Pétrole contre nourriture
Kofi Annan de nouveau sur la sellette
(Photo: AFP)
L’affaire est des plus embarrassantes pour le secrétaire général des Nations unies dans la mesure où elle remet en cause les premières conclusions du rapport de la commission Volcker qui l’avaient blanchi en mars dernier des accusations de conflits d’intérêts dans l’attribution d’un contrat juteux de dix millions de dollars par an à une entreprise employant son propre fils. Le document révélé par le quotidien américain évoque en effet une rencontre fin novembre 1998 à Paris, à l’occasion du sommet de la Francophonie, entre Kofi Annan en personne et Michael Wilson, le vice-président de la société Cotecna. Dans un mémo rédigé le 4 décembre suivant, ce dernier écrivait : «nous avons eu de brèves discussions avec le SG –secrétaire général– et son entourage. Leur opinion commune est que nous devrions donner suite du mieux que nous le pourrons à la session de questions-réponses du 1/12/98 et que nous pourrions compter sur leur soutien». Michael Wilson faisait référence à une réunion qui s’est tenue à New York avec de hauts responsables de l’ONU et dont l’objectif était de sélectionner parmi trois sociétés celle qui se verrait octroyer un contrat d’inspection des biens de consommation en Irak dans le cadre du Programme contre nourriture. Un contrat que la Cotecna a remporté dix jours plus tard.
Les services du secrétaire général des Nations unies ont rapidement apporté un démenti cinglant aux révélations du New York Times. «Kofi Annan ne savait pas la Cotecna était candidate à ce contrat», a affirmé le porte-parole de l’organisation, Fred Eckhard. «Nous avons vérifié les archives du voyage auquel il est fait allusion et il n’y aucune mention d’une rencontre avec M. Wilson», a-t-il ajouté. Et d’insister : «nous avons interrogé la personne qui avait assuré la coordination de ce voyage et elle ne se souvient pas d’une telle rencontre. Nous avons parlé avec le secrétaire général, qui se trouve à Paris, et il ne s’en souvient pas non plus». Visiblement soucieux de couper court à toute nouvelle rumeur, Fred Eckhard a également tenu à préciser que dès la parution de l’article du New York Times, l’ONU avait remis tous les documents relatifs au voyage de Kofi Annan à Paris fin novembre 1998 à la commission d’enquête dirigé par Paul Volcker. Selon lui, c’est à cette commission d’enquêter plus avant si nécessaire. Le porte-parole de cette dernière, Michael Holtzman, a fait savoir que les enquêteurs allaient «examiner d’urgence ces nouvelles informations sur l’existence possible de liens entre Kofi Annan et des représentants de la Cotecna». Le New York Times avait également affirmé que le vice-président de cette société était certes un ami de Kojo Annan et qu’il était plus généralement lié à la famille du père de ce dernier, le secrétaire général des Nations unies.
De nouveaux documents remis aux enquêteurs américainsCe nouveau rebondissement devrait donner du grain à moudre au sénateur américain Norm Coleman qui préside une commission du Congrès chargé d’enquêter sur les scandales de corruption liés au programme Pétrole contre nourriture. Déjà le premier décembre dernier, il avait jeté un pavé dans la mare en réclamant la démission du secrétaire général des Nations unies coupable à ses yeux de n’avoir pas su empêcher l’un des plus grands scandales dans l’histoire de l’organisation internationale. Six mois plus tard et alors que Kofi Annan venait pourtant d’être épargné par la commission Volcker, le sénateur persistait à réclamer son départ «parce que ça s’est passé alors qu’il était aux commandes». «Kofi refuse d’assumer toute responsabilité, c’est tout simplement pitoyable», assenait-il il y a encore quelques semaines. Les révélations du New York Times ne pouvaient donc mieux tomber pour Norm Coleman qui semble déterminé à aller au bout de sa logique.
Le sénateur américain devrait également avoir accès à nouveaux documents remis par la Cotecna aux enquêteurs du Congrès. Dans un communiqué diffusé mardi, la société suisse, qui a réaffirmé avoir «toujours agi de manière appropriée et éthique dans l’appel d’offres, l’attribution et l’accomplissement» du contrat incriminé, a indiqué avoir remis aux experts américains «certains documents complémentaires pertinents».
Le scandale qui entoure le programme Pétrole contre nourriture a été révélé en janvier 2004 avec la publication par le journal irakien al-Mada d’une liste de 270 entités (politiciens, partis politiques, entreprises) ayant bénéficié des largesses du régime de Saddam Hussein qui aurait réussi à détourner plusieurs milliards de dollars de ce programme. En vigueur de 1996 à 2003 –année de l'intervention militaire américaine en Irak contre le régime de Saddam Hussein–, ce programme d’une valeur totale de 64 milliards de dollars permettait à Bagdad de vendre du pétrole et d'acheter en échange des biens de consommation courante, pour soulager les souffrances de la population alors que le pays était soumis à un embargo international.
par Mounia Daoudi
Article publié le 15/06/2005 Dernière mise à jour le 15/06/2005 à 18:44 TU