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Pétrole contre nourriture : des têtes tombent

La commission indépendante d'enquête sur le programme «pétrole contre nourriture» en Irak a mis en cause jeudi son directeur, Benon Sevan (photo).(Photo : AFP)
La commission indépendante d'enquête sur le programme «pétrole contre nourriture» en Irak a mis en cause jeudi son directeur, Benon Sevan (photo).
(Photo : AFP)
Paul Volcker, l’ancien patron de la réserve fédérale américaine a remis un premier rapport sur l’affaire du programme irakien pétrole contre nourriture. Il accuse le patron du programme, Benon Sevan, d’avoir « gravement porté atteinte à l’intégrité de l’ONU ». Son enquête ne relève toutefois aucun détournement systématique de l’argent du pétrole irakien.

De notre correspondant à New York (Nations unies)

Le rapport était attendu avec anxiété à l’ONU. Il marque au fer rouge Benon Sevan, un fonctionnaire de carrière qui a travaillé 40 ans au service de l’ONU, dont une bonne partie dans certaines des régions les plus dangereuses de la planète. En 1997, il a été nommé à la tête du programme pétrole contre nourriture. Chypriote de nationalité, personnage haut en couleur, il est alors l’ami de bon nombre de hauts responsables onusiens. Aujourd’hui, il est accusé d’avoir « gravement porté atteinte à l’intégrité de l’ONU » en servant à plusieurs reprises d’intermédiaire entre le régime de Saddam Hussein, qui voulait entrer dans ses bonnes grâces, et l’AMEP, une compagnie pétrolière dirigée par Fakhry Abdelnour, qui se trouve être un cousin de Boutros Boutros-Ghali, l’ancien secrétaire général de l’ONU.

Selon le rapport – une enquête qui mobilise plus de 60 enquêteurs et coûte près de 30 millions de dollars – Benon Sevan a demandé en juin 1998 au ministre du Pétrole Amer Rachid et à un diplomate irakien à l’ONU d’accorder une allocation de pétrole à l’AMEP, qui a ainsi pu acheter 1,8 millions de barils qu’elle a revendus avant même d’en prendre physiquement possession. Gain net : 300 000 dollars.

A plusieurs reprises, l’opération a été répétée, souvent à l’occasion de voyages de Benon Sevan en Irak. Au total, ces transactions ont permis à l’AMEP de gagner près d’un million et demi de dollars. Interrogé par les enquêteurs, Bennon Sevan a d’abord nié en bloc. Il n’avait rencontré Fakhry Abdelnour qu’une fois, lors d’un sommet de l’OPEP, affirmait-il. Mais en fouillant le bureau de Bennon Sevan à l’ONU, les enquêteurs ont trouvé deux cartes de visite de l’homme d’affaire. Sur son ordinateur figuraient de nombreux numéros de téléphone pour le joindre, et plusieurs appels vers le portable de M. Abdelnour avaient été composé des téléphones de Benon Sevan. Confronté à ces preuves, le fonctionnaire onusien a admis avoir développé une relation amicale avec les personnage. « J’ai fini par bien aimer ce type. Vous savez, c’est un personnage intéressant, il a fait le tour du monde », a-t-il dit aux enquêteurs. Un certain Fred Nadler, beau-frère de Boutros Boutros-Ghali, aurait également servi d’intermédiaire entre les deux hommes.

Benon Sevan a-t-il été payé pour ses services ?

La question est : Bennon Sevan a-t-il été payé pour ses services d’intermédiaire ? Y a-t-il corruption ? Les enquêteurs n’en ont pas la preuve. Mais Benon Sevan a admis avoir reçu en liquide 160 000 dollars en quatre versements – cadeau d’une vieille tante dit-il. Une tante qui selon les enquêteurs vivait modestement à Chypre, et dont rien n’indique qu’elle disposait d’une fortune personnelle. Cette tante est décédée en tombant dans une cage d’ascenseur peu après l’ouverture de l’enquête – un accident selon la police. Par l’intermédiaire de son avocat, Benon Sevan nie avoir touché le moindre centime et affirme être un bouc émissaire. Mais l’enquête n’est pas terminée. Reste que le rapport peut déjà conclure que les activités de M. Sevan présentaient « un grave conflit d’intérêt », contrevenant à l’éthique et compromettant la réputation de l’ONU.

En avril 2004, Kofi Annan avait demandé à l’ancien patron de la réserve fédérale américaine Paul Volcker de diriger cette mission d’enquête pour faire toute la lumière sur le programme pétrole contre nourriture, qui avant la guerre en Irak permettait au régime de Saddam Hussein de vendre du pétrole, dont l’argent était déposé sur un compte séquestre de l’ONU qui permettait à Bagdad d’acheter des biens humanitaires. Depuis maintenant près d’un an, les Nations unies sont la cible d’attaques, principalement des milieux conservateurs américains, accusant l’organisation de corruption et d’une gestion déplorable qui aurait permis à Saddam Hussein de détourner des milliards de dollars à son profit. Le rapport préliminaire présenté hier ne dépeint pas un tableau si sombre du programme. D’une manière générale, estime le rapport, l’ONU a plutôt géré correctement l’argent du pétrole irakien (70 milliards de dollars au total), en le dépensant pour l’achat de biens humanitaires.

D’autres problèmes préoccupants sont toutefois soulignés. Le processus d’audit manquait de transparence. Il apparaît aussi que des marchés ont été accordés sur des critères plus politiques que financiers. Ainsi, la Banque nationale de Paris (BNP) l’a emporté sur le Crédit suisse, pourtant plus compétitif, pour gérer les milliards de dollars du compte séquestre de l’ONU. « Pourquoi ? », demandent les enquêteurs. A l’époque, l’ambassadeur de France à l’ONU avait rencontré Boutros Boutros-Ghali pour lui suggérer des noms de banques françaises « acceptables » pour les Irakiens. Les États-Unis, eux, ne voulaient pas d’une banque suisse par peur de manque de transparence et parce que Saddam Hussein avait déjà des comptes en Suisse. Au bout du compte, le secrétaire général de l’ONU aurait choisi la BNP à la demande des Irakiens. Les enquêteurs ne reprochent toutefois rien à la France – sur un autre marché, la compagnie britannique Lloyd a été choisie, alors que l’entreprise française Véritas était beaucoup moins chère – mais ils dénoncent le manque de transparence et d’équité des passations de marché par l’ONU, qui devraient se faire en fonction de l’intérêt de l’organisation et non de ses États membres.

Kofi Annan s’est dit « choqué » par les résultats de l’enquête et a immédiatement annoncé qu’il prenait des mesures disciplinaires contre Benon Sevan et un autre fonctionnaire onusien. Il se dit prêt à lever leur immunité diplomatique en cas de poursuites par la justice américaine ou la justice d’un autre pays. Mais lui-même n’est pas tiré d’affaire. Son fils, Kojo Annan, a été longtemps payé par la Cotecna, une entreprise suisse qui bénéficiait du programme. Y a-t-il eu conflit d’intérêt ? Ceci fera l’objet d’un nouveau rapport, mais plusieurs parlementaires américains ont déjà réclamé la démission de Kofi Annan.


par Philippe  Bolopion

Article publié le 04/02/2005 Dernière mise à jour le 04/02/2005 à 09:41 TU