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Inde-Pakistan

La volonté de paix résiste au terrorisme

Les forces paramilitaires indiennes sont en état d'alerte après les récents attentats. Mais New Delhi s'abstient de toute accusation à l'encontre de son voisin pakistanais.Photo : AFP
Les forces paramilitaires indiennes sont en état d'alerte après les récents attentats. Mais New Delhi s'abstient de toute accusation à l'encontre de son voisin pakistanais.
Photo : AFP
En dépit de la nouvelle attaque suicide perpétrée mercredi au Cachemire indien et alors que l’enquête sur le triple attentat de samedi soir à New Delhi semble s’orienter vers les mouvements séparatistes cachemiris soutenus par le Pakistan, l’Inde fait pour l’instant preuve d’une étonnante retenue à l’égard de son voisin.

De notre correspondant à New Delhi

«La série d’attentats survenue à New Delhi n’aura aucun effet sur le processus de paix en cours entre l’Inde et le Pakistan». Dans la bouche du secrétaire d’Etat indien à l’Intérieur, Sriprakash Jaiswal, cette déclaration a de quoi surprendre. D’ordinaire, toute attaque terroriste perpétrée en Inde par des groupes islamistes installés au Pakistan a en effet pour conséquence immédiate un regain de tension entre les deux frères ennemis d’Asie du sud, puisque New Delhi accuse Islamabad de soutenir clandestinement ces mouvements radicaux qui luttent contre la présence indienne sur une partie du Cachemire. Lorsque deux d’entre eux avaient lancé un attentat-suicide contre le Parlement fédéral indien, fin 2001, les deux pays avaient ainsi frôlé une quatrième guerre.

Cette fois-ci, pourtant, la série d’explosions meurtrières qui vient de frapper New Delhi ne semble pas avoir affecté le réchauffement bilatéral en cours. Lors d’une conversation téléphonique avec le président pakistanais Pervez Musharraf, lundi, le Premier ministre, Manmohan Singh, s’est ainsi contenté de rappeler à son interlocuteur ses promesses, déjà anciennes, de s’attaquer au «terrorisme transfrontalier» visant les intérêts indiens. De son côté, Islamabad a offert son entière coopération, promettant d’agir si des ressortissants pakistanais étaient bien impliqués. Une sobriété impressionnante, loin, très loin de la rhétorique belliqueuse d’il y a quatre ans.

Pas de preuves

Pourquoi cette retenue ? D’une part, les deux parties semblent aujourd’hui déterminées à ne pas laisser les extrémistes torpiller le processus de paix qui, bien que timide, constitue la meilleure opportunité, à ce jour, de régler le différend historique qui les oppose. Pour preuve, dès le lendemain du bain de sang perpétré le week-end dernier à New Delhi - 62 morts et 210 blessés -, les deux pays annonçaient l’ouverture aux civils de la frontière non reconnue qui sépare les parties indienne et pakistanaise du Cachemire, afin de faciliter l’acheminement de l’aide aux rescapés du séisme du 8 octobre. Une mesure humanitaire, certes, mais qui constitue aussi un signe de confiance inégalé de la part de New Delhi puisque c’est précisément par cette frontière montagneuse que les combattants islamistes venus du Pakistan s’infiltrent sur son territoire.

D’autre part, l’enquête sur le triple attentat n’en est qu’à ses balbutiements, et aucune preuve formelle n’a pour l’instant été apportée quant à l’implication de groupes islamistes établis au Pakistan. Certes, la série d’explosions a été revendiquée par le Islami Inquilabi Mahaz (Groupe Révolutionnaire Islamique), que la police indienne lie aux groupes armés opérant au Cachemire. Mais cette revendication n’a, pour l’instant, pas été authentifiée. Or le groupe en question, peu connu, n’avait plus fait parler de lui depuis plus de dix ans.

Entre-temps, un processus de paix a émergé

De nombreux analystes estiment d’ailleurs qu’il pourrait, en fait, s’agir d’une couverture pour un autre groupe, le Lashkar-e-Toiba, l’un des plus actifs au Cachemire indien, considéré par beaucoup comme le seul capable d’organiser une attaque d’une telle ampleur. Problème : celui-ci a démenti tout implication, tout comme les deux autres  mouvements armés les plus importants opérant dans la province himalayenne, le Jaish-e-Mohammed et le Hizbul Mujahideen. Un détail qui mérite réflexion puisque, s’ils ne revendiquent pas forcément leurs actions, ces groupes n’avaient jusqu’ici jamais jugé utile de nier un attentat qui leur était attribué. Sans compter qu’ils n’ont pas pour habitude de s’attaquer aux civils, focalisant d’ordinaire leurs attaques sur les forces armées ou les institutions gouvernementales. En d’autres termes, rien n’est encore sûr.

Il y a encore quelques années, le manque de preuves n’aurait toutefois pas empêché les autorités indiennes d’accuser très rapidement le Pakistan. Mais entre-temps, un processus de paix a émergé, et les extrémistes hindous qui régnaient à New Delhi ont été remplacés par un gouvernement de centre-gauche nettement moins porté sur la rhétorique anti-pakistanaise. Un sang-froid pour le moins encourageant, même s’il est peut être aussi à mettre sur le compte du séisme dévastateur du 8 octobre. En l’absence de preuves, New Delhi risquerait en effet de ternir son image sur la scène internationale en lançant des accusations aveugles au moment où le Pakistan, et plus précisément le Cachemire pakistanais, traverse la pire crise humanitaire de son histoire.


par Pierre  Prakash

Article publié le 02/11/2005 Dernière mise à jour le 02/11/2005 à 15:57 TU