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Immigration

Des centaines d’Africains livrés au désert

Ces migrants errent dans le désert du Sahara, non loin de la frontière algéro-marocaine.(Photo: AFP)
Ces migrants errent dans le désert du Sahara, non loin de la frontière algéro-marocaine.
(Photo: AFP)
L’organisation humanitaire espagnole, SOS Racismo, assure avoir comptabilisé 2 400 clandestins africains à bord des bus affrétés par les autorités marocaines à la fin de la semaine pour les transporter de force aux confins du désert marocain, aux frontières algérienne ou mauritanienne. SOS Racismo ne sait pas ce que les deux tiers d’entre eux sont ensuite devenus. Elle n’en a localisé qu’un millier, des hommes jeunes surtout, mais aussi quelques femmes accompagnées d’enfants, abandonnés sans eau ni nourriture, dans le secteur où erraient déjà la semaine dernière quelque 500 migrants d’Afrique sub-saharienne refoulés après l’assaut des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.
«Ils nous envoient vers le Sahara. On est foutus.»
Un immigrant guinéen
Propos recueillis par Carine Frenk  [09/10/2005] 01 min 00 sec
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Dimanche matin, le premier conseiller de l'ambassade de Guinée au Maroc, Aboubakar Sylla, n’a trouvé que chaussures, vêtements, bouteilles d’eau et nourriture en désordre et à l’abandon, là où 70 compatriotes en perdition lui avaient donné rendez-vous, à Bouarfa, au Sud-Est du Maroc, à une centaine de kilomètres du Sahara algérien. «Jusqu'à une heure du matin, j'étais au téléphone avec l'un d'eux. Il m'avait dit qu'ils étaient tous là», s’étonne-t-il. Le spectacle est affolant, plus qu’à un départ précipité, il donne à penser que la petite troupe des Guinéens a été dépouillée de tout avant d’être livrée au désert. Cela ressemble en tout cas aux multiples récits des ONG qui expliquent comment, depuis quelques jours, les forces marocaines ratissent la région pour se débarrasser des clandestins en les jetant, en quelque sorte, par-dessus la frontière.

Les 70 Guinéens auraient été transportés «vers Agadir, en direction de la frontière mauritanienne». De leur côté, les ambassadeurs du Mali et du Sénégal auraient obtenu des autorités marocaines le rapatriement de leurs ressortissants, par avion. Selon une source officielle citée par l’Agence France Presse, 350 Sénégalais et 800 Maliens devaient rejoindre dimanche soir l’aéroport d’Oujda, plus au nord. Entre-temps, humanitaires, diplomates et médias internationaux ont vu passer des autobus pleins d’Africains, menottés les uns aux autres, des larmes de colère et d’humiliation dans les yeux. Ce n’était pas la première fois que les grillages de Melilla renvoyaient des clandestins à leur désespoir et les marches de la mort dans le désert ne sont pas nouvelles, elles non plus. Mais cette fois, les ratés de la politique d’endiguement de l’immigration viennent d’éclabousser opinions et bonnes consciences européennes.

Alger et Rabat se renvoient la balle

A défaut de réexaminer avec bienveillance les demandes de visas, l’Espagne se déclare «en relation avec le Maroc pour mettre en place des mesures de type humanitaire qui respectent les droits de l'homme». Il s’agirait, notamment, de demander la «mobilisation urgente» de la Fédération internationale de la Croix-Rouge, explique la vice-présidente du gouvernement espagnol, Maria Fernandez Teresa de la Vega. Le chef de la diplomatie espagnole, Miguel Angel Moratinos, devrait quant à lui se rendre lundi à Rabat pour accorder ces violons humanitaires avec son homologue marocain. En attendant, sur la rive sud de la Méditerranée, Alger et Rabat se renvoient la balle.

Selon le porte-parole de la gendarmerie nationale algérienne, Abdourahmane Ayoub, en 2005, «la police a arrêté 3 234 émigrants clandestins tentant de s'introduire au Maroc à partir du désert algérien au premier semestre, soit plus que les 2 582 arrêtés au cours du premier semestre 2004». Le flux ne tarit pas. Il a même tendance à gonfler avec l’enlisement de conflits, comme celui de la Côte d’Ivoire. «L'Algérie est un pays de transit et l'Europe doit nous aider à faire face à ce problème», explique Abdourahmane Ayoub. «Si l'Union européenne continue d'ignorer l'origine des expatriés africains et le pays de transit qu'est notamment l'Algérie, le problème de l'immigration ne sera pas résolu», renchérit l’ambassadeur du Maroc auprès de l’UE.

Depuis samedi, Rabat exhorte Alger d’assumer «sa part de responsabilité» en faisant barrage à l'émigration clandestine. En fait, riposte une mauvaise langue de la sécurité algérienne, dans les circonstances présentes, «l'objectif des Marocains est de refouler les émigrés vers le territoire algérien mais les gardes frontières algériens leur en interdisent l'accès». Reste que peu avant l’assaut des émigrés sur les enclaves espagnoles, les observateurs ont vu se vider les campements de fortune du Nord-Ouest algérien où atterrissent de très nombreux africains entrés par la cité saharienne de Tamanrasset, dans le Sud algérien.

«Apparemment, le Maroc, en bisbille avec l'Algérie sur la question du Sahara Occidental n'a pas résisté à la tentation puérile - quand on connaît l'ampleur du problème migratoire - de rendre l'Algérie responsable de la crise», s’indigne avec nombre de ses confrères Le Quotidien d'Oran. C’est en tout cas aux abords de la frontière algérienne que plusieurs centaines d’Africains, certains blessés, tous dans le dénuement le plus complet, ont été rejoints samedi par Médecins sans frontières. Là, après les morts et les blessés de Ceuta et Melilla, les témoignages atroces des prisonniers du désert ont donné un nouvel aperçu des cruels effets de la répression.

En trois ans, le Maroc aurait empêché l’entrée de 20 000 indésirables sub-sahariens, selon le directeur de la Migration et de la surveillance des frontières au ministère de l'Intérieur marocain, Khaled Zerouali. Le Maroc aurait également démantelé «environ 300 réseaux de trafic de personnes». Il envisage maintenant de construire un mur, en plus des grillages et des miradors, improbables remparts contre le désespoir.



par Monique Mas

Article publié le 09/10/2005 Dernière mise à jour le 09/10/2005 à 16:45 TU

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Michel Zerr

Correspondant de RFI au Maroc

«Les clandestins ont été placés dans des bus et des camions...»

[09/10/2005]

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