Côte d'Ivoire
Chronique d’un coup annoncé
(Photo: AFP)
Le général Mathias Doué est le nouveau déçu du camp Gbagbo. Son limogeage fin 2004 n’avait donné lieu à aucun commentaire de sa part. L’homme était resté fidèle à ses principes de discrétion. Effacé et silencieux, il était devenu énigmatique et nombreux sont les sympathisants du Front populaire ivoirien (FPI), parti au pouvoir, qui avaient imputé l’échec de la tentative des Fanci de reconquérir la moitié nord du pays aux mains des rebelles des Forces nouvelles, au mois de novembre dernier au «flegme» du général. En tout cas, son limogeage par le président de la République, un mois plus tard était difficilement dissociable de l’image «de ventre mou» qui lui collait à la peau. Vexé et blessé le général a dû ruminer une revanche à prendre.
Le problème est que ces histoires d’hommes deviennent des affaires d’Etat et impliquent l’avenir d’une nation. En cela, Pascal Affi Nguessan, le président du FPI a beau jeu de parler «d’acte de haute trahison» posé par l’officier supérieur «mécontent de perdre certains avantages» liés à ses hautes fonctions. Mais pour d’autres, l’attitude actuelle du général Doué témoigne d’une certaine résignation de l’officier loyaliste qui apportait son soutien aux autorités élues de son pays dont il ne partageait pas les orientations. En retrouvant sa liberté de parole il rejoint un autre déçu du pouvoir Gbagbo, le colonel Yao Yao. Les deux hommes ont un objectif : faire partir le président Laurent Gbagbo «par tous les moyens».
Les motivations ne sont plus alors politiques. En rassemblant les rancœurs, les frustrations, les impunités, les manipulations et autres dérives du pouvoir, les différents groupes d’intérêt finissent par structurer un discours politique qui désigne un seul obstacle à sa réalisation : Laurent Gbagbo. Les ennemis d’hier se retrouvent ainsi pour un même combat. Mathias Doué qui avait combattu les rebelles des Forces nouvelles se retrouve dans le même camp que les ennemis d’hier. Mais l’alliance incongrue est un renfort inespéré pour les rebelles en perte de vitesse dont l’organisation militaire était en déliquescence. Selon la presse ivoirienne, le général Mathias Doué aurait déjà rencontré les chefs rebelles pour convenir d’une stratégie de reprise de la lutte armée.
L’ONU y croit encoreMathias Doué, dans une interview accordée à RFI, ne faisait pas mystère d’une «guerre civile» dans son pays si la communauté internationale ne prenait pas l’initiative de convaincre le chef de l’Etat d’abandonner le pouvoir. L’ultimatum de quelques jours lancé à la communauté internationale était de forme puisqu’il sait que personne n’y accédera. Et sûrement pas Laurent Gbagbo qui a déjà affirmé que seul le verdict des urnes pourrait avoir raison de lui. Mais plus personne ne croit au respect du calendrier électoral en Côte d’Ivoire, à part bien sûr l’ONU, dont le haut représentant pour les élections, le Portugais Antonio Monteiro se dit «très satisfait» de sa première mission d’évaluation.
Cette obstination à croire à l’impossible est d’autant plus inquiétante que de cette haute instance aucune analyse politique critique n’est faite, à part des rapports qui affichent le soutien de ses auteurs aux les différents accords signés de Paris à Pretoria en passant par Dakar. Alors que les Forces nouvelles refusent de désarmer selon un calendrier prévu par l’accord de Pretoria et remettent en cause la crédibilité de la médiation sud-africaine, ce qui déjà, en soi, hypothèque le scrutin du 30 octobre, le général Mathias Doué vient aussi confirmer que cette échéance n’est plus un terme politique déterminant pour la Côte d’Ivoire en promettant d’œuvrer pour la chute de Laurent Gbagbo.
«Les soutiens extérieurs»
Le ton très sûr de soi du général ivoirien fait penser à un autre général, François Bozizé, chef d’état-major limogé, exilé, qui a tenu les mêmes propos avant se s’emparer du pouvoir dans son pays, la République centrafricaine. Selon certains titres de la presse ivoirienne, Mathias Doué aurait même rendu visite à François Bozizé, expérience oblige, à Blaise Compaoré du Burkina Faso, pour solliciter des appuis et à Omar Bongo du Gabon qui n’aurait pas admis que Laurent Gbagbo l’ait traité de «rigolo». Histoire de comptes à régler.
A Abidjan les menaces sont prises très au sérieux, malgré l’apparente indifférence affichée par le pouvoir, qui réalise néanmoins que l’unanimité se fait contre lui. Les «Houphouétistes», PDCI-RDA, RDR, UDPCI ont fait leur alliance sacrée à Paris le 18 mai dernier en se proclamant opposition non armée pour se distinguer des rebelles des Forces nouvelles qui, eux, ont choisi la confrontation armée pour exprimer leur opposition à Laurent Gbagbo. Par ailleurs, l’incertitude politique et militaire à Abidjan a aussi influencé la décision du PDCI-RDA d’ajourner le retour de son leader, Henri Konan Bédié. Tout le monde est en attente de quelque chose.
par Didier Samson
Article publié le 23/08/2005 Dernière mise à jour le 24/08/2005 à 12:45 TU