Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Social

Chantage à la préférence corse

Le ferry <i>Daniele Casanova</i> de la SNCM, immobilisé dans le port de Marseille. Le trafic maritime vers la Corse a été bloqué deux semaines. 

		(Photo: AFP)
Le ferry Daniele Casanova de la SNCM, immobilisé dans le port de Marseille. Le trafic maritime vers la Corse a été bloqué deux semaines.
(Photo: AFP)
L’accord signé entre la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM) et le Syndicat des travailleurs corses (STC), après deux semaines de grève qui ont bloqué le trafic maritime vers l’île de Beauté, provoque des protestations virulentes de la part des autres organisations syndicales et des hommes politiques, notamment. Ce compromis de sortie de crise entérine, en effet, des revendications à caractère nationaliste destinées, par exemple, à privilégier l’emploi des salariés corses.

«Juridiquement, c’est quoi un Corse ?» Patrick Devedjian, le ministre délégué à l’Industrie, n’a pas mâché ses mots pour dénoncer les termes de l’accord conclu, dimanche soir, entre la direction de la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM) et les représentants du Syndicat des travailleurs corses (STC) en vertu duquel les Corses devraient, à compétence égale, bénéficier d’une préférence lorsqu’ils se présentent à l’embauche. «Il s’agit d’un accord ethnique scandaleux et je suis dubitatif sur son caractère constitutionnel. Le concept juridique de Corse n’existe pas en droit, sauf à retomber dans la mécanique juridique de la définition du statut des Juifs sous l’occupation».

Au bout de deux semaines de grève, ponctuées de négociations plusieurs fois rompues et reprises, le STC minoritaire à la SNCM a accepté de débloquer le trafic entre la Corse et le continent, après avoir obtenu la satisfaction de ses principales revendications. A savoir notamment : une augmentation de la prime d’insularité des salariés qui passe à 130 euros avec effet rétroactif depuis janvier 2004, le renforcement des effectifs des agences de Bastia et Ajaccio, et le «rééquilibrage» des embauches entre les résidents corses et ceux de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) en faveur des insulaires.

Cet accord ne répond pas, selon le président de la SNCM, Paul Vergobbi qui se défend d’avoir cédé à des pressions, à une volonté de «corsiser» les emplois, mais simplement, «de permettre aux jeunes de l’île d’accéder aux postes que l’on peut leur offrir durant la saison d’été». Il a aussi précisé que cela ne remet pas en cause «l’unicité de la compagnie». Une version des faits confirmée par le préfet de Corse, Pierre-René Lemas, qui voit dans ce compromis une volonté de «rééquilibrage» et non de «corsisation des emplois», un terme qui fait, selon lui, rentrer dans une logique «raciste».

«Un syndicat minoritaire a fait de la surenchère»

Ces explications rassurantes n’ont pas convaincu les autres organisations syndicales représentées à la SNCM, qui ont dénoncé «un conflit politique» ouvertement soutenu par les élus indépendantistes Edmond Siméoni et Jean-Charles Talamoni. Le secrétaire général des marins-CGT, Jean-Paul Israël, a ainsi affirmé qu’il s’agissait d’«un accord lourd de conséquences, passé sous la pression des nationalistes», ajoutant : «Un syndicat minoritaire a fait de la surenchère. Il a obtenu une corsisation de la société». D’autre part, la CGT qui est majoritaire à la SNCM, a menacé de bloquer à son tour la reprise du trafic si les 97 % de salariés non grévistes de l’entreprise, mis en vacances forcées à cause du blocage des bateaux par le STC, étaient pénalisés en terme de salaire. Le secrétaire général de Force ouvrière (FO), Jean-Claude Mailly, a lui aussi fait part de son opposition à la conclusion d’un accord qui marque une préférence corse. Il a ainsi déclaré : «Il y a un problème sur un volet qui relève, selon nous, du communautarisme», qui n’est pas en accord avec «les valeurs républicaines».

Du côté des politiques, on a aussi enregistré quelques réactions cinglantes. Emile Zuccarelli, le député-maire PRG de Bastia, a dénoncé «une démarche ethniciste dangereuse, au plan politique, philosophique et citoyen». Bernard Accoyer, le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, a mis en garde contre cette sorte de discrimination et s’est interrogé sur «le caractère légal et acceptable d’un accord qui prévoit d’embaucher des salariés bénéficiant d’une adresse à tel ou tel endroit». Le ministre de l’Agriculture, Hervé Gaymard, a qualifié les discriminations fondées sur des critères ethniques de «contraires à la République». Le Mouvement républicain et citoyen (MRC) a jugé cet accord «scandaleux». Le Parti socialiste a demandé des «explications claires». Et Bruno Gollnisch du Front national a estimé que l’accord était révélateur de «la décadence inéluctable de l’Etat français».

Même si, comme l’a précisé le président de la SNCM, il n'y a aucune raison que l’accord soit dénoncé puisqu’il n’y a pas «de discrimination» ou «de taux inscrits» noir sur blanc, la CGT a demandé à l’Etat français, qui contrôle la société, d’annuler ce texte. Elle a aussi menacé de porter l’affaire en justice en prévenant que ses avocats travaillaient sur la question. Une démarche à laquelle d’autres organisations syndicales comme la CFTC pourraient se rallier. La CGT a d’ailleurs déjà engagé une procédure de contestation de la validité d’un accord précédent dans lequel était inscrite la notion de préférence insulaire et a obtenu gain de cause en mars 2004. Cette fois-ci, elle pourrait néanmoins se heurter au fait qu’il ne s’agit pas véritablement d’un accord salarial mais d’un simple «relevé de conclusions». Dans ce contexte de polémique, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a décidé l’organisation d’une réunion interministérielle pour examiner «la conformité» de l’accord conclu à la SNCM avec «les principes du droit français», dès mardi à Matignon.



par Valérie  Gas

Article publié le 21/09/2004 Dernière mise à jour le 21/09/2004 à 15:56 TU