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Afghanistan

Des élections historiques dans un pays en ruines

Dimanche, plus de 12 millions d'électeurs choisiront les membres du parlement et des futures assemblées provinciales en Afghanistan.(Photo : Manu Pochez / RFI)
Dimanche, plus de 12 millions d'électeurs choisiront les membres du parlement et des futures assemblées provinciales en Afghanistan.
(Photo : Manu Pochez / RFI)
Quatre ans après la chute du régime des Taliban, les Afghans vont voter dimanche pour élire leurs représentants au Parlement et aux conseils provinciaux. Ce scrutin, dernière étape vers une normalisation politique, est sensé asseoir la démocratie dans un pays qui est pourtant loin d’être pacifié et qui a les plus grandes difficultés à se relever de près de trois décennies de violences. Si le nombre important de candidats dénotent un intérêt certain des Afghans pour ces élections, le pouvoir des chefs de guerre risque de peser une fois encore sur l’issue du scrutin dans un pays où plus de 70% des électeurs sont illettrés.

(Photo : Manu Pochez / RFI)
La dernière fois que les Afghans se sont rendus librement aux urnes pour élire leurs représentants remonte à 1969, sous le règne du roi Zaher Shah, chassé du pouvoir en 1973 par son cousin Mohammed Daoud, lui-même renversé cinq ans plus tard. Depuis, le pays a connu la dictature des communistes, a sombré dans la guerre civile, avant de vivre sous l’un des régimes les plus tyranniques et obscurantistes de la planète, celui des Taliban. Après plusieurs décennies de violences, l’Afghanistan semble enfin aujourd’hui sur la voie de la normalisation. Et les élections de dimanche sonnent comme un défi même si la plus grande incertitude règne quant à l’avenir du pays qui, quatre ans après la chute du régime du mollah Omar, est loin d’être pacifié. Mais à lui seul, l’intérêt porté par les Afghans à ce scrutin en dit long sur leur volonté d’aller de l’avant. Quelque 12,4 millions d’électeurs, dont 44% de femmes, se sont en effet inscrits sur les listes pour aller voter, soit 1,9 millions de plus que lors du scrutin présidentiel d’octobre dernier qui a porté au pouvoir le chef de l’Etat Hamid Karzaï. Et pas moins de 5 777 candidats vont se disputer les 249 sièges de la Wolesi Jirga (l’Assemblée nationale) et les 420 sièges des conseils provinciaux qui doivent désigner une partie de la Meshrano Jirga (le Sénat).

Le système électoral retenu pour ce scrutin, le «Single Non Transferable Vote» –un vote pour un nom­–, interdit à un candidat de se présenter sous la bannière d’un parti politique. Ardemment défendu par le président Hamid Karzaï et ses alliés américains, il est sensé, selon eux, empêcher les formations traditionnelles, largement discréditées par des années de conflit, de revenir dans le jeu politique en donnant leur chance aux candidatures indépendantes. Mais il est aussi fortement critiqué par les Nations unies et par de nombreuses organisations non gouvernementales, comme par exemple, l’International Crisis Group (ICG) qui, à la veille du scrutin, vient de présenter un rapport sur la situation politique en Afghanistan. «Bannir, écrit-elle, les partis politiques est une erreur majeure car on empêche ainsi  la formation de groupes aux idées nouvelles». Une position partagée par de nombreux diplomates en poste à Kaboul. L’un d’eux a notamment expliqué à l’AFP que «quand il n’y a pas de partis dans un pays comme l’Afghanistan, il reste la religion et les ethnies et donc très peu de chance de démocratisation». Sans compter que ce système ne garantit pas pour autant que les formations politiques traditionnelles, comme celles des moudjahidine et des communistes notamment, n’interfèreront pas dans le scrutin. Selon certaines estimations, elles seraient derrière au moins 40% des candidats.

D’anciens criminels de guerre candidats

Soucieuse d’éviter un déchaînement des violences durant la campagne électorale et pendant le scrutin, la présidence afghane a par ailleurs fait le choix de ne pas exclure les candidats liés à des groupes armés. Ainsi, la quasi-totalité des chefs de guerre locaux ou leurs représentants, y compris ceux qui ont été identifiés comme criminels de guerre dans de nombreux rapports sur les droits de l’Homme en Afghanistan, se sont présentés aux élections. Certains sont même d’anciens Taliban, repentis, qui ont répondu à l’appel à la réconciliation nationale lancé par le président Hamid Karzaï. Parmi eux, on trouve notamment un ancien vice-ministre, responsable sous le régime du mollah Omar de la tristement célèbre police religieuse. Selon une étude interne du bureau des Nations unies à Kaboul, qui n’a pas été rendue publique, au moins 16% des quelque 5 800 candidats, soit plus de 900 personnes, seraient ainsi liés à des groupes armés. Or seuls trente-deux ont été exclus du scrutin.

Le pouvoir des narcotrafiquants risque en outre de peser lourdement dans ces élections. Alors que le régime des Taliban était parvenu à éradiquer une grande partie des cultures de pavots, l’Afghanistan a produit 4 200 tonnes d’opium en 2004, soit 87% de l’héroïne vendue à travers le monde. Ce trafic, qui a généré un revenu de 2,8 milliards de dollars, l’équivalent de 52% du PIB afghan, a également permis l’avènement d’une nouvelle caste de chefs de guerre, aujourd’hui déterminés à arracher une parcelle de pouvoir politique pour garantir la pérennité de leurs affaires.  

La situation sécuritaire s’est par ailleurs considérablement dégradée à travers tout le pays depuis le début de l’année. Les incidents armés se sont notamment multipliés dans les régions du sud et du sud-est, fiefs traditionnels des Taliban, confirmant une réorganisation de la milice islamiste. Ces violences ont fait depuis le mois de janvier près d’un millier de morts, dont 76 dans les rangs de l’armée américaine. Les observateurs estiment toutefois que la journée de dimanche ne devrait pas connaître une recrudescence des attaques. «Trop de factions ont aujourd’hui intérêt à voir les élections se dérouler correctement pour faire dérailler le processus», a ainsi estimé Christian Willach dont l’ONG Afghanistan NGO Security organisation, évalue le niveau de sécurité pour tous les organismes d’aide qui travaillent en Afghanistan. Les analystes se montrent en revanche beaucoup plus pessimistes sur l’après-scrutin, prédisant même une dégradation rapide de la sécurité. Ils mettent notamment en cause l’une des dispositions de la loi électorale qui prévoit que si un candidat élu vient à mourir, même de mort violente, il sera automatiquement remplacé par la personne qui le suit dans l’ordre des résultats. «Le seul endroit au monde où cette règle a été appliquée, c’est au Cambodge. Le résultat a été une vague de meurtres à travers le pays. Et tout indique que la même chose risque de se produire en Afghanistan», s’est notamment inquiété l’organisation de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch.


par Mounia  Daoudi

Article publié le 16/09/2005 Dernière mise à jour le 16/09/2005 à 15:42 TU