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Côte d'Ivoire

La présidentielle dans la ligne de mire

Laurent Gbagbo : "Coûte que coûte, nous irons aux élections le 30 octobre."Photo : AFP
Laurent Gbagbo : "Coûte que coûte, nous irons aux élections le 30 octobre."
Photo : AFP
Le ministre sud-africain de la Défense, Mosiuoa Lekota, a fait dimanche une visite éclair de part et d’autre de l’ancienne ligne de front, à Abidjan et à Korhogo pour faire savoir au président Gbagbo et à son opposition armée des Forces nouvelles (FN) que le médiateur sud-africain, Thabo Mbéki, estime les lois, promulguées le 15 juillet par le chef de l’Etat ivoirien, conformes aux accords de Linas-Marcoussis (fin 2002) et de Pretoria I et II (6 avril et 29 juin 2005). Fin juillet, l’alliance qui rassemble les FN et l’opposition non armée, le G7, avait en effet contesté, en particulier, le rôle dévolu à l’Institut national des statistiques (INS) dans le processus électoral qui doit conduire à la présidentielle du 30 octobre prochain. Le G7 n’a pas eu gain de cause et affiche son mécontentement.

Thabo Mbéki voudrait bien en finir. Son ambassadeur en Côte d’Ivoire s’étonne poliment auprès des contestataires de la saisine du G7. De fait, en juin dernier, dans le cénacle de Pretoria II, ils avaient signé sans broncher l’accord qui prévoit de confier à l’INS le recensement électoral, l’établissement des listes et la distribution des cartes d’électeurs. Sachant que la direction de l’INS est nommée par le chef de l’Etat, ils avaient semblé se satisfaire de leur représentation au sein de la Commission électorale indépendante (CEI). C’est à cette instance collégiale du reste que l’INS doit rendre compte, in fine. C’est dire si le verdict de Thabo Mbéki n’est pas inattendu. Il n’en est pas moins salué par les discordances désormais habituelles en Côte d’Ivoire. Mais cette fois, le compte à rebours est largement entamé. Seul Laurent Gbagbo affiche confiance et détermination vis-à-vis de l’échéance du 30 octobre, dans moins de trois mois.

La présidentielle butte sur le désarmement

«Notre réaction, comme pour l'opposition, a été une réaction de choc», déclare le porte-parole des FN, Sidiki Konaté. Ce «choc» n’augure rien de bon pour le désarmement auquel un début de regroupement des combattants devait préluder le 31 juillet. L’heure du rassemblement avait été reporté sine die, en attendant la réponse de Thabo Mbéki. Mécontents, les FN exigent à nouveau «qu'un débat s'engage dans les jours prochains sur le sujet» électoral. Comme par le passé, les anciens rebelles feront du désarmement leur principal argument de pression. Le 3 août, déjà, leur chef d’état-major, fraîchement promu - par le chef politique des FN, Guillaume Soro - du grade de colonel à celui de général, Soumaïla Bakayoko, répétait à Bouaké, au cœur de leur fief, que «le pré-regroupement ne sera effectif que lorsque les lois seront votées et conformes aux accords de paix de Pretoria et de Marcoussis». «Conformes» aux vœux des FN aurait-il dû expliquer sans détour.

La médiation sud-africaine «nous a fait comprendre qu'il fallait faire un pas en avant, et qu'il fallait aller au désarmement», indique Sidiki Konaté en précisant que «le vote des lois sert d'impulsion à ce désarmement. Or il est important que ces lois soient conformes à l'esprit et à la lettre des accords de paix. Nous continuons de dire que ce n'est pas le cas». Samedi, les FN avaient prêté grand crédit à «des informations de presse, se faisant l'écho de débats tenus au parlement sud-africain, le 3 août, qui font état de ventes d'armes par l'Afrique du Sud à la Côte d'Ivoire…violant de fait l'embargo sur les armes» décrété par les Nations unies contre la Côte d’Ivoire en novembre 2004. De là à accuser Thabo Mbéki de complicité avec le «clan présidentiel», il n’y a qu’un pas.

Dans le camp adverse, le parti du président Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI), se réjouit du verdict de Thabo Mbéki, qu’il salue comme un bon point délivré à son «père fondateur». «Cette décision nous convient. Nous avons toujours pensé que le président a respecté les engagements pris», déclare l’un de ses chef de file, Aboudramane Sangaré, en ajoutant qu’il faut désormais «passer au désarmement forcé. Après cette tentative de diversion, allons au désarmement pour que l' élection se tienne à la date du 30 octobre». De fait, la situation a changé de Marcoussis à Pretoria, en passant par les entremises ouest-africaines d’Accra. Après avoir surmonté les épreuves diplomatiques qui visaient à le dépouiller de ses prérogatives présidentielles, Laurent Gbagbo peut se contenter de compter les fautes de ses adversaires. C’est ce qu’il a fait dimanche, pour le quarante-cinquième anniversaire de l’indépendance (le 6 août 1960) d’une Côte d’Ivoire morcelée depuis trois ans déjà, depuis la tentative de coup d’Etat de septembre 2002.

Le 5 août, les Forces nouvelles ont salué de manière très appuyée le coup d’Etat qui a déposé le président mauritanien Maaouyia Ould Taya, le 3 août. Leur porte-parole, Sidiki Konaté, a saisi l’occasion pour fustiger en Côte d’Ivoire le régime Gbagbo, selon lui, «illégitime et qui, depuis un certain temps, se rue dans un fascisme et un militarisme contre les populations et contre les partis politiques et qui se livre aussi à la même purge au sein de l'armée». «Tous les ingrédients sont là et il ne faut pas s'étonner demain que la même situation se produise en Côte d'Ivoire», comme elle s’est produite en Mauritanie, a-t-il prophétisé. Ce disant, les FN apportent plutôt de l’eau au moulin du président Gbagbo, qui, pour sa part n’hésite pas à expliquer en public qu’il «joue le jeu» imposé par la diplomatie internationale mais que le 30 octobre, à l’échéance de son mandat, il ne laissera pas se créer le vide constitutionnel espéré par ses adversaires.

Laurent Gbagbo est déjà en campagne

Comment se débarrasser de Gbagbo «et instaurer un autre régime, c’est ça la vraie bataille, ce n’est pas celle des lois», résume Laurent Gbagbo qui promet que le 30 octobre, «coûte que coûte, nous irons aux l’élections». «C'est pour lever tous les obstacles sur la voie des élections que, pour ma part, j'ai fait tout ce qui m'a été demandé dans les différents accords de paix», affirme le président Gbagbo qui lance : «Le 1er novembre, les choses seront claires, ou bien on va au deuxième tour, ou bien quelqu'un a gagné». Moquant ses adversaires qui, dit-il, croient pouvoir empêcher l’élection pour le prendre en défaut de légitimité, «je vois leur jeu, mais je prépare des contre-jeux», assure Laurent Gbagbo.

Dans son adresse à la Nation indépendante, Laurent Gbagbo s’est inscrit en faux contre toute vision ethnique du conflit ivoirien. «Ce n’est pas la guerre des Dioula contre les Bété, c’est la guerre des gens qui veulent faire un coup d’Etat et qui ont échoué», dit-il, accusant ses adversaires d’avoir tué les récalcitrants issus de leur propres communautés. Visiblement, pour Laurent Gbagbo, la campagne électorale a déjà commencé. Il n’a d’ailleurs pas manqué d’ironiser sur le programme de ses adversaires. «Ils n'ont jamais dit ce qu'ils proposeraient, s'ils venaient à prendre le pouvoir. Depuis cinq ans qu'ils sont dans l'opposition, ils n'ont jamais dit ce qu'ils veulent faire pour la Côte d'Ivoire, pour les Ivoiriens et pour les habitants de ce pays», dit-il, en affichant une confiance sans faille sur la tenue de la présidentielle et sur ses résultats.


par Monique  Mas

Article publié le 08/08/2005 Dernière mise à jour le 08/08/2005 à 17:19 TU