Agriculture
Paris contre l’UE et l’OMC
(Photo : AFP)
Décidément, le fossé se creuse entre Paris et la Commission européenne. Il y eut d’abord, au printemps, en plein débat constitutionnel, l’affaire de la directive Bolkenstein pour la libéralisation des services au sein de l’Union, fort critiquée pour les menaces de dumping social qu’elle introduisait dans le jeu communautaire. Cette fois, et pour la seconde fois en moins de deux semaines, les autorités françaises adressent à nouveau à Bruxelles de virulents reproches sur son approche libérale des affaires communautaires. Le 4 octobre, le président de la République avait vivement critiqué la Commission pour son manque d’intérêt à l’égard des problèmes sociaux, dans le dossier de la débauche de 6 000 travailleurs européens, dont 1 200 français, lors de la restructuration de l’entreprise américaine Hewlett-Packard. Mardi 18 octobre, à Luxembourg, lors d’une réunion extraordinaire des ministres européens des Affaires étrangères, convoqués à l’initiative de la France, Paris s’est donc à nouveau distingué pour dénoncer la négociation en cours menée par le commissaire européen au Commerce, le Britannique Peter Mandelson.
Selon la partie française, M. Mandelson outrepasse son mandat dans les discussions en cours, préparatoires à la reprise des négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en décembre à Hong Kong. En l’occurrence, Paris estime que les propositions européennes formulées par M. Mandelson constituent des concessions qui mettent en péril la Politique agricole commune (PAC) dans le seul but de conclure rapidement le cycle de Doha visant à libéraliser davantage les échanges commerciaux internationaux. C’est une affaire centrale dans la négociation qui va s’ouvrir dans le cadre de l’OMC. En effet, de la diminution des subventions accordées par l’Europe et les Etats-Unis à leurs paysans dépend, pour une large part, le succès de l’entreprise.
La mise sous la tutelle du négociateur
Concrètement, le reproche adressé à Peter Mandelson est d’avoir proposé à l’OMC, le 11 octobre, à la suite des Américains, une baisse substantielle des aides communautaires aux agriculteurs. Tandis que Washington indiquait une réduction de 60% des aides publiques et de 55 à 90% de ses droits de douane, Bruxelles annonçait une baisse de 70% des aides et de 50% de ses droits de douane les plus élevés. Pour l’exécutif français, le résultat débouche sur une situation intenable : «18% des lignes tarifaires seront confrontées à des importations conclues à un prix inférieur au prix communautaire» sur des produits sensibles tels que les volailles, le sucre, le beurre, la tomate et la viande bovine. La ligne rouge a donc été atteinte et la Commission est donc allée, selon les Français, au-delà de son mandat de négociation. Paris demandait donc à ses pairs, mardi à Luxembourg, la mise sous la tutelle d’experts techniques du négociateur.
Paris aurait voulu surveiller a priori M. Mandelson de façon à laisser au Conseil européen la charge du pilotage en amont des négociations. Mais, mardi à Luxembourg, seule l’Italie et la Grèce ont manifesté leur intérêt pour la thèse française tandis que le gros du contingent européen soutenait la démarche du commissaire, certains manifestant tout au plus des réserves, sept d’entre eux appuyant la démarche française. Volant au secours du commissaire, le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw, a déclaré qu’«il n’y avait pas de consensus pour cette proposition (de surveillance a priori) : elle n’a donc pas été reflétée dans les conclusions».
Au risque d’aggraver la crise
Toutefois, l’agacement de la France a été pris en considération. A l’issue de la réunion, les 25 ont affirmé que la Commission s’engage «à renforcer les mécanismes pour assurer que le Conseil est pleinement informé, sur une base régulière et systématique, des développements de la négociation». Renforcé dans sa position après ce conseil tendu, M. Mandelson s’est rendu comme prévu mercredi à Genève, retrouver ses collègues américain, indien, brésilien et australien pour faire avancer le dossier. De son côté, la France est satisfaite des effets de la pression qu’elle a exercée sur la négociation. Certes, la Commission conserve sa marge de manœuvres dans les discussions, mais «sous le contrôle des Etats», a indiqué le ministre français de l’Agriculture, Dominique Bussereau qui estime que «la Commission ne peut plus négocier dans les mêmes conditions qu’avant».
Mercredi soir, au risque d’aggraver la crise de confiance entre les Etats et ses institutions, le ministère français de l’Agriculture estimait que Paris «ne peut accepter que le négociateur communautaire évoque de quelque manière que ce soit le dossier agricole lors des toutes prochaines sessions de négociations à Genève», mercredi, jeudi et vendredi.
par Georges Abou
Article publié le 19/10/2005 Dernière mise à jour le 19/10/2005 à 17:46 TU