Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Pologne

Gdansk célèbre les 25 ans de Solidarité

L’ancien électricien, leader syndical et premier président élu dans la Pologne démocratique, aujourd'hui de plus en plus désavoué, participe à une cérémonie d'anniversaire de Solidarnosc.(Photo : AFP)
L’ancien électricien, leader syndical et premier président élu dans la Pologne démocratique, aujourd'hui de plus en plus désavoué, participe à une cérémonie d'anniversaire de Solidarnosc.
(Photo : AFP)
Une vingtaine de chefs d'Etat et de gouvernement se sont réunis mercredi à Gdansk pour rendre hommage au syndicat Solidarité, à l’occasion de son 25ème anniversaire. Solidarité est le premier syndicat libre créé au sein de l’ancien bloc de l'Est, et son rôle est considéré comme crucial dans le renversement du communisme. Reportage.

De notre envoyée spéciale à Gdansk

«Nous avons gagné ! nous avons des syndicats indépendants et libres !». La voix de Lech Walesa criant victoire résonne en boucle dans les salles du musée qui retrace les débuts de Solidarnosc. L’exposition permanente intitulée «Les chemins vers la liberté» est située à l’entrée des chantiers navals de Gdansk, dans le même bâtiment où, il y a 25 ans, le 31 août 1980, naissait le premier syndicat libre en Europe de l’Est.

Dans la pénombre, sur les films d’époque, on aperçoit, tremblotante, l’image des foules en prières et celle de l’ouvrier moustachu tenant un stylo ridiculement grand et qui signe les 21 postulats arrachés au pouvoir communiste par les ouvriers des chantiers au bout de deux semaines de grève générale. L’euphorie n’a duré que seize mois, étouffée le 13 décembre 1981 par les chars du général Jaruzelski ; mais ce fut la première brèche ouverte dans la carapace de la dictature et un petit pas de plus vers la démocratie.

Aujourd’hui, sur la grille des chantiers qui jadis portaient le nom de Lénine, on voit, comme en 1980, l’image de la Vierge et la photo du pape Jean-Paul II. Mais une fois le célèbre portail franchi, c’est un tout autre univers qui s’offre à la vue des visiteurs. La plupart des hangars sont vides et délabrés, les fenêtres brisées, le sol couvert de gravats.

Les chantiers navals n’existent plus

Jerzy Borowczak était ici depuis le début. Avant 1980, il a été membre des syndicats clandestins. Le 14 août, il a commencé la grève pour défendre Anna Walentynowicz, une ouvrière licenciée par la direction à cinq mois de sa retraite. Petit, sec, musclé, avec une voix très forte, capable de couvrir le bruit des machines, Jerzy fait toujours partie du syndicat Solidarnosc qui fonctionne sur le terrain des anciens chantiers. «Avant nous construisions 35 navires par an. Nous n’en fabriquons plus que 5 par an aujourd’hui. De 18 000 ouvriers qui travaillaient ici avant 1989, il n’en reste que 3 500.» La privatisation des chantiers fait l’objet d’une enquête judiciaire. Les chantiers navals de Gdansk n’existent plus à proprement parler. La partie non privatisée a été placée sous la houlette des chantiers de la ville attenante de Gdynia. Le reste a été laissé à l’abandon ou revendu à des sociétés privées. La plupart des terrains ont été rachetés par Synergie 99, une entreprise tenue par les fonds américains. 90 autres petites entreprises qui, pour la plupart, n’ont plus rien à voir avec l’industrie navale, se sont implantées sur les terrains des vieux chantiers.

Mais les ouvriers qui continuent à y travailler n’ont pas oublié ce qui s’est passé ici il y a un quart de siècle. Comme Wiktor Wolkiewicz, des yeux presque blancs dans un visage maigre et plein de suie, qui a été embauché après les grèves, mais dont le père travaillait au chantier. «Je venais deux fois par jour devant le portail pour voir mon père. Toute la ville venait là pour soutenir les grévistes», se souvient-il. «J’ai gardé les gazettes et les photos de l’époque. Je m’assieds parfois avec mes deux fils et je leur raconte comment c’était.»

Même si les trois quarts des ouvriers du chantier restent fidèles à Solidarnosc, ils sont de plus en plus nombreux à critiquer l’évolution du syndicat et à vouloir rendre leur carte de membre, comme Zygmunt Dawid, mécanicien aux chantiers de Gdansk depuis 38 ans : «J’ai fini par décrocher parce que le syndicat ne m’a pas aidé quand mon entreprise a déposé le bilan. J’ai du compter sur moi-même. Alors j’ai rendu ma carte, mais je viendrais aux commémorations, en souvenir de l’ancienne Mademoiselle Solidarité, comme on appelait le syndicat dans le temps.»

«J’aurais été lapidé»

«Le syndicat Solidarnosc n’est plus un mouvement révolutionnaire», avoue Jerzy Borowczak. «Notre premier but est de préserver les postes de travail.» Un virage à 180 degrés puisqu’il y a encore deux ans Solidarnosc a enfanté d’une vaste coalition politique et tenait les rênes de l’Etat. Mais le flirt avec le pouvoir a été un coup de grâce, si l’on en juge par le nombre des adhérents : trois cent cinquante mille aujourd’hui contre 10 millions en 1980.

A un kilomètre et demi du chantier et de sa poussière, le vieux centre de Gdansk est opulent et propret. La ville aux mille clochers attire de plus en plus de touristes et durant l’été joue aux riches stations balnéaires. Lech Walesa reçoit dans son bureau situé au dernier étage d’un élégant immeuble qui domine la principale rue piétonne de la vieille ville. Il ressemble à peine à ce jeune homme maigrichon qui a enjambé, voilà 25 ans, la grille du chantier pour prendre la tête du comité de grève. Les cheveux blanchis par le temps et le ventre proéminent, l’ancien électricien, leader syndical et premier président élu dans la Pologne démocratique, parcourt  aujourd’hui le monde pour raconter ses exploits. Pourtant, il n’aime pas les questions sur ses anciens amis du syndicat. «Solidarnosc, c’était les foules innombrables, pleines de dignité, mais ce n’était pas appelé à durer. Juché sur le portail du chantier, j’ai tenté de prévenir : ‘aujourd’hui c’est l’euphorie, mais j’ai peur de ce qui nous attend. Ceux qui m’ont porté il y a un instant sur leurs épaules pourront bientôt me jeter la pierre’. J’avais peur de continuer, car j’aurais du leur dire : ‘vous les vainqueurs, ouvriers des plus grands chantiers, vous serez bientôt au chômage et vos entreprises seront fermées. Car vous travaillez pour l’URSS et nous allons mettre fin à l’URSS’. Non je ne pouvais pas leur dire cela. J’aurais été lapidé.» Une manière comme une autre de se justifier face aux critiques de plus virulentes de ses amis d’hier qui l’accusent de n’avoir pas su sauver le chantier. De plus en plus désavoué - Walesa n’a récolté qu’un pour cent des suffrages lors des dernières présidentielles - il pense même à se retirer du syndicat qu’il a contribué à créer.

Walesa Junior, dépositaire de l’héritage

La relève est pourtant assurée. Un de ses fils, Jaroslaw, après des études aux Etats-Unis vient de rentrer au pays. Il se présentera aux prochaines législatives sur la liste du parti de centre-droit post Solidarnosc, la Plate-forme citoyenne. Son bureau se trouve dans le prolongement de celui de son père et Walesa Junior du haut de ses 29 ans se sent le dépositaire de l’héritage Solidarnosc : «J’avais à l’époque 4 ans. Je me souviens très bien des émotions très fortes liées à cette période. Solidarité, c’était vraiment le terme adéquat. Dans ma maison, je me souviens de cela : de ce formidable élan de solidarité.»

Cette vision héroïque de l’histoire et du rôle joué par Walesa n’est pas partagé par tout le monde à commencer par Andrzej Gwiazda, cofondateur du syndicat, ancien ingénieur dans les chantiers. Ses accusations vont loin : Walesa aurait été un agent des services secrets communistes. Emprisonné durant l’état de guerre, Gwiazda a été après 1989 le leader du mouvement altermondialiste en Pologne. Il habite toujours un petit deux-pièces d’une HLM de la banlieue de Gdansk. Il vient d’écrire une lettre ouverte au Parlement européen, dans laquelle il s’insurge contre le financement par l’Union européenne des commémorations qui d’après lui sont orchestrées par les gens qui ont trahi ce qu’il appelle «la première Solidarnosc». «Le second Solidarnosc enregistré en avril 1989 n’avait de commun avec le premier syndicat que le nom et la personne de Walesa. Les statuts ont été changés sans que l’on prévienne les adhérents. Le second syndicat est né d’une entente compromettante avec les communistes.» Pour Gwiazda, la révolution reste à faire.

«Ca en valait la peine»

L’héritage de Solidarnosc divise les anciens opposants. Pour preuve les trois associations qui organisaient séparément les commémorations du 25e anniversaire de la naissance du syndicat. Les jeunes ne comprennent souvent pas ces anciennes aigreurs. Ils viennent nombreux pour visiter le musée de Solidarnosc. Et le chantier est réinvesti par des artistes ou des personnes qui veulent préserver la mémoire de ce lieu comme Tomasz Przyputniewicz, organisateur du festival intitulé «la Grève» et propriétaire de 27 hectares du chantier où il a ouvert une salle de concert. Tomasz, la quarantaine, tout en rondeurs, confesse son attachement progressif pour cet endroit où il s’est installé il y a deux ans. Dans son café-concert, tous les éléments du décor ont été récupérés dans les chantiers : lustres, lampadaires, portes, même le bar est fait avec les tables de l’ancienne cantine. Pour le 25e anniversaire de Solidarnosc, Tomasz a prêté son terrain et son savoir pour organiser le concert de Jean-Michel Jarre.

D’autres se passionnent pour l’histoire de la naissance de Solidarnosc et son berceau : les chantiers. Il s’agit des jeunes historiens de l’Institut de la mémoire nationale (IPN), créé pour rétablir la vérité historique longtemps travestie par les autorités communistes. La succursale d’IPN de Gdansk se situe dans une petite villa discrète perdue dans la verdure. La moyenne d’âge est ici d’à peine trente ans et les historiens ne cachent pas leur enthousiasme de pouvoir, entre autres, travailler sur les sources premières, comme les rapports des services secrets, jamais analysés jusqu’alors. Alina Geniusz, le porte-parole de l’IPN de Gdansk a les yeux qui pétillent quand elle parle de son travail : «On a l’impression que l’on transmet notre enthousiasme à nos héros fatigués. J’espère qu’en nous regardant, ils se disent : ‘ça en valait la peine’. Je crois qu’il y a un effet boomerang : nous avons puisé dans leur mémoire ; maintenant on leur communique notre énergie.»


par Maya  Szymanowska

Article publié le 31/08/2005 Dernière mise à jour le 31/08/2005 à 17:20 TU

Audio

Maya Szymanowska

Correspondante en Pologne

«On avait l'impression que c'était la fête des pays de l'ancien bloc de l'Est. Il n'y avait pas un seul représentant officiel français.»

Articles