attitude de ceux qui s’opposent à nous, que ce soit à Londres, à Dublin ou parmi les unionistes ». Les plus optimistes optent pour une restauration du gouvernement décentralisé d’ici à l’automne 2006, soit quatre ans après la suspension de l’assemblée provinciale, à Stormont, en 2002.

Quant aux hommes politiques, tous comptent bien tirer profit de cette décision. Tony Blair, qui s’était lancé dans les négociations avec l’IRA dès son arrivée au 10, Downing Street en 1997, espère entrer dans l’histoire, en cas de dénouement heureux du conflit. De son côté, Gerry Adams, membre présumé du Conseil de l’armée, qui a influencé de manière décisive les paramilitaires de l’organisation, entend offrir au Sinn Féin, le deuxième parti d’Irlande du Nord, une nouvelle chance. Et qui sait, insinue The Times, peut-être briguer un mandat de président de la République d’Irlande, pour continuer la lutte politique sans les armes.


par Julie  Connan

Article publié le 29/07/2005 Dernière mise à jour le 29/07/2005 à 17:16 TU