Pétrole contre nourriture
Un ambassadeur de France devant le juge
(Photo : AFP)
Le scandale des détournements de fonds dans le cadre du programme pétrole contre nourriture n’en finit pas de rebondir. La mise en examen du diplomate français Jean-Bernard Mérimée pour «trafic d'influence et corruption d'agents publics étrangers» est le dernier épisode d’un feuilleton judiciaire qui a déjà abouti, en France, à cinq autres inculpations parmi les onze personnes soupçonnées d’avoir participé aux malversations financières organisées par le pouvoir irakien. Il s’agit de Serge Boidevaix, l’ancien secrétaire général du Quai d’Orsay, Claude Kaspereit, un homme d’affaires, Hamida Na’na, une journaliste palestinienne, Gilles Munier, le secrétaire général de l’Association des Amitiés franco-irakienne, et Bernard Guillet, l’ancien conseiller diplomatique de l’homme politique Charles Pasqua. Ce dernier se trouve lui aussi sur la liste des personnalités soupçonnées d’être impliquées qui figure dans le rapport d’enquête de l’ONU, aux côtés de Michel Grimard, un ancien membre du conseil national du RPR et Patrick Maugein, un homme d’affaires proche de Jacques Chirac.
Cette affaire de corruption liée au programme pétrole contre nourriture a été mise au jour en France dans le cadre d’une instruction, ouverte en 2002 et menée par le juge Philippe Courroye, sur des abus de biens sociaux au sein du groupe pétrolier français Total. Le magistrat a découvert qu’une caisse noire servait à payer des commissions à des responsables irakiens pour permettre à la société d’accéder au pétrole, dont la vente était en principe autorisée uniquement dans le cadre du programme pétrole contre nourriture puisque le pays était soumis à un embargo depuis sa tentative d’invasion du Koweit, en 1990.
Dix milliards de dollars détournés
Face à la dégradation des conditions de vie de la population à la suite de la mise en place du blocus contre l’Irak, l’ONU avait adopté ce programme comme une mesure «temporaire destinée à couvrir les besoins humanitaires du peuple». Il s’agissait de permettre à l’Irak d’exporter du pétrole pour pouvoir acheter des produits de première nécessité dans des conditions en principe très strictes. Le prix du baril et les quantités exportables étaient fixés par l’ONU, qui était chargée de faire en sorte que l’utilisation des revenus du pétrole soit conforme aux objectifs.
Dans la pratique, ce système a très vite été contourné et le gouvernement irakien a réussi à détourner environ dix milliards de dollars. Le pouvoir de Bagdad a réalisé des surfacturations auprès des sociétés autorisées à commercer avec lui de manière à garder une partie des fonds. Il a aussi distribué des «bons d’achat» à des intermédiaires chargés de les vendre aux groupes pétroliers avec une marge significative et de leur reverser une commission. Certains de ces intermédiaires ont ainsi empoché des sommes importantes (plusieurs centaines de milliers d’euros) en faisant rétribuer leurs services par une somme forfaitaire sur chaque baril vendu.
Le scandale a été découvert en 2003 et a déjà éclaboussé l’ONU qui était censée vérifier la bonne marche du programme. Un rapport interne des Nations unies et un autre des Etats-Unis ont mis en évidence les disfonctionnements au sein de l’organisation et l’implication de responsables de l’ONU ou de certaines personnalités, parmi lesquelles le propre fils de Kofi Annan, Kojo. Un journal irakien a même dressé une liste de 270 personnes originaires de 40 pays qui auraient participé à ces détournements.
L’image du Quai d’Orsay
Dans ce contexte, l'inculpation de Jean-Bernard Mérimée (68 ans), ancien ambassadeur à Londres, à Rabat, à l’ONU et à Rome, a de quoi contrarier le Quai d’Orsay. D’autant qu’un autre diplomate français de haut rang, Serge Boidevaix (77 ans), a déjà été mis en examen dans cette même affaire. Le ministère des Affaires étrangères a d’ailleurs réagi dès avant l'annonce de la décision du juge qui avait placé Jean-Bernard Mérimée en garde à vue lundi 10 octobre. Le porte-parole du Quai, Jean-Baptiste Mattéi, a indiqué dans l'espoir de déouaner son institution, que les deux ambassadeurs «font l’objet d’une procédure judiciaire au titre de leurs activités privées, engagées après leur départ à la retraite». Il a même précisé que, dès 2001, le ministère leur avait signalé «la nécessité de veiller à ce que leurs activités n’engagent qu’eux-mêmes».
Même si les faits reprochés aux deux anciens diplomates ont eu lieu alors qu’ils n’étaient plus en poste, cette affaire ne pourra pas manquer de ternir la réputation du Quai d’Orsay et l’image de la diplomatie française. D’autant que c’est grâce aux contacts noués durant leurs activités diplomatiques que les deux hommes ont pu, par la suite, monnayer leurs services. Elle risque aussi de faire resurgir la polémique sur les liens de la France avec le régime de Saddam Hussein et l’existence d’une nébuleuse d’intérêts entre les deux pays.
par Valérie Gas
Article publié le 12/10/2005 Dernière mise à jour le 12/10/2005 à 18:53 TU