Eglise catholique
Jean-Paul II, artisan de la chute du communisme
Si le combat de Jean-Paul II contre le communisme, «système totalitaire et injuste», est une réalité incontestable et s’il a largement contribué à déstabiliser les démocraties populaires, il est néanmoins abusif de le réduire à la simple qualité de «pape anti-communiste». En effet, à peine refermé l’épisode du rideau de fer, l’inlassable prêcheur, citant son prédécesseur Léon XIII, a reconnu que l’idéologie marxiste contenait des «graines de vérité» qui «ne doivent naturellement être ni détruites, ni perdues». A l’inverse, selon lui, de «nombreux et graves problèmes sociaux (…) trouvent en partie leur origine dans des manifestations dégénérées du capitalisme».
«J’ai grandi là-bas. J’ai donc amené avec moi toute l’histoire, la culture, l’expérience, la langue polonaise. Ayant vécu dans un pays qui a été obligé de lutter pour sa liberté, dans un pays exposé aux agressions et aux diktats provenant de ses voisins, j’ai été amené à profondément comprendre les pays du tiers-monde (…). J’ai compris ce qu’est l’exploitation», déclarait Jean-Paul II lors du long entretien avec le député européen Jas Gawronski, publié en 1993, et au cours duquel il dit l’essentiel et notamment qu’il a puisé son engagement au cœur de sa Pologne natale, «démocratie populaire» athée et satellite d’un système soviétique autoritaire et anti-démocratique.
C’est là que, rompu à la dialectique du matérialisme historique, le jeune prêtre Karol Wojtyla va engager dés le début des années 50 ses premiers combats déterminants pour la liberté religieuse. Combats pacifiques et obstinés pour la construction d’église (Nowa Huta), ferveur paysanne contre matraques et gaz lacrymogènes, mais qui ne tardent pas à révéler une véritable stratégie de harcèlement du système. Le Vatican le soutient. Et bien qu’il s’en défende et prenne le soin d’entourer systématiquement ses propos de références religieuses, le cardinal-archevêque de Varsovie se montre un redoutable politicien dont l’habileté est notamment d’avoir su placer la relation du peuple à Dieu au-delà du lien qui unit le citoyen à son gouvernement. Et dont le génie est d’avoir su ramener le communisme à un bref épisode historique incapable de rivaliser avec le caractère divin de la mission de l’Eglise. Ainsi, avec l’évocation du martyre des premiers chrétiens, c’est l’appareil d’Etat qui est visé et derrière les paraboles il accumule les provocations à l’égard du pouvoir. Tant et si bien que l’Eglise n’est plus le lieu de résistance des seuls croyants, mais des opposants chrétiens et laïcs, y compris de gauche. C’est dans ce contexte d’effervescence et de contestation politico-religieuse que le syndicat dissident Solidarnosc apparaît en 1977.
Les biographes du pape estiment que c’est au cours de cette période que le futur chef de l’église catholique va élaborer l’essentiel de sa stratégie contre le communisme. Karol Wojtyla devient Jean-Paul II le 16 octobre 1978. Quelques mois plus tard, en juin 1979, c’est à sa chère Pologne qu’il consacre son premier voyage et réunit une foule si considérable qu’elle prend alors pleinement conscience de sa puissance. Les grèves se multiplient, le pouvoir est déstabilisé. Fin 1981, lorsque celui-ci à bout d’arguments instaure la loi martiale, Solidarnosc compte 10 millions d’adhérents, et est soutenu par une profonde vague sociale. L’histoire n’est pas terminée mais, pour la première fois, un régime communiste est profondément ébranlé. Et il ne l’est pas par les bombardiers stratégiques de l’adversaire mais par son propre peuple. Il tombera huit ans plus tard, avec les autres.
Entre-temps Jean-Paul II est devenu un chef d’Etat qui poursuit au niveau planétaire ce qu’il a démarré à l’échelle de son pays. Le dernier maître communiste du Kremlin lui a rendu cet hommage: «Rien de ce qui s’est passé en Europe de l’Est n’aurait été possible sans la présence de ce pape», a reconnu Mikhaïl Gorbatchev. Un compliment que Jean-Paul II aurait pu retourner à l’artisan de la perestroïka. Mais ce combat se livre également sous toutes les latitudes et au sein même du Vatican où, dés son arrivée, Jean-Paul II porte un coup d’arrêt à la politique d’ouverture aux pays de l’Est initiée par ses prédécesseurs. Homme de paix, il veut néanmoins tenir l’Eglise à l’écart du pacifisme, pourtant en plein essor à l’Ouest. Enfin il mène une lutte acharnée contre les prêtres progressistes d’Amérique du Sud engagés dans la théologie de la libération, qu’il interprète comme une concession aux thèses marxistes.
Après le communisme, les fausses idoles
Le début du pontificat de Jean-Paul II est à ce point marqué par la problématique anti-communiste que nombre d’observateurs critiques se sont interrogés sur une alliance tissée entre le Vatican et la CIA. L’hypothèse est séduisante tant les intérêts de l’Amérique de Ronald Reagan et ceux du Vatican de Jean-Paul II paraissaient se croiser. Pourtant si la «sainte alliance» se vérifie de façon objective dans un combat commun contre l’Union soviétique et ses satellites à l’Est et les prêtres dissidents d’Amérique latine, aucun élément concret ne vient conforter cette thèse et il est historiquement indiscutable que l’engagement de Jean-Paul II n’a pas attendu le feu vert de la Maison Blanche.
L’effondrement du mur de Berlin et la fin de l’empire soviétique ne mettent toutefois pas un point final à l’engagement pontifical dans ce registre diplomatique. Dès l’affaire classée, ce pape engagé dévoile d’autres messages, en forme de paradoxes qui révèlent qu’il n’est au service que de la seule doctrine d’une l’Eglise infaillible, colonne vertébrale de sa philosophie politique. Une fois le communisme définitivement liquidé, Jean-Paul II va s’attaquer aux ravages d’une autre idéologie qui, débridée et toute-puissante, se montre tout aussi dévastatrice: le capitalisme.
Et, de la même manière que son pays avait cristallisé son combat contre l’ancien monde, la Pologne fut à l’aube des années 90 au centre de ses mises en garde contre l’adoration des nouvelles et fausses idoles. Dans ce rare entretien, publié en 1993 et cité plus haut, Jean-Paul II appelle ses compatriotes à la prudence à l’égard de la fascination qu’ils éprouvent pour l’intégration de leur pays au sein de l’Union européenne car, dit-il, «ce projet implique pour ses promoteurs l’introduction en Pologne, par la force de la propagande, d’un système ultra-libéral de consommation, dépourvu de valeurs». Selon lui, «il est important qu’elle (la Pologne, ndlr) puisse s’y intégrer avec ses propres valeurs, non pas en s’adaptant sans critique et de façon aveugle aux coutumes occidentales, en assimilant le pire».
C’est là que, rompu à la dialectique du matérialisme historique, le jeune prêtre Karol Wojtyla va engager dés le début des années 50 ses premiers combats déterminants pour la liberté religieuse. Combats pacifiques et obstinés pour la construction d’église (Nowa Huta), ferveur paysanne contre matraques et gaz lacrymogènes, mais qui ne tardent pas à révéler une véritable stratégie de harcèlement du système. Le Vatican le soutient. Et bien qu’il s’en défende et prenne le soin d’entourer systématiquement ses propos de références religieuses, le cardinal-archevêque de Varsovie se montre un redoutable politicien dont l’habileté est notamment d’avoir su placer la relation du peuple à Dieu au-delà du lien qui unit le citoyen à son gouvernement. Et dont le génie est d’avoir su ramener le communisme à un bref épisode historique incapable de rivaliser avec le caractère divin de la mission de l’Eglise. Ainsi, avec l’évocation du martyre des premiers chrétiens, c’est l’appareil d’Etat qui est visé et derrière les paraboles il accumule les provocations à l’égard du pouvoir. Tant et si bien que l’Eglise n’est plus le lieu de résistance des seuls croyants, mais des opposants chrétiens et laïcs, y compris de gauche. C’est dans ce contexte d’effervescence et de contestation politico-religieuse que le syndicat dissident Solidarnosc apparaît en 1977.
Les biographes du pape estiment que c’est au cours de cette période que le futur chef de l’église catholique va élaborer l’essentiel de sa stratégie contre le communisme. Karol Wojtyla devient Jean-Paul II le 16 octobre 1978. Quelques mois plus tard, en juin 1979, c’est à sa chère Pologne qu’il consacre son premier voyage et réunit une foule si considérable qu’elle prend alors pleinement conscience de sa puissance. Les grèves se multiplient, le pouvoir est déstabilisé. Fin 1981, lorsque celui-ci à bout d’arguments instaure la loi martiale, Solidarnosc compte 10 millions d’adhérents, et est soutenu par une profonde vague sociale. L’histoire n’est pas terminée mais, pour la première fois, un régime communiste est profondément ébranlé. Et il ne l’est pas par les bombardiers stratégiques de l’adversaire mais par son propre peuple. Il tombera huit ans plus tard, avec les autres.
Entre-temps Jean-Paul II est devenu un chef d’Etat qui poursuit au niveau planétaire ce qu’il a démarré à l’échelle de son pays. Le dernier maître communiste du Kremlin lui a rendu cet hommage: «Rien de ce qui s’est passé en Europe de l’Est n’aurait été possible sans la présence de ce pape», a reconnu Mikhaïl Gorbatchev. Un compliment que Jean-Paul II aurait pu retourner à l’artisan de la perestroïka. Mais ce combat se livre également sous toutes les latitudes et au sein même du Vatican où, dés son arrivée, Jean-Paul II porte un coup d’arrêt à la politique d’ouverture aux pays de l’Est initiée par ses prédécesseurs. Homme de paix, il veut néanmoins tenir l’Eglise à l’écart du pacifisme, pourtant en plein essor à l’Ouest. Enfin il mène une lutte acharnée contre les prêtres progressistes d’Amérique du Sud engagés dans la théologie de la libération, qu’il interprète comme une concession aux thèses marxistes.
Après le communisme, les fausses idoles
Le début du pontificat de Jean-Paul II est à ce point marqué par la problématique anti-communiste que nombre d’observateurs critiques se sont interrogés sur une alliance tissée entre le Vatican et la CIA. L’hypothèse est séduisante tant les intérêts de l’Amérique de Ronald Reagan et ceux du Vatican de Jean-Paul II paraissaient se croiser. Pourtant si la «sainte alliance» se vérifie de façon objective dans un combat commun contre l’Union soviétique et ses satellites à l’Est et les prêtres dissidents d’Amérique latine, aucun élément concret ne vient conforter cette thèse et il est historiquement indiscutable que l’engagement de Jean-Paul II n’a pas attendu le feu vert de la Maison Blanche.
L’effondrement du mur de Berlin et la fin de l’empire soviétique ne mettent toutefois pas un point final à l’engagement pontifical dans ce registre diplomatique. Dès l’affaire classée, ce pape engagé dévoile d’autres messages, en forme de paradoxes qui révèlent qu’il n’est au service que de la seule doctrine d’une l’Eglise infaillible, colonne vertébrale de sa philosophie politique. Une fois le communisme définitivement liquidé, Jean-Paul II va s’attaquer aux ravages d’une autre idéologie qui, débridée et toute-puissante, se montre tout aussi dévastatrice: le capitalisme.
Et, de la même manière que son pays avait cristallisé son combat contre l’ancien monde, la Pologne fut à l’aube des années 90 au centre de ses mises en garde contre l’adoration des nouvelles et fausses idoles. Dans ce rare entretien, publié en 1993 et cité plus haut, Jean-Paul II appelle ses compatriotes à la prudence à l’égard de la fascination qu’ils éprouvent pour l’intégration de leur pays au sein de l’Union européenne car, dit-il, «ce projet implique pour ses promoteurs l’introduction en Pologne, par la force de la propagande, d’un système ultra-libéral de consommation, dépourvu de valeurs». Selon lui, «il est important qu’elle (la Pologne, ndlr) puisse s’y intégrer avec ses propres valeurs, non pas en s’adaptant sans critique et de façon aveugle aux coutumes occidentales, en assimilant le pire».
par Georges Abou
Article publié le 14/10/2003 Dernière mise à jour le 11/08/2004 à 14:07 TU