Afghanistan
Elections : un saut dans l’inconnu
(Photo : Manu Pochez/RFI)
De notre correspondante à Kaboul
Ce matin, tous les Afghans lorgnent sur l’index droit de leurs voisins. C’est à la petite tâche d’encre noire que l’on reconnaît les votants. D’après les premières estimations fournies par la fondation pour des élections justes, ils seraient beaucoup moins nombreux que lors des élections présidentielles d’octobre 2004. Pour Paul Erben, responsable du comité d’organisation des élections, il y aurait un peu plus de 50 % des Afghans (soit six millions de votants) à s’être rendus aux urnes, ce qui est en nette diminution par rapport aux 70% de participation enregistrés lors des présidentielles. Sans que cela tourne à la polémique, beaucoup d’observateurs s’interrogent aujourd’hui sur la faiblesse d’un vote qui semblait pourtant tenir à cœur aux Afghans.
À Mikrorayan, quartier de la classe moyenne kaboulie, les bureaux de vote n’ont jamais été débordés. Djamila, une observatrice, y voit plusieurs explications «Le comité électoral a ouvert plus de bureaux de vote que l’année dernière donc les votants sont plus dispersés. Beaucoup de mes amis m’ont aussi avoué qu’ils ne viendraient pas voter pour un parlement qui accueillera des voyous et des seigneurs de guerre.» Ce raisonnement est loin d’être marginal. Si beaucoup d’Afghans ont voulu croire à un parlement qui leur ressemblerait, la plupart se sont révélés extrêmement déçus que seuls quarante-cinq candidats soupçonnés d’appartenir à des milices armées aient été exclus du scrutin. « Comment voulez-vous voter pour des candidats en qui vous n’avez pas confiance ? Moi, j’ai préféré m’abstenir » raconte un commerçant. Pour d’autres, les menaces proférées par les Taliban d’attaquer certains bureaux de vote auraient découragé beaucoup d’électeurs. Quelques incidents (notamment la mort d’un soldat des forces spéciales françaises dont la voiture a sauté sur une mine et la mort de sept policiers afghans) ont émaillé le scrutin sans pour autant l’empêcher, ce qui est déjà une grande victoire des Afghans contre le fondamentalisme.
A l’épreuve de la démocratie
A douze kilomètres de Kaboul, en plein désert, l’enthousiasme est là. Une longue procession de barbes blanches et de jeunes femmes colorées défie la poussière afghane. Ils ont marché plus de trois heures à travers la montagne pour se rendre dans le principal bureau de vote des nomades kouchis. Pour la seconde fois de leur histoire, ces nomades séculaires ont le droit de vote. Bibi Ghul ne sait pas très bien en quoi consiste un parlement mais on lui a dit « que cela lui donnerait des droits » Dans l’isoloir en carton, elle est bien en peine de trouver son candidat parmi les quatre cent huit noms et les quatre pages du bulletin vote. Elle fait partie des 70 % d’illettrés qui ont eu un mal fou à voter bien que la commission électorale afghane ait affecté chaque candidat d’un sigle distinctif.
C’est exactement ce que craignait Emma Bonino, responsable de la mission d’observation de l’Union européenne. « Le manque d’éducation est forcément un facteur dégradant pour ces élections. La démocratie s’exprimera dans la limite de ce que les Afghans pourront comprendre d’un système électoral complexe, où il y a peu de partis et beaucoup de candidats indépendants » pronostiquait-elle à quelques jours du vote. Et de fait, ces élections parlementaires se sont apparentées à une véritable loterie où les électeurs votaient à tout hasard pour l’un des cinq mille huit cents candidats ou pour des prétextes nettement plus fallacieux. Ainsi à Kaboul, le jeune Sabrina Sagheb, 26 ans, a obtenu tous les suffrages. Pas pour son programme, non. Encore moins pour son courage politique. Ces posters électoraux qui ressemblent à des affiches de films de Bollywood sont arrachés par de jeunes amourachés. Sabrina n’a pas fait campagne mais son visage placardé sur le moindre bout de mur l’a fait pour elle.
Les spéculations l’emportent désormais sur l’indécision. Le décompte des voix a déjà commencé et les premiers résultats ne pourront être connus avant le 10 octobre. Quelle couleur politique aura ce premier parlement depuis 36 ans ? Sera-t-il un frein à la politique du président Hamid Karzaï comme le craignent certains observateurs. La multiethnicité de l’Afghanistan a aujourd’hui une occasion majeure de s’exprimer sous les auspices de la démocratie.
par Marie Bourreau
Article publié le 19/09/2005 Dernière mise à jour le 19/09/2005 à 15:52 TU