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Pétrole contre nourriture : 7 ans de malheur

Selon le dernier <A href="http://www.iic-offp.org/documents/IIC%20Final%20Report%2027Oct2005.pdf" target=_BLANK>rapport</A> de l’ONU, plus de 2&nbsp;000 entreprises sont impliquées dans l’affaire de corruption du programme «pétrole contre nourriture».(Photo : onu.org)
Selon le dernier rapport de l’ONU, plus de 2 000 entreprises sont impliquées dans l’affaire de corruption du programme «pétrole contre nourriture».
(Photo : onu.org)
Le nouveau volet de l’enquête de Paul Volcker sur la corruption autour du programme «pétrole contre nourriture» provoque de nombreuses réactions. Plusieurs entreprises, soupçonnées d’avoir bénéficié des largesses de Saddam Hussein, démentent. Des personnalités sont également citées dans ce nouveau rapport. Elles sont soupçonnées d’avoir bénéficié du système organisé par Bagdad pour vendre son pétrole en prélevant des commissions. Le programme, qui s'est étalé sur 7 ans, de 1996 à 2003, devait secourir la population irakienne victime de l’embargo international.

De la BNP, banque française, à la compagnie pétrolière américaine Texaco, en passant par le groupe d’ingénierie britannique Weirgroup, ou les industriels allemands DaimlerBenz et Siemens, plus de 2 200 entreprises se sont prêtées au jeu organisé par Saddam Hussein. C’est ce que montre le dernier volet du rapport réalisé par Paul Volcker, chargé de faire le point sur les dérives du programme «pétrole contre nourriture» concernant cette fois les entreprises et les particuliers. L’Irak était alors sous embargo international pour avoir attaqué le Koweit en 1990. En tout, 2253 entreprises ont versé des pots-de-vin pour entrer dans un système leur permettant d’exporter des marchandises en Irak. Et 139 sociétés ont payé des commissions au régime irakien pour acheter son pétrole. Les Nations unies avaient autorisé l’Irak à en vendre malgré l’embargo afin de procurer vivres et médicaments à la population.

La plupart des sociétés, qui ont pris part au trafic instauré par Saddam Hussein, étaient russes, françaises, ou chinoises. Toutefois, «l’identification d’une société dans le rapport ne signifie pas nécessairement que cette société a fait, autorisé, ou même connaissait l’existence de paiements illicites», a souligné l’auteur du rapport commandé par le secrétaire général de l’ONU pour faire la lumière sur cette affaire de corruption.

«Des documents falsifiés»

Kofi Annan a appelé les Etats membres des Nations unies à prendre des sanctions à l’égard de leurs compagnies ressortissantes ayant alimenté ces caisses noires irakiennes et fait du business illégal avec Bagdad à un moment où cela était, ou interdit, ou encadré par le programme «pétrole contre nourriture». Ce vendredi, au lendemain de la publication du dernier rapport, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov est venu au secours de personnalités russes citées. Pour le ministre russe des Affaires étrangères, «les documents qu’ils (les auteurs du rapport) nous ont montré étaient falsifiés, ils contenaient des signatures falsifiées de personnalités russes officielles».

Pendant les investigations de l’équipe Volcker, plusieurs des sociétés russes citées lui avaient indiqué ne pas être au courant du versement de pots-de-vin. Les noms de deux hommes politiques russes, l’ultra-libéral Vladimir Jirinovski et le communiste Guennadi Ziouganov sont pourtant cités dans le rapport. Le premier, actuellement vice-président de la Douma (chambre basse du Parlement russe), et dont les sympathies pour le régime de Saddam Hussein sont de notoriété publique en Russie, a une nouvelle fois démenti avoir reçu du régime irakien des quotas de pétrole. De son côté, le Parti communiste russe a qualifié les accusations contre son leader de «bobard».

Une agence de presse russe, citant des sources diplomatiques, indique par ailleurs que la signature d’Alexandre Volochine, sur des contrats pétroliers irakiens, a été imitée. La commission de l’ONU chargée de l’enquête avait demandé à l’administration russe de lui fournir des documents pour authentifier cette signature lorsque Alexandre Volochine était chef de l’administration à la présidence russe.

Des personnalités françaises citées

De 1996 à 2003, Bagdad avait eu l’autorisation de reprendre ses exportations de pétrole pour financer l’importation de biens de première nécessité. « L’Irak pouvait choisir à qui il vendait son pétrole, il a exercé cette discrétion pour accorder des contrats à son avantage», indique le rapport. Des entreprises de 40 pays ont donc payé des surfacturations pour accéder au pétrole irakien. Dans le même temps, des personnalités d’envergure internationale, faisant partie d’une sorte de lobby pro-irakien, ont bénéficié des largesses financières du régime de Saddam Hussein. Le rapport affirme par exemple que Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur sous la première cohabitation 1986-1988 (Mitterrand président, Chirac Premier ministre), et l’ancien ambassadeur de France aux Nations unies, Jean-Bernard Mérimée, ont profité du système. Ce diplomate, affirme le rapport, «a commencé à recevoir des allocations de pétrole qui ont finalement totalisé environ six millions de barils de la part du gouvernement irakien». Toujours selon cette enquête, Charles Pasqua aurait reçu «des allocations attribuées sous son nom pour un total de 11 millions de barils».

Jean-Bernard Mérimée a été récemment mis en examen dans le cadre d’une instruction sur des abus de biens sociaux concernant le groupe français Total. Avant la publication de ce nouveau volet de l’enquête onusienne, un juge français avait déjà découvert l’existence d’une caisse noire chez Total. Elle permettait à la compagnie pétrolière de payer des commissions pour exploiter le pétrole irakien. A noter encore, côté français, la responsabilité d’une banque, la BNP-Paribas. C’est elle qui gérait les transactions financières liées au programme d’aide. «Confrontée à des soupçons publics de surcharges illicites, elle n’a pas agi pour empêcher ces pratiques», commente le rapport Volcker.  

Saddam Hussein a donc reçu 1,8 milliard de dollars sous forme de commissions ou pots-de-vin. Sur les 4500 sociétés qui ont participé au programme «pétrole contre nourriture», chargé d’adoucir la vie des Irakiens, plus de la moitié d’entre elles ont versé des dessous-de-table afin d’écouler, par le biais du programme de l’ONU, des camions ou d’autres matériels vers ce pays exsangue. Comme pour atténuer ses conclusions, le rapport rappelle qu’à l’époque, le régime irakien a engrangé bien plus de revenus en vendant du pétrole de contrebande pour 11 milliards de dollars. La morale n’est pas sauve pour autant.   


par Colette  Thomas

Article publié le 28/10/2005 Dernière mise à jour le 28/10/2005 à 16:38 TU