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Proche-Orient

Le «souk» à Gaza

Rafah, la ville palestinienne collée à la frontière égyptienne, est coupée en deux.(Photo : AFP)
Rafah, la ville palestinienne collée à la frontière égyptienne, est coupée en deux.
(Photo : AFP)
Réprimer et se faire taxer de «gendarme israélien par procuration» ou laisser faire et risquer de voir des extrémistes palestiniens se disséminer en Egypte. Tel est le dilemme «moubarakien» à la frontière entre Gaza et l’Egypte. En effet, le laxisme dont font preuve les gardes-frontières égyptiens, d’habitude si tatillons, relève de l’obéissance à des ordres qui doivent émaner de supérieurs… très supérieurs.

De notre correspondant en Egypte

Les responsables égyptiens espèrent sans doute que les choses se calmeront d’elles-mêmes. Mais en attendant que cette politique de la force d’inertie donne des fruits, c’est le «souk» à cette frontière de 14 kms entre l’Egypte et Gaza. Depuis le retrait israélien de la bande de Gaza, le 12 septembre, quelque 20 000 Palestiniens ont allègrement franchi la frontière vers l’Egypte. Au début c’était la fête et surtout les retrouvailles familiales. Rafah, la ville palestinienne collée à la frontière égyptienne, est en effet coupée en deux. Après l’occupation israélienne de Gaza et du Sinaï égyptien en 1967, la frontière avait disparu. Les Israéliens ont laissé la ville de Rafah s’étendre en territoire égyptien.

Quand les Egyptiens récupèrent la zone, le 25 avril 1982, ils sont confrontés au problème de Rafah. Expulser des dizaines de milliers de Palestiniens aurait empiré le cas de l’Egypte déjà accusée de «trahison» par «les frères arabes». Rafah est donc divisée en deux, comme Berlin en son temps : la Rafah palestinienne sous occupation israélienne à l’Est et la Rafah égyptienne à l’Ouest. Entre les deux un mur, des barbelés et des miradors et, en dessous, des tunnels. Et comme à Berlin, le premier réflexe des «libérés» est de s’en prendre au mur. Mais les militants du Hamas et du Djihad islamique préfèrent l’explosif au bulldozer. Résultat trois brèches sont percées.

Le cow-boy et Cléopâtre font bon ménage

Coté égyptien on avait bien installé des barbelés mais ils ont été cisaillés et ressemblent maintenant à de la dentelle. Les gardes-frontières, comme Sisyphe, remplacent chaque jour les barbelés qui sont aussitôt cisaillés et se contentent de regarder les centaines de personnes qui continuent à passer. Pourtant les 750 gardes-frontières, qui ont reçu des renforts policiers, disposent théoriquement d’assez de moyens pour contenir le flot avec véhicules blindés, hélicoptères et mitrailleuses lourdes. Les retrouvailles se poursuivent donc d’autant plus que les Palestiniens ne se sont pas contentés de rester à Rafah-Ouest. Ils se sont rendus à El Arich, la capitale du Nord-Sinaï, et même dans le reste de l’Egypte comme le reconnaît un officiel.

Mais ces retrouvailles ne sont pas antinomiques avec le «souk». L’essence égyptienne subventionnée (0,14 € le litre) part dans des jerrycans en plastique portés à bout de bras. Les cigarettes étrangères fabriquées sous licence (1 € le paquet), comme les égyptiennes (0,3 €), sont aussi très prisées. Le cow-boy et Cléopâtre font bon ménage ! Mais il y a aussi les poulets, les pièces de rechange, les médicaments et toute sorte de produits manquant à une Gaza qui devait tout importer par le biais d’Israël. Des armes ont même été saisies, «en petites quantités» s’empresse-t-on de préciser coté égyptien. Juste retournement des choses puisque avant 1967 Gaza, gérée par Le Caire, était la source des produits de contrebande vers une Egypte à économie socialiste dirigée.

Empêcher les Palestiniens de s’infiltrer dans le Sinaï

Dans une tentative de mettre un peu d’ordre, l’Egypte et l’autorité palestinienne ont décidé la constitution d’une commission ministérielle mixte chargée d’aménager le passage des Palestiniens entre Gaza et la Rafah égyptienne. Une délégation sécuritaire égyptienne doit d’ailleurs rencontrer les présidents de l’Autorité palestinienne pour discuter, de ce que l’on appelle au Caire, «la confrontation des défis liés à l’ouverture du point de passage frontalier». Les Egyptiens sont, en effet,  préoccupés par le désordre à la frontière. Ils veulent empêcher le trafic, notamment d’armes, dans les sens Egypte-Gaza mais ils désirent surtout empêcher les Palestiniens de s’infiltrer dans le Sinaï.

Une péninsule où il y a déjà eu une série d’attentats meurtriers perpétrés par des extrémistes musulmans à Taba et Charm el Cheikh ainsi que des attaques contre la force multinationale et les policiers lancés à leur trousses. L’infiltration de membres du Hamas ou du Djihad islamique pourrait renforcer les extrémistes musulmans locaux. Même si officiellement ces organisations islamistes sont reconnues au Caire, les responsables Egyptiens préfèrent, de très loin, que leurs militants restent chez eux. Ce n’est pas par hasard que le quotidien égyptien d’opposition Al Wafd qualifie «d’agression» le percement à l’explosif par le Hamas d’une faille dans le mur séparant Gaza de l’Egypte. Cela n’empêche pas le même journal de penser qu’«Israël continue à monter l’Egypte contre les Palestiniens».


par Alexandre  Buccianti

Article publié le 16/09/2005 Dernière mise à jour le 16/09/2005 à 11:22 TU