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Eglise catholique

Pédophilie : démission du cardinal de Boston

Après plusieurs mois de scandale, le Pape a accepté la démission du cardinal de Boston, accusé d'avoir couvert des prêtres accusés d'actes pédophiles. Le cardinal Law est à ce jour le plus haut prélat à démissionner dans cette affaire. Il laisse derrière lui un archidiocèse ruiné, divisé, et dans le viseur de la justice.
De notre correspondant à New York

La branche était morte depuis longtemps. Le pape l'a coupée avant qu'elle ne tombe d'elle-même. Jean-Paul II a accepté hier la démission du cardinal archevêque de Boston, Mgr Bernard Law, qui résidait discrètement au Saint-Siège ces derniers jours. Depuis presque un an, le prélat est au coeur d'un scandale impliquant des centaines de prêtres pédophiles, plusieurs de leurs dirigeants et des centaines de victimes. «Je suis profondément reconnaissant au Saint Père d'avoir accepté ma démission», a déclaré Mgr Law, le cardinal le plus haut placé au sein de l'église catholique américaine. «Je prie avec ferveur pour que cette décision puisse aider l'archidiocèse de Boston à connaître la guérison, la réconciliation et l'unité dont il a si désespérément besoin,» a-t-il dit dans un communiqué. Il s'est également adressé aux victimes : «A tous ceux qui ont souffert de mes défauts et erreurs, je présente mes excuses et je demande pardon».

Les quelque 450 victimes déclarées de prêtres pédophiles ne se contenteront certainement pas de ces excuses. Elles ont déjà engagé des procédures en justice contre le clergé de Boston, avec des dizaines de millions de dollars à la clé. Financièrement, l'archidiocèse pourrait bien courir à sa ruine. D'ores et déjà, au niveau national, les diocèses américains ont payé un milliard de dollars de dommages et intérêts dans des affaires de pédophilie réglées hors des tribunaux. Pour éviter à son archidiocèse de faire face aux pénalités financières qui ne manqueront pas de tomber, avant de démissionner, le cardinal Law a pris les mesures nécessaires pour déclarer l'archidiocèse en faillite. Il reviendra au Vatican de prendre une décision finale en la matière, mais le Saint-Siège a par avance refusé de faire face aux conséquences financières du scandale.

Des prêtres «prédateurs»

Malgré sa démission, le cardinal conserve son titre, la possibilité d'occuper de nouvelles fonctions ecclésiastiques et de participer à l'élection du nouveau pape, le jour venu. Il n'est toutefois pas libéré des chaînes de la justice et fait l'objet d'une citation à comparaître devant un grand jury qui considèrera l'opportunité de mener des poursuites contre les dirigeants de l'archidiocèse. Plusieurs prêtres et sept évêques, qui dirigent désormais d'autres diocèses à travers le pays, vont également être entendus. Jeudi, le procureur du Massachusetts s'en est directement pris au clergé de Boston. «On a tenté d'étouffer l'affaire. Il y a eu un complot élaboré pour garder les choses sous silence, loin de la justice», a affirmé Thomas F. Reilly. «L'Eglise s'est souciée davantage d'elle-même que des enfants», a-t-il ajouté. Il doit toutefois poursuivre son enquête avant de déterminer si les dirigeants du clergé peuvent être traînés en justice pour n'avoir pas protégé les enfants contre les prêtres «prédateurs». Parmi les charges qui pourraient être retenues figurent l'obstruction à la justice, la violation des droit civils ou la négligence criminelle. Par ailleurs, le cardinal Law devra témoigner dès mardi au cours d'audiences préliminaires dans le cadre du procès du révérend Paul R. Shanley, accusé d'avoir violé et agressé sexuellement quatre garçons.

En mai déjà, l'archevêque de Boston avait offert à Jean-Paul II sa démission, sans succès. Le souverain pontife, qui en privé s'est dit vendredi «profondément attristé», refusait alors de se séparer d'un de ses plus proches collaborateurs outre-Atlantique. Mais ces dernières semaines, la pression du public est devenue insupportable. Plusieurs associations de victimes, de laïcs et même de prêtres avaient exigé la démission du cardinal, en poste depuis 18 ans. Ils estiment que le prélat a cherché à protéger sa propre réputation, au lieu de se préoccuper des enfants molestés. Son sort semblait scellé depuis qu'il avait avoué s'être contenté de muter de paroisse en paroisse le prêtre John Geoghan, alors qu'il faisait l'objet d'accusations d'abus sexuel contre des enfants.

L'affaire illustrait le fonctionnement d'un système qui a permis à des centaines de prêtres d'abuser sexuellement des enfants pendant de longues années sans être inquiétés. Parti de Boston, le scandale a éclaboussé toute l'Amérique, où près de 330 prêtres (sur un total de 46 000) ont été écartés ou ont choisi de démissionner. L'affaire avait rebondi ces derniers jours à Boston, suite à une décision de justice qui a forcé l'archidiocèse à ouvrir ses dossiers, qui ont révélé des cas particulièrement choquants : un prêtre qui battait sa servante, un autre échangeant des faveurs sexuelles avec un adolescent contre de la cocaïne, un autre encore essayant de convaincre des adolescentes en passe de devenir nonnes d'avoir des relations sexuelles avec lui, un curé accusé d'avoir sexuellement agressé un jeune garçon pendant 21 nuits consécutives au cours d'un voyage à la campagne... A chaque fois, la hiérarchie ecclésiastique a maintenu la justice à l'écart, réglant ces problèmes à sa manière, parfois sans punir les coupables.

«J'espère que des milliers de catholiques de Boston et des centaines de survivants (nom donné aux victimes) de Boston se sentiront mieux grâce à la démission du cardinal Law», a dit David Clohessy, directeur du Réseau des survivants qui ont été maltraités par des prêtres. Le successeur provisoire du cardinal Law, son ancien numéro 2, l'évêque Richard Lennon, a de son côté prié hier pour les victimes des prêtres pédophiles et pour la «guérison de l'Eglise». Il ne semble toutefois pas se démarquer clairement de la gestion de son prédecesseur. «Je remercie son éminence le cardinal Law du bon travail qu'il a accompli», a-t-il affirmé, avant de demander «des prières pour lui, au moment où il poursuit sa vie au service de l'Eglise».



par Philippe  Bolopion

Article publié le 14/12/2002