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Cameroun

SDF : le temps des grandes manœuvres

Le président du parti Social Democratic Front (SDF), John Fru Ndi.(Photo : AFP)
Le président du parti Social Democratic Front (SDF), John Fru Ndi.
(Photo : AFP)
Le principal parti d’opposition, Social Democratic Front (SDF), est secoué par un débat qui divise hauts cadres et militants. En jeu : le renforcement ou non des pouvoirs du président national. Le débat, qui fait suite à un projet d’amendement des textes de cette formation politique concocté par des inconditionnels de John Fru Ndi, se déroule sur fonds de bataille de succession à la tête du parti.

A première vue, c’était une banale affaire. Le professeur Tazoacha Asonganyi, secrétaire général du Social democratic front, en déplacement hors du Cameroun, puis «occupé» par l’évaluation des étudiants de la Faculté de médecine, n’avait pu prendre part aux obsèques de Rose Fru Ndi, l’épouse du président du parti, décédée en avril dernier. Puis, l’affaire s’était rapidement révélée grave. Le secrétaire général avait dû saisir John Fru Ndi lui-même d’une correspondance dans laquelle il signalait les menaces de mort dont il faisait l’objet au sein du parti. Censée ne pas faire l’objet d’une discussion publique selon son auteur, la lettre fut pourtant rendue publique par son destinataire.

 Dans le parti, certains avaient cru comprendre, sans autres repères que leur intuition, que des militants du SDF, apparemment proches du président national éploré, avaient pu menacer le secrétaire général. D’autres avaient bien remarqué que l’affaire, qui fit des vagues, avait jeté un coup de froid entre les deux hauts responsables du parti. En dépit des apparences. Quelques indiscrétions laissaient entendre que le président national n’avait que très modérément apprécié l’absence du secrétaire général aux obsèques de son épouse. «Il s’était juste agi de petites incompréhensions entre les deux», tempère aujourd’hui Béatrice Annembom Monju, chargée de la communication du parti qui se convainc qu’il ne s’agit en définitive «quune tempête dans un verre d’eau». D’autres cadres du parti pensent néanmoins que c’était  la partie visible de l’iceberg. 

Le fait est qu’au mois d’avril, le SDF commençait à bouillonner d’un débat sur ses mutations à venir. Deux proches de John Fru Ndi, Joseph Mbah Ndam, président du groupe parlementaire SDF à l’Assemblée nationale, et Emmanuel Yoyo, député, avaient déjà laissé circuler une proposition d’amendements des textes de base du parti. Ces deux cadres du parti, tous réputés figurer dans le «premier cercle» du président national, proposent en substance un renforcement des pouvoirs du leader du parti. Ce-dernier, devrait par exemple être élu, puis désigner à son tour des membres au sein des instances du parti, dont le Comité exécutif national, sorte de «saint des saints» chargé de faire fonctionner l’appareil entre deux congrès.

Le culte du chef divise le parti

Bien que ne bénéficiant pas encore d’une très grande publicité, ce projet d’amendement en avait déjà irrité plus d’une personne dans les rangs du parti. Et pas n’importe qui. A la tribune du «Forum de la jeunesse du SDF» tenu à Yaoundé début avril, Tazoacha Asonganyi, avait décoché ses flèches. «Je m’érige contre le prétendu projet d’amendement de nos statuts (…) Son promoteur peint le leader comme un omniscient, quelqu’un qui sait tout, et le peuple (les militants) comme des naïfs, des ignorants et de crédules. (…) Si ce courant de pensée prenait corps dans notre parti, j’ai peur que toute la philosophie du SDF soit tournée sans dessus dessous et que le parti perde sa raison d’être. Il n’y aurait absolument aucune différence entre le SDF et l’Etat décadent du Cameroun ruiné par cette mentalité de leader omniscient, ou encoure le RDPC ( Rassemblement démocratique du peuple camerounais, au pouvoir Ndlr) où un seul homme décide», avait alors lancé le Secrétaire général du SDF.

Depuis lors, le débat est houleux au sein du parti. De nombreux hauts cadres se sont agrégés autour d’une dynamique de rejet du projet d’amendement querellé, dont les démiurges espèrent qu’il pourrait passer au prochain congrès désormais prévu pour février 2006. Beaucoup en face, soupçonnent Emmanuel Yoyo et Joseph Mbah Ndam de d’avoir trouvé une pirouette pour contourner l’épreuve des urnes, en espérant se faire désigner à des fonctions au sein de l’appareil, par le président élu.

Il y a quelques jours, le sud-ouest anglophone exprimait clairement son opposition à ce projet d’amendement. Selon toute vraisemblance, les autres structures provinciales du SDF pourraient se prononcer dans le même sens, si le lobbying et la sensibilisation  menée plus ou moins discrètement devait connaître du succès. Réfugié derrière les impératifs de décence qui le contraignent à respecter la mémoire de son épouse à en croire ses partisans, John Fru Ndi a opté pour le silence. Quant au président du groupe parlementaire SDF, d’ordinaire disert sur les questions du parti, il se refuse ces derniers jours à «évoquer dans la presse une affaire interne au parti».

En vérité, autour de cette question, s’organisent déjà les grandes manœuvres en vue de l’échéance de février 2006. La succession de Fru Ndi est ouverte. Et les scénarii s’esquissent d’ores et déjà. Le plus exposé de tous pour l’heure est celui d’une bataille sans merci entre John Fru Ndi et Bernard Muna. Le second, avocat de réputation, ancien procureur au Tribunal pénal international pour le Rwanda, a de nouveau été admis dans le parti, un peu avant l’élection présidentielle d’octobre 2004, après en avoir été exclu en 1993, selon une procédure qui dont la régularité n’avait pas fait l’unanimité. Me Muna, farouche adversaire du projet d’amendement des statuts déjà en discussion dans le parti, s’est engagé depuis lors dans une campagne de reconquête de l’appareil à partir de la base, tout en gagnant peu à peu dans son giron de hauts responsables du SDF. La grosse querelle en cours constituera à coup sûr, un indicateur de la tendance du rapport de forces au sein de ce parti.


par Valentin  Zinga

Article publié le 01/08/2005 Dernière mise à jour le 01/08/2005 à 09:12 TU