Transport maritime
L'armée prend le contrôle du Pascal Paoli
(photo : AFP)
Mercredi matin, vers 8 heures et demie, un commando héliporté d’une cinquantaine de gendarmes d’élite du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) a donné l’assaut au navire piraté mardi par une trentaine de marins grévistes du Syndicat des travailleurs corses (STC), le Pascal Paoli, un bâtiment voué au transport mixte de fret et de passagers, fleuron de la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM) en cours de privatisation. Le Pascal Paoli a fait demi tour en direction du continent. L’intervention militaire a duré une dizaine de minutes. Une procédure judiciaire a été ouverte pour «détournement de navire», un «crime» passible de 20 ans de prison.
Hier, en milieu de journée, l’opposition syndicale à la privatisation de la SNCM était montée en force et avait changé de terrain, avec la prise de contrôle du Pascal Paoli, au port de Marseille. Le leader syndical Alain Mosconi avait en effet annoncé la couleur en lançant : «Nous avons récupéré un outil de travail qui appartient à la Corse et nous le rendons à la Corse». En fin d’après-midi, le Pascal Paoli croisait au large de Toulon et annonçait son accostage à Bastia, en Corse, «à 21 heures ou 22 heures». Entre temps, le gouvernement français avait déclaré la SNCM privatisée à 100%, en faveur du fonds d’investissement franco-américain Butler, avant de proposer que l’Etat conserve une participation minoritaire sans cette société, qui appartenait pour 93% à Compagnie générale maritime et financière (publique) et pour 7% à la Société nationale des chemins de fer (SNCF). De son côté, la préfecture de Toulon avait indiqué qu’elle avait «mobilisé des moyens» pour mettre fin au détournement du Pascal Paoli.
Violents affrontements
Après leur assaut, lancé à partir de cinq hélicoptères, les gendarmes d’élite se sont déployés à bord pour ramener le Pascal Paoli à Toulon, sous l’escorte de bâtiments de la marine française transportant des gendarmes maritimes, aux ordres du procureur de Marseille. Des officiers de police judiciaire ont signifié leur garde à vue aux mutins. L’intervention militaire a suscité la colère des syndicalistes qui manifestaient leur mécontentement, mercredi matin, à Bastia, se déclarant «grugés par les autorités préfectorales». Selon eux, celles-ci leur auraient promis des négociations pour les amener à ancrer le Pascal Paoli au large de Bastia ,afin de donner l’assaut plus facilement. Mardi soir, Bastia avait connu de violents affrontements entre gendarmes mobiles et partisans du STC encouragés par l’indépendantiste corse Jean-Guy Talamoni. Avec des militants de la Confédération générale du travail (CGT), ils avaient auparavant tenté de paralyser la compagnie de transport privée «low cost», Corsica Ferries, qui dessert également Toulon. Ils avaient aussi empêché l’appareillage d’un navire de transport de marchandises et de passagers appartenant à une entreprise publique, la Compagnie méridionale de navigation (CMN).
A Marseille, où le port est bloqué depuis mardi, la CGT, fer de lance de ce conflit social, exprime sa solidarité vis-à-vis des auteurs du détournement mais ne cautionne pas une action qui «ne fait pas partie de [sa] culture». Mercredi, les grévistes de la CGT continuaient de paralyser le trafic ainsi que les terminaux pétroliers, minéraliers et à conteneurs de Marseille, premier port de France. Ils dénoncent une «privatisation latente» du port. Le repreneur de la SNCM, le groupe Butler prévoit pour sa part environ 400 suppressions d’emploi sur les quelque 2 400 postes, dont environ 800 en Corse. Il a fait une offre de 35 millions d'euros et bénéficiera d’une recapitalisation de l'Etat de 113 millions d'euros.
La semaine dernière, le conflit avait bloqué des centaines de passagers en partance pour Alger, également desservi par la SNCM. Créée en 1976, l’entreprise publique possède une flotte de 10 navires. Depuis 2002, seul le trafic entre Marseille et la Corse continuait à être subventionné. Depuis 1996, la SNCM subissait de plein fouet la concurrence du secteur privé, en particulier celle de la Corsica ferries qui est désormais la première compagnie entre la Corse et le continent. Régulièrement déficitaire, la SNCM était au bord du dépôt de bilan. Mais outre un enjeu social, elle est aussi un enjeu pour le nationalisme corse. Créé en 1984 pour défendre l’emploi des insulaires, en 2004, au prix d’un blocus de l’île, la STC a imposé la «corsisation» des emplois à la SNCM, et au passage, à la CGT. Dans ce contexte, l‘emprisonnement des mutins du Pascal Paoli promet dans ce contexte de nouvelles passes d’armes politiques entre le gouvernement français et les insulaires.
par Monique Mas
Article publié le 28/09/2005 Dernière mise à jour le 28/09/2005 à 15:14 TU