Proche-Orient
Gaza : les quatre chantiers d’Abou Mazen
(Photo : AFP)
De notre envoyé spécial à Gaza
Dans les prochains jours, l’euphorie indicible qui chavire la bande de Gaza depuis le départ des soldats israéliens va retomber. La police égyptienne fermera le poste frontière de Rafah par où s’infiltrent des milliers de Palestiniens avides de retrouver les parents dont ils ont été séparés depuis des décennies. Les enfants qui jouent les ferrailleurs d’occasion dans les ruines des colonies, reprendront le chemin de l’école. Et après avoir vidé des dizaines de chargeurs de kalachnikovs en l’air, les miliciens de l’Intifada devront lentement mais sûrement penser à leur reconversion. Bref l’après retrait va commencer et tout indique qu’il sera jalonné d’écueils. Pour «réussir Gaza», comme disent les diplomates, l’Autorité palestinienne devra relever quatre défis.
La levée du bouclage
C’est la condition sine qua non au retour de l’espoir. En juin 2004, un rapport de la Banque Mondiale sur l’impact prévisible du désengagement avait conclu que sans la remise en service de l’aéroport, la construction d’un port, l’établissement d’une liaison sûre vers la Cisjordanie et la possibilité d’accéder au marché israélien, tant pour les produits que pour les personnes, même une hausse de l’aide internationale ne suffirait pas à endiguer la crise économique qui submerge actuellement le minuscule territoire palestinien où deux habitants sur trois vivent avec moins de 2 dollars par mois.
Sur ces sujets, la coordination israélo-palestinienne a enregistré quelques progrès. La construction du port devrait commencer dans les prochaines semaines. Un système de convoi à destination de la Cisjordanie sous escorte militaire devrait aussi être instauré. Pour l’instant, les exportations de marchandises sont toujours soumises au «back to back», c’est à dire l’obligation de déchargement et de rechargement sur un autre camion au point de passage de Karni, entre la bande de Gaza et Israël. Un système qui a mis à genoux l’économie palestinienne. Mais un dispositif alternatif est à l’étude, avec un scanner ultra-puissant.
Ces avancées cependant restent très en deçà des attentes palestiniennes. «Les promesses formulées par les Israéliens durant les rencontres politiques tardent à se concrétiser dans les réunions techniques, dit Diana Buttu, la porte-parole de la commission technique en charge du retrait. Ils disent ‘oui’ au passage entre Gaza et la Cisjordanie mais ils ne précisent pas qui pourra l’emprunter. Ils donnent leur feu vert pour le port mais ils ne nous expliquent pas comment acheminer jusqu’à Gaza les matériaux de construction. Ils promettent la fin du ‘back to back’ mais leurs exigences sécuritaires sont telles qu’ils ne trouvent pas de scanner susceptible de les satisfaire. Quant à l’aéroport, nous attendons toujours leur permission pour entamer la réfection de la piste d’atterrissage de l’aéroport détruite par les bulldozers en 2001».
La consolidation de la trêve
Bien sûr, tout est lié. Si les tirs de roquettes Kassam sur le territoire israélien reprennent, l’Autorité palestinienne aura du mal à convaincre la communauté internationale de faire pression sur Ariel Sharon pour alléger le bouclage de Gaza. Pour l’instant, Abou Mazen semble confiant. Les analystes palestiniens s’attendent à ce que le Hamas et la plupart des milices palestiniennes poursuivent, au moins temporairement, la trêve en vigueur depuis le début de l’année. Un récent sondage, mené par l’IPCRI (Israeli Palestinian Center for Research and Information) montre que 60% des personnes interrogées sont favorable à l’arrêt des violences à Gaza.
Abou Mazen table sur le fait que d’ici aux élections législatives programmées pour janvier, le Hamas entend permettre à ses candidats de faire campagne au grand jour, sans craindre le harcèlement ni des hélicoptères israéliens, ni des policiers palestiniens. C’est après ce scrutin que la situation pourrait se détériorer. Si le Hamas rentre en force au parlement et si dans le même temps, le gouvernement d’Ariel Sharon poursuit la colonisation à cadences forcées en Cisjordanie, en violation flagrante de la Feuille de route, alors l’hypothèse d’une troisième Intifada, militarisée ou non, deviendra de plus en plus crédible.
La relance de l’économie
Les grands travaux attendus dans les prochains mois atténueront la pression du chômage qui touche plus de la moitié de la population de Gaza. La construction des milliers de logements financés par Cheikh Khalifa des Emirats Arabes Unis à l’emplacement de la colonie de Morag et le chantier du port serviront de filet de sécurité sociale. La société privée qui a repris les serres des colons promet de réembaucher les 4 000 ouvriers qui y travaillaient avant le retrait. Les agences de coopération internationales peaufinent toutes des micro ou macro-projets destinées à ranimer la consommation et l’investissement.
Mais après ? Dans un récent article, Sara Roy, chercheuse à Harvard et spécialiste de la bande de Gaza, explique que trente huit années d’occupation, marquées par un sabotage délibéré de l’économie locale ont « depuis longtemps privé la Palestine de son potentiel de développement. Ces destructions ne peuvent pas être effacées par la restitution des terres de Gaza et l’octroi aux Palestiniens de la liberté de circulation et du droit de créer des zones industrielles ». Comment réinventer un tissu économique autonome alors que la classe moyenne est à bout de souffle, que la jeunesse est de moins en moins qualifiée et que la population croît à une vitesse telle qu’elle approchera les deux millions en 2010 ?
La seule solution selon Sara Roy, consiste à refaire de ce territoire ce qu’il a été pendant près de trente ans, à savoir un réservoir de main d’œuvres pour Israël. Or le gouvernement israélien a fait savoir qu’il fermera hermétiquement son marché aux travailleurs palestiniens à compter de 2008.
Le maintien de la sécurité
Avec l’assassinat de Moussa Arafat, l’ex-commandant des Renseignements militaires, exécuté d’une rafale en pleine tête le 7 septembre dernier, les officiels palestiniens ont-ils senti passer le vent du boulet ? Pas si sûr. Zakariya Al-Agha, un haut représentant du Fatah, concède certes : «C’est la catastrophe, nous allons tout droit en enfer». Mais interrogé sur l’étrange apathie des services de police palestiniens durant l’attaque, Tawfik Abou Khoussa, le porte-parole du ministère de l’Intérieur préfère minimiser : «Les coups de feu, c’est devenu traditionnel à Gaza. La nuit du meurtre, il n’y en a pas eu davantage que lors de n’importe quel mariage».
Des propos lénifiants qui cachent une évidence : la guerre que se mènent les barons des services de sécurité par hommes de main interposés menace de plonger la bande de Gaza dans un véritable chaos. D’autant qu’aux rivalités entre services de sécurité, se mêlent les vendettas familiales, qui dégénèrent souvent en kidnappings, le chômage endémique au nom duquel certains combattants en mal d’embauches s’autorisent à mettre à sac des bâtiments publics et puis bien sûr la concurrence entre le Fatah et le Hamas, susceptible de déraper à tout moment.
Pour conjurer ce mauvais remake du Liban ou de la Somalie, Abou Mazen a un plan. Il veut d’ici aux élections procéder au démantèlement des milices proches du Fatah, comme les Comités des résistances populaires, dont l’une des cellules a revendiqué l’assassinat de Moussa Arafat. En arguant du fait que le départ de l’armée israélienne ne nécessite plus l’entretien d’un arsenal de guerre. Après janvier, une fois que le Hamas aura retiré les premiers dividendes de sa stratégie politique, Abbas envisage de le forcer à renoncer à sa branche militaire. Problème : pour ce faire, il aura besoin d’une police prête à l’action. Or selon, un expert occidental, «il n’y a plus d’homme fort à Gaza. Aucun chef n’est suffisamment puissant pour que ses hommes se sentent couverts quoiqu’il leur demande de faire».par Benjamin Barthe
Article publié le 15/09/2005 Dernière mise à jour le 15/09/2005 à 14:31 TU