France
Un blâme pour le général Poncet
Photo : AFP
Le ministère français de la Défense a annoncé mercredi qu’il infligeait un blâme à l’ancien patron de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, le général Henri Poncet et à son ancien adjoint, le général Renaud de Malaussène. Sur la foi d’un rapport d’enquête dont Paris a rendu publics certains éléments, les deux généraux sont accusés d’avoir dissimulé le meurtre d’un Ivoirien, Firmin Mahé, capturé et mis à mort, le 13 mai dernier, par des militaires français, dans la région de Bangolo, dans l’Ouest ivoirien. Un adjudant-chef ainsi que le colonel Burgaud, chef du corps du groupement tactique présent sur place au moment des faits, avaient été suspendus de leurs fonctions, en même temps que le général Poncet, le 17 octobre dernier. Deux hommes «du rang» appartenant au 4ème régiment de chasseurs (Gap) sont l’objet de la même mesure «conservatoire», en attendant d’être «traduits devant un conseil d’enquête», aux côtés de leurs supérieurs.
Firmin Mahé a été «tué par étouffement par des militaires français dans un véhicule blindé entre Bangolo et Man, le 13 mai» 2005, indique un communiqué du ministère de la Défense. Le document explique, qu’à l’époque, «le commandant de la force Licorne a été informé des faits mais ne les a pas portés à la connaissance de ses autorités hiérarchiques». En conséquence, la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie inflige un blâme au général quatre étoiles ainsi qu’à son ancien adjoint, le général Malaussène. Tous deux vont être mutés. Le général Poncet doit céder le commandement bordelais de la région Terre Sud-Ouest, pour rejoindre un poste de chargé de mission à la Direction du renseignement militaire (DRM). De son côté, le général Malaussène doit lâcher la direction des troupes françaises au Kosovo.
Une décision «difficile et douloureuse»
Michèle Alliot-Marie motive cette «difficile et douloureuse» décision (sans précédent depuis la fin de la guerre d’Algérie) par «la gravité des manquements avérés, aux lois, règlements et obligations» en vigueur dans l’armée française. Une manière très politique de laver l’honneur de la Grande-Muette qui fait grincer des dents, en particulier dans les rangs des 4 000 soldats de l’opération Licorne, déployés en Côte d’Ivoire dans la zone (dite de «confiance») qui marque la ligne de cessez-le-feu entre les anciens belligérants ivoiriens .
La presse française croit savoir que Firmin Mahé, blessé dans l’accrochage avec les soldats français, a été «liquidé» dans des circonstances ignominieuses: «par étouffement», indique le communiqué ministériel, la tête placée «sans doute dans un sac en plastique serré» par un sous-officier, précise l’hebdomadaire Le Point. Ce dernier ajoute que le corps de l’Ivoirien a ensuite été «jeté dans une fosse commune par ce même sous-officier aidé par deux soldats du rang». Pour sa part, la ministre de la Défense a annoncé la comparution prochaine, devant les instances militaires françaises, de «deux militaires du rang, dont l'enquête de commandement a établi qu'ils étaient présents, avec l'adjudant-chef précédemment suspendu, dans le véhicule où a été tué Firmin Mahé».
Le communiqué du ministère de la Défense précise que Michèle Alliot-Marie «a ordonné la déclassification du rapport d'enquête de commandement et sa transmission au juge d'instruction» en charge de l’information judiciaire pour «homicide volontaire», ouverte contre X, le 17 octobre dernier, par le procureur du tribunal aux armées de Paris. Par ailleurs, le ministère établit un distinguo entre «deux niveaux de responsabilités, celui de l'implication directe ou indirecte dans l'homicide d'une part», qui constituent, comme l’a déjà dit Michèle Alliot-Marie, des «faits d'une extrême gravité» commis avec des «méthodes non conventionnelles» et qui sont passibles de sanctions disciplinaires et statutaires appropriées. Sont également incriminées, «d’autre part, la falsification des rapports et la dissimulation de l'ensemble des faits». Ces mensonges sont imputés aux gradés qui ont couvert l’affaire et, en particulier, aux généraux Poncet et Malaussène. Pour eux, l’affaire est déjà entendue. Ils sont blâmés et en instance de mutation.
Laver l’honneur de l’armée française
Ce 30 octobre, dans un entretien avec l’hebdomadaire français Le journal du dimanche, Michèle Alliot-Marie balayait d’un revers de la main toute perspective de crise de confiance entre son ministère et les hommes du contingent Licorne. «Leur action actuelle ou passée n’est nullement en cause dans cette affaire», assurait-elle, estimant de son «devoir» de «faire la lumière sur un acte très grave et ses suites, contraires aux valeurs qui sont les leurs». Depuis quinze jours, la ministre s’est en effet beaucoup réclamée du code de conduite des militaires pour étayer les remontrances faites au général Poncet et à ses co-accusés.
Les gradés concernés apprécieront sans doute leur blâme à la mesure de leur honneur terni, mais aussi de l’idée qu’ils se font de leur arbitrage sur le théâtre des opérations, pour ne pas dire de leur champ de tir. En effet, avant la capture et l’exécution sordide de Firmin Mahé, les soldats français auraient mitraillé les lieux, sans compter leurs cartouches. Ils ont finalement traité l’Ivoirien sans autre forme de procès, à l’aune de ce qu’ils l’accusaient d’être, un tueur, un violeur, un coupeur de route, ce que démentent en Côte d’Ivoire, la famille de Mahé et certains habitants de Bangolo.
par Monique Mas
Article publié le 02/11/2005 Dernière mise à jour le 02/11/2005 à 16:07 TU