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Golfe

Le réveil du prolétariat des émirats

Les ouvriers étrangers du bâtiment dans les monarchies pétrolières du golfe Persique ne supportent plus leurs conditions de travail.(Photo : AFP)
Les ouvriers étrangers du bâtiment dans les monarchies pétrolières du golfe Persique ne supportent plus leurs conditions de travail.
(Photo : AFP)
Grève au Qatar, manifestation à Dubaï, sit-in à Abou Dhabi, les mouvements sociaux spontanés se multiplient dans les monarchies pétrolières où les ouvriers étrangers du bâtiment supportent de moins en moins leurs conditions de vie et de travail.

De notre correspondant à Doha

Dubaï n'avait jamais vu ça. Un millier d'ouvriers en bleu de travail marchant dans le silence vers l'avenue Cheikh Zayed et ses gratte-ciel, la vitrine flamboyante de cet émirat qui entend anticiper l'épuisement de ses réserves pétrolières en devenant un centre touristique et financier.

Originaires de l'Inde, du Pakistan ou du Sri Lanka, les manifestants qui bravaient la loi venaient du pharaonique chantier de Palm Jumeira, cette île artificielle en forme de palmier qui s'étend sur plusieurs kilomètres. Employés d'une société sous-traitante des promoteurs du projet, ils passent jusqu'à 10 heures par jour sur le site, pour un salaire mensuel de 150 euros… qui ne leur a pas été versé depuis quatre mois.

Soucieuses de leur image, les autorités sont rapidement intervenues pour faire cesser ce mouvement social impromptu. Alors que les manifestants regagnaient, encadrés par la police, leurs camps de baraquements en périphérie de la ville, le ministère du Travail donnait 24 heures à l'entreprise pour payer ses ouvriers, lui infligeant aussi de lourdes amendes.

Forme moderne d'esclavagisme

Finalement, la grève de Palm Jumeira s'est donc terminée aussi vite qu'elle avait commencé. Elle révèle néanmoins le malaise grandissant des centaines de milliers d'ouvriers qui construisent l'avenir des monarchies du Golfe dans des conditions de vie et de travail désastreuses : logements misérables (surpopulation, insalubrité), non respect du contrat de travail, salaires impayés ou établis en fonction de la nationalité, confiscation du passeport, cadences de travail infernales…

Ces abus, qui ne sont pas le fait de tous les employeurs mais s'observent dans toute la région, sont favorisés par la terrible législation du «parrainage» : le permis de résidence va de pair avec le contrat de travail, un licenciement est synonyme d'expulsion du territoire. Sous la menace permanente de la perte d'un emploi qui fait vivre leurs familles restées au pays, les ouvriers préfèrent généralement la discrétion aux revendications. Le système a été dénoncé à maintes reprises par l'Organisation internationale du Travail (OIT) qui l'assimile à une «forme moderne d'esclavagisme» mais n'a jamais pu obtenir sa suppression.

Depuis quelques mois, les choses semblent pourtant changer. Autrefois muette sur le sujet, la presse locale se fait  de plus en plus l'écho de ces dérives. Les protestations sur la voie publique se multiplient également : manifestation à Dubaï et sit-in à Abou Dhabi en septembre, première grève au Qatar en août…

Pour le représentant de l'OIT au Koweït, Tabet Al Haroun, «c'est une sonnette d'alarme» à l'attention des Etats du Golfe qui «doivent promulguer des lois conformes aux normes internationales et aux droits de l'Homme». «Les dirigeants s'exposent à des mouvements plus importants, peut-être plus violents, explique de son côté un spécialiste français du maintien de l'ordre, de passage au Qatar. Plus de 50% de la population de ces pays est étrangère et les chantiers comptent souvent plusieurs centaines d'ouvriers. Des émeutes sont tout à fait possibles», ajoute-t-il.

Liste noire des sociétés fautives

A Dubaï, le ministère du Travail pare pour l'instant au plus pressé. Il vient de lancer une vaste opération de contrôle des camps abritant des ouvriers et évoque un renforcement imminent de sa législation. L'octroi de permis de travail pourrait en particulier être lié aux conditions de logements : propreté, nombre limité de travailleurs par chambre, eau potable… Autre signe d'un timide changement, la sacro-sainte législation sur le parrainage a été récemment assouplie pour certaines catégories d'employés. Mais la grève et les syndicats restent interdits, au contraire du Koweït, de Bahreïn et du Qatar.

A Doha, capitale du Qatar, c'est à la jeune Commission nationale des droits de l'Homme qu'a été indirectement confiée la tâche de changer les mentalités. Créée en 2004, cette institution reçoit et instruit toutes les plaintes d'employés abusés. Avec des membres directement nommés par l'émir, elle est devenue en quelques mois la bête noire des entreprises publiques et privées qui redoutent ses interventions. D'autant qu'elle pourrait bientôt créer une liste noire des sociétés mises en cause.

Quant au Koweït, qui a connu ses premières grèves dés la fin des années 90, son ministre du Travail a proposé la semaine dernière l'instauration d'un salaire minimum de 150 euros pour les étrangers. C'est très peu, mais déjà cinq fois plus que les salaires moyens versés par les sociétés de nettoyage. Avant l'été, le travail en extérieur avait également été interdit de juin à septembre. La loi existe chez les voisins, quand la température dépasse 50°C.


par Aurélien  Colly

Article publié le 28/09/2005 Dernière mise à jour le 28/09/2005 à 13:51 TU