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Eglise catholique

La fibre sociale de Jean-Paul II

A ne voir en Jean-Paul II que le tombeur du communisme en Pologne et plus généralement du bloc soviétique, certains s’étaient imaginés en Occident que ce pape entouré de cardinaux conservateurs, contempteurs de la «théologie de la libération», leur était tout acquis. Au début des années 90, après l’écroulement de l’empire soviétique, leur choc n’en a été que plus vif à découvrir qu’après le communisme athée, Jean-Paul II s’était découvert un nouvel ennemi: le capitalisme matérialiste.
A dire vrai, les milieux conservateurs n’ont pas été les seuls à en être surpris. Le courant «progressiste» à l’intérieur de l’Église, qui, au cours des années 80, avait assisté dans la consternation à la mise au pas des Jésuites, à la montée en puissance de l’Opus Dei, et à la mise à l’écart des cardinaux progressistes, notamment en Amérique latine ont eu du mal à prendre la mesure de cette bonne surprise, totalement inattendue pour la plupart. D’autant qu’il ne s’agissait pas là d’une déclaration isolée. De sermons en voyages, d’une encyclique à l’autre, Jean-Paul II dessine au fil des années sa doctrine sociale de l’Église, fidèle héritière des initiatives qui l’ont précédée, mais indiscutablement marquée de la personnalité de ce Karol Woytila dont tout le monde semblait avoir oublié qu’avant de devenir cardinal-archevêque de Cracovie, il avait travaillé comme ouvrier soudeur dans cette même ville. Quel pape, avant lui, pouvait se flatter d’une expérience du monde du travail comparable à la sienne pour en parler dans une encyclique ?

Au vrai, les tensions internationales du début des années 1980, la tentative d’assassinat contre Jean-Paul II en mai 1981, l’instauration de l’état de guerre en Pologne en décembre de la même année, ont fait oublié que l’une de ses toutes premières encycliques, publiée en 1981, était consacrée au travail. «On ne saurait subordonner l’homme au capital», affirme le souverain pontife qui invoque «Jésus de Nazareth, le fils du charpentier qui a lui-même travaillé de ses mains». Jean-Paul II, défenseur de la classe ouvrière ? A cette époque, peu d’observateurs en font la remarque. Pourtant, l’une des grandes encycliques du pontificat de Jean-Paul II est publiée le 2 mai 1991, au lendemain de la fête du Travail. «Centesimus Annus», l’encyclique du centenaire est l’hommage de Jean-Paul II au pape Léon XIII qui, le 15 mai 1891, avait profondément réformé la pensée catholique en publiant «Rerum Novarum», «Des choses nouvelles». Cette encyclique qui appelait l’Église à vivre avec son temps par un aggiornamento trop longtemps différé fondait ce que l’on a appelé la «doctrine sociale de l’Église».

«Mondialiser la solidarité»

Importante par son contenu, l’encyclique «Centesimus annus» l’est aussi par sa dimension: pas moins de 121 pages dans lesquelles le Pape revient longuement sur l’échec du communisme (prévue, selon lui, par Léon XVIII) et où il aborde également les failles du système capitaliste: «On ne peut accepter l’affirmation, écrit Jean-Paul II, selon laquelle la défaite du socialisme réel fait place au seul modèle capitaliste d’organisation économique». Et le Pape de dénoncer «l’idolâtrie du marché», la «demi-servitude» dans laquelle sont plongés immigrés et populations du tiers-monde. Dans les années qui suivent, Jean-Paul II précise et développe sa pensée. Même s’il ne fait pas sienne explicitement la «préférence pour les pauvres» au cœur de la théologie de la libération, en pratique, tous ses discours vont dans ce sens. En 1994, il dénonce le chômage des jeunes et le «capitalisme inhumain qui noircit l’avenir de l’homme». Les jeunes, d’ailleurs, vont constituer de façon croissante l’auditoire du Pape, lors de ces messes géantes qui, lors de chaque déplacement, rassemblent des centaines de milliers de personnes et tiennent de Woodstock tout autant que de la cérémonie religieuse. Les Journées mondiales de la Jeunesse (JMJ) deviennent d’ailleurs des pôles de ralliement pour les jeunes du monde entier autour de ce pape vieillissant qui ne cède rien sur les questions de morale, mais qui se veut révolutionnaire à sa manière et parle à la jeunesse un langage que ne reçoivent pas toujours leurs parents.

Avocat inlassable de la remise de la dette des pays pauvres afin d’éviter une «catastrophe générale», il déclare le 1er mai 2000 vouloir «mondialiser la solidarité» après avoir tenu des propos sur la mondialisations plus proches de ce que l’on entend à Porto-Alegre qu’à Davos. Porteur d’un discours qui se veut universel, il sait aussi adapter son texte à ses interlocuteurs: ainsi lorsqu’il dénonce la corruption des dirigeants en Afrique (1995) et encourage les efforts de justice sociale en Amérique centrale (1996).



par Olivier  Da Lage

Article publié le 14/10/2003