Eglise catholique
Le dialogue des religions
Certes l’idée d’un dialogue interreligieux n’est pas nouvelle puisqu’elle remonte au Concile Vatican II, réuni pendant trois ans, entre 1962 et 1965, à l’initiative du pape Paul VI. Approuvé avec enthousiasme par Karol Wojtyla alors qu’il n’était que jeune évêque, le décret Nostra aetate, issu de ce Concile, sera au cœur de son pontificat lorsque treize ans plus tard il succédera le 16 octobre 1978 à Jean-Paul Ier sous le nom de Jean-Paul II. Aucun pape, en effet, ne se sera autant démené et n’aura autant voyagé à travers le monde pour jeter des ponts entre toutes les grandes religions et plaider pour la paix entre les peuples. Et il fût notamment le premier évêque de Rome à pénétrer dans une synagogue, comme dans une mosquée.
Si le Concile Vatican II a été un tournant essentiel pour l’Eglise catholique en décidant de son ouverture vers les autres religions, ses travaux ont cependant eu l’inconvénient de passer, à l’époque, pratiquement inaperçus dans les populations vers lesquelles Rome voulait s’ouvrir. Et il aura fallu attendre que Jean-Paul II prenne son bâton de pèlerin pour porter lui-même la nouvelle. Il l’a fait très tôt puisqu’un an à peine après son arrivée sur le trône de Saint Pierre, on le retrouvera pour la première fois en terre musulmane en Turquie où il manifestera la volonté de dialogue de l’Eglise catholique en dressant le 29 novembre 1979 à Ankara une sorte de charte des relations mutuelles entre le christianisme et l’islam. Puis, quatre mois plus tard, Jean-Paul II dérogera au règlement de la semaine sainte en recevant, quatre jours avant Pâques, le roi Hassan II du Maroc dans sa bibliothèque privée du Vatican.
Un événement essentiel puisque c’est à cette occasion que le souverain marocain, Commandeur des croyants, lança l’idée d’une visite du pape dans le royaume chérifien. «Sire, mais que ferais-je si je vais au Maroc ? Je ne pourrai pas prier avec les gens puisque votre Etat est purement musulman», s’interrogea le pape devant Hassan II qui lui répondit: «Sainteté, vous avez une responsabilité qui est non seulement religieuse mais aussi éducative et morale». Deux ans plus tard, le roi du Maroc invitait son «illustre ami» à se rendre dans son royaume et le 19 août 1985, Jean-Paul II s’adressait dans le stade de Casablanca à 90 000 jeunes musulmans en les appelant pour la première fois ses «frères». «Le prince des mécréants» invitait «le prince des infidèles», selon l’expression d’Hassan II lui-même, à l’occasion de la première grande manifestation islamo-chrétienne dans la tolérance et le respect de la foi de l’autre.
Dans la foulée, le 13 avril 1986, Jean-Paul II posa la première pierre de son deuxième grand chantier dans ce dialogue interreligieux en se rendant à la synagogue de Rome. Aucun pape n’avait fait un tel geste avant lui. Un geste symbolique dans l’esprit de ce qui allait suivre: la grande journée mondiale de prière pour la paix à Assise.
L’esprit d’Assise
Le 27 octobre 1986, Jean-Paul II accueillit plus de 200 représentants des différentes religions et précisa dans une allocation d’ouverture qu’il ne s’agissait ni d’une «conférence interreligieuse pour la paix», ni d’une «négociation sur nos convictions de foi», mais d’«un jour consacré à la prière et ce qui va avec la prière: le silence, le pèlerinage et le jeûne». La cité de Saint François, ce jour-là, fut transformée en une sorte d’«ONU des religions» où l’on vit bouddhistes, musulmans, juifs, shintoïstes, sikhs, protestants, orthodoxes, anglicans, catholiques et d’autres encore qui, à défaut d’une impossible «prière commune», prièrent en commun.
Cette initiative d’Assise sera essentielle et renouvelée en janvier 1993 au même endroit et avec les mêmes participants, mais sans les orthodoxes, réunis pour la paix en Europe et spécialement dans les Balkans. On retrouvera cet esprit d’Assise au Vatican en octobre 1999 lorsque Jean-Paul II invitera 200 représentants de 20 traditions religieuses différentes. Et enfin à nouveau dans la ville de Saint François en janvier 2002 peu après les attentats du 11 septembre. Alors que les Américains ripostaient en Afghanistan et songeaient déjà à une guerre contre l’Irak, il s’agissait de démontrer que les religions n’étaient pas des facteurs de guerre.
Ces journées de prières symboliques, auxquelles on peut ajouter les nombreux voyages du pape vers des communautés qui n’étaient pas chrétiennes, contribuèrent à pérenniser ce dialogue interreligieux voulu par Vatican II. En ce qui concerne les liens islamo-chrétiens, le succès fut tel que l’on vit même pour la première fois un souverain pontife, déjà très affaibli par la maladie, se déchausser pour pénétrer dans une mosquée célèbre, celle des Omeyyades. C’était à Damas, en juillet 2001.
Certes la Syrie n’est pas le berceau de l’Islam qu’est l’Arabie saoudite où le pape n’est jamais allé et la mosquée des Omeyyades n’est pas La Mecque. Mais il n’empêche que le dialogue islamo-chrétien, même s’il a pris du temps, s’est finalement fait sans heurt, ce qui n’a pas toujours été le cas avec le judaïsme. Il est vrai que le contentieux entre l’Eglise catholique et la communauté juive ne date pas d’hier. Cette dernière reprochant notamment les silences du pape Pie XII, qui avait longtemps été en poste à Munich, face à la montée du nazisme et aux atrocités qui ont suivi. Conscient de ce problème, Jean-Paul II, dès juin 1979, lors de son premier voyage dans sa Pologne natale, se rendit au camp d’Auchwitz-Birkenau qu’il qualifia de «Golgotha –lieu de crucifixion de Jésus– du monde contemporain». Mais une partie de la communauté juive estima cependant qu’il n’avait pas assez souligné la spécificité de la Shoah. Puis il y eut l’affaire du couvent des Carmélites qui se trouvait dans les vestiges de ce camp de la mort et que les juifs, accusant l’Eglise de «christianisation de la Shoah», voulaient voir disparaître. Les négociations pour le déplacement de ce couvent qui ne comptait que quelques religieuses durèrent des années et le Vatican dû peser de tout son poids pour amener l’Eglise polonaise à un compromis et accepter que l’édifice soit reconstruit 700 m plus loin.
Citons enfin parmi de nombreuses autres tensions, le texte intitulé «Réflexions sur la Shoah» publié en mars 1998 qui blanchit le pape Pie XII qui s’était pourtant tu pendant toute la Seconde Guerre mondiale. Ce document affirme que l’antisémitisme des nazis «trouve ses racines en dehors du christianisme» mais parle néanmoins des fautes des chrétiens qui n’ont pas été «assez forts pour élever leur voix» et appelle au repentir.
Plus généralement, et même si le Vatican a finalement officiellement reconnu l’Etat d’Israël en 1993, soit 45 ans après sa création, les relations judéo-chrétiennes sont encore aujourd’hui largement compliquées par le conflit israélo-arabe, Jean-Paul II ayant toujours soutenu les aspirations du peuple palestinien à avoir un Etat. Mais cela n’a pas empêché le souverain pontife de se rendre le 23 mars 2000 à Jérusalem prier devant le mur des lamentations et se recueillir, ce que n’avait pas fait Paul VI lors de son voyage en terre sainte, à Yad Vashem, devant le mémorial de l’holocauste.
Si Jean-Paul II peut aujourd’hui se targuer d’avoir été l’initiateur d’un dialogue, sans doute plus formel que réel, avec les autres grandes religions du monde, son pontificat aura exacerbé les tensions au sein même du christianisme. L’œcuménisme, cher au souverain pontife, a été vécu par les autres églises chrétiennes comme une tentative de rapprochement non exempte d’arrière-pensées hégémoniques, au point que l’orthodoxie considère officiellement aujourd’hui la papauté et le catholicisme comme ses ennemis numéro 1. Reste à savoir également quels seront à terme les effets de la montée de l’islamisme radical sur le fragile édifice que Jean-Paul II aura construit pendant son long règne.
Un événement essentiel puisque c’est à cette occasion que le souverain marocain, Commandeur des croyants, lança l’idée d’une visite du pape dans le royaume chérifien. «Sire, mais que ferais-je si je vais au Maroc ? Je ne pourrai pas prier avec les gens puisque votre Etat est purement musulman», s’interrogea le pape devant Hassan II qui lui répondit: «Sainteté, vous avez une responsabilité qui est non seulement religieuse mais aussi éducative et morale». Deux ans plus tard, le roi du Maroc invitait son «illustre ami» à se rendre dans son royaume et le 19 août 1985, Jean-Paul II s’adressait dans le stade de Casablanca à 90 000 jeunes musulmans en les appelant pour la première fois ses «frères». «Le prince des mécréants» invitait «le prince des infidèles», selon l’expression d’Hassan II lui-même, à l’occasion de la première grande manifestation islamo-chrétienne dans la tolérance et le respect de la foi de l’autre.
Dans la foulée, le 13 avril 1986, Jean-Paul II posa la première pierre de son deuxième grand chantier dans ce dialogue interreligieux en se rendant à la synagogue de Rome. Aucun pape n’avait fait un tel geste avant lui. Un geste symbolique dans l’esprit de ce qui allait suivre: la grande journée mondiale de prière pour la paix à Assise.
L’esprit d’Assise
Le 27 octobre 1986, Jean-Paul II accueillit plus de 200 représentants des différentes religions et précisa dans une allocation d’ouverture qu’il ne s’agissait ni d’une «conférence interreligieuse pour la paix», ni d’une «négociation sur nos convictions de foi», mais d’«un jour consacré à la prière et ce qui va avec la prière: le silence, le pèlerinage et le jeûne». La cité de Saint François, ce jour-là, fut transformée en une sorte d’«ONU des religions» où l’on vit bouddhistes, musulmans, juifs, shintoïstes, sikhs, protestants, orthodoxes, anglicans, catholiques et d’autres encore qui, à défaut d’une impossible «prière commune», prièrent en commun.
Cette initiative d’Assise sera essentielle et renouvelée en janvier 1993 au même endroit et avec les mêmes participants, mais sans les orthodoxes, réunis pour la paix en Europe et spécialement dans les Balkans. On retrouvera cet esprit d’Assise au Vatican en octobre 1999 lorsque Jean-Paul II invitera 200 représentants de 20 traditions religieuses différentes. Et enfin à nouveau dans la ville de Saint François en janvier 2002 peu après les attentats du 11 septembre. Alors que les Américains ripostaient en Afghanistan et songeaient déjà à une guerre contre l’Irak, il s’agissait de démontrer que les religions n’étaient pas des facteurs de guerre.
Ces journées de prières symboliques, auxquelles on peut ajouter les nombreux voyages du pape vers des communautés qui n’étaient pas chrétiennes, contribuèrent à pérenniser ce dialogue interreligieux voulu par Vatican II. En ce qui concerne les liens islamo-chrétiens, le succès fut tel que l’on vit même pour la première fois un souverain pontife, déjà très affaibli par la maladie, se déchausser pour pénétrer dans une mosquée célèbre, celle des Omeyyades. C’était à Damas, en juillet 2001.
Certes la Syrie n’est pas le berceau de l’Islam qu’est l’Arabie saoudite où le pape n’est jamais allé et la mosquée des Omeyyades n’est pas La Mecque. Mais il n’empêche que le dialogue islamo-chrétien, même s’il a pris du temps, s’est finalement fait sans heurt, ce qui n’a pas toujours été le cas avec le judaïsme. Il est vrai que le contentieux entre l’Eglise catholique et la communauté juive ne date pas d’hier. Cette dernière reprochant notamment les silences du pape Pie XII, qui avait longtemps été en poste à Munich, face à la montée du nazisme et aux atrocités qui ont suivi. Conscient de ce problème, Jean-Paul II, dès juin 1979, lors de son premier voyage dans sa Pologne natale, se rendit au camp d’Auchwitz-Birkenau qu’il qualifia de «Golgotha –lieu de crucifixion de Jésus– du monde contemporain». Mais une partie de la communauté juive estima cependant qu’il n’avait pas assez souligné la spécificité de la Shoah. Puis il y eut l’affaire du couvent des Carmélites qui se trouvait dans les vestiges de ce camp de la mort et que les juifs, accusant l’Eglise de «christianisation de la Shoah», voulaient voir disparaître. Les négociations pour le déplacement de ce couvent qui ne comptait que quelques religieuses durèrent des années et le Vatican dû peser de tout son poids pour amener l’Eglise polonaise à un compromis et accepter que l’édifice soit reconstruit 700 m plus loin.
Citons enfin parmi de nombreuses autres tensions, le texte intitulé «Réflexions sur la Shoah» publié en mars 1998 qui blanchit le pape Pie XII qui s’était pourtant tu pendant toute la Seconde Guerre mondiale. Ce document affirme que l’antisémitisme des nazis «trouve ses racines en dehors du christianisme» mais parle néanmoins des fautes des chrétiens qui n’ont pas été «assez forts pour élever leur voix» et appelle au repentir.
Plus généralement, et même si le Vatican a finalement officiellement reconnu l’Etat d’Israël en 1993, soit 45 ans après sa création, les relations judéo-chrétiennes sont encore aujourd’hui largement compliquées par le conflit israélo-arabe, Jean-Paul II ayant toujours soutenu les aspirations du peuple palestinien à avoir un Etat. Mais cela n’a pas empêché le souverain pontife de se rendre le 23 mars 2000 à Jérusalem prier devant le mur des lamentations et se recueillir, ce que n’avait pas fait Paul VI lors de son voyage en terre sainte, à Yad Vashem, devant le mémorial de l’holocauste.
Si Jean-Paul II peut aujourd’hui se targuer d’avoir été l’initiateur d’un dialogue, sans doute plus formel que réel, avec les autres grandes religions du monde, son pontificat aura exacerbé les tensions au sein même du christianisme. L’œcuménisme, cher au souverain pontife, a été vécu par les autres églises chrétiennes comme une tentative de rapprochement non exempte d’arrière-pensées hégémoniques, au point que l’orthodoxie considère officiellement aujourd’hui la papauté et le catholicisme comme ses ennemis numéro 1. Reste à savoir également quels seront à terme les effets de la montée de l’islamisme radical sur le fragile édifice que Jean-Paul II aura construit pendant son long règne.
par Mounia Daoudi
Article publié le 14/10/2003