Côte d'Ivoire
Michèle Alliot-Marie : «Il en va de l’image de nos armées»
(Photo: AFP)
La justice militaire française ouvre une information judiciaire contre X pour «homicide volontaire» après la suspension de ses fonctions de l’ancien commandant de l’opération Licorne, le général Poncet, pour «manquements graves à la loi, aux règlements militaires et aux ordres». La disgrâce du général quatre étoiles accompagne celle d’un sous-officier et d’un colonel, Eric Burgaud, chef de corps dans le dispositif français en Côte d’Ivoire au moment de la mort suspecte d’un Ivoirien, le 13 mai dernier. Pour expliquer la gravité de la sanction, plutôt inusitée contre un si haut gradé, un général de corps d’armée formé aux opérations spéciales et en charge de Licorne pendant une période brûlante, la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, invoque «l’image de nos armées».
La Grande Muette française n’a pas l’habitude de laver son linge sale en public. Et les tenants et les aboutissants de la suspension surprise du général Henri Poncet restent obscurs. Les faits sont en tout cas «suffisamment importants», selon la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, pour qu’elle décide, dès lundi soir 20 heures, d’user de l'article 44 du statut général des militaires «en cas de faute grave commise par un militaire». Quelques heures plus tard, la justice militaire se saisissait de l’affaire, Michèle Alliot-Marie expliquant qu’elle avait été «informée au milieu de la semaine dernière d'un certain nombre d'événements qui n'avaient pas été portés à [sa] connaissance, concernant la période de mai 2005». Le porte-parole du ministère français de la Défense, Jean-François Bureau, indique qu’il est «en particulier établi qu'il n'a pas été rendu compte à l'époque des faits aujourd'hui mis au jour». En clair, le général Poncet les aurait couverts.
Comme le rappelle le site internet du ministère de la Défense, le général Poncet commandait les forces de l’opération Licorne entre le 4 juin 2004 et le 14 juin 2005. Le 13 juillet dernier, il a été décoré par le président Jacques Chirac. Jusqu’à lundi, il était affecté au commandement de la région «Terre Sud-Ouest» et basé à Bordeaux, dans le sud-ouest de la France. Les faits qui lui sont aujourd’hui reprochés concernent la mort d’un Ivoirien, un certain Mahé, le 13 mai 2005, date à laquelle il commandait encore les forces de l’Opération Licorne.
Un «détachement de la force Licorne aurait concouru à la mort» d'un Ivoirien
Le 17 mai dernier, un communiqué du ministère de la Défense indiquait que le défunt Mahé était «connu comme le chef d'une bande de coupeurs de route recherché pour de nombreuses exactions perpétrés en avril». Il lui attribuait «au moins 5 morts, 9 blessés et 4 viols» et évoquait une traque conduite dans la région troublée de Bangolo, un village largement peuplé de Guéré (la communauté du fameux Mahé), dans l’Ouest ivoirien. «Poursuivi et se voyant cerné, il a ouvert le feu en direction des éléments de la force Licorne», disait le communiqué, soulignant que, «en état de légitime défense, les soldats français ont riposté». «Blessé très grièvement, le suspect a été arrêté», poursuivait le texte avant de conclure: il «est mort des suites de ses blessures pendant son transfert au CHU de Man», la métropole régionale sous contrôle rebelle.
Une sanction plus tard, le ministère français de la Défense reprend seulement dans ce communiqué officiel du 17 mai la thèse d’un Ivoirien qui «avait commis à plusieurs reprises des crimes sur les populations civiles» et qui avait été «appréhendé par des militaires français». Pour le reste, il reproche aujourd’hui au général Poncet d’avoir déformé la réalité. Selon la nouvelle version de la mort de l’Ivoirien dont le tribunal aux armées de Paris (TAP) a été saisi, sur dénonciation, un «détachement de la force Licorne aurait concouru à sa mort, soit en ne lui portant pas assistance, soit par une action plus directe».
La procédure de dénonciation impose à la justice militaire de retenir la charge la plus lourde, en l’occurrence l’accusation d’homicide volontaire, à charge pour le tribunal de tirer l’affaire au clair sous quatre mois et de prononcer éventuellement une sanction appropriée, qui peut être inférieure à la suspension. En cas d’innocence, il peut, bien sûr, rétablir le général Poncet «dans un emploi de son grade». Toujours est-il qu’en prenant la décision - sans précédent - de sanctionner l’ancien patron de Licorne, la ministre de la Défense a aussi manifesté une volonté de transparence fracassante qui interroge.
«Le général Poncet est un militaire de grande valeur, que j'ai soutenu en novembre 2004 au moment où la Côte d'Ivoire vivait ses moments les plus dramatiques», assure Michèle Alliot-Marie. Mais, dit-elle, «il est de mon devoir lorsqu'il y a des manquements de prendre des mesures. Il en va de l'image de nos armées». Celle-ci a en effet souffert de «bavures» plus ou moins brièvement mises sur la place publique, la mort d’un enfant ou d’un jardinier, par exemple, des attaques de banque à répétition aussi, en particulier à Man, où en septembre 2004, une douzaine de soldats français avaient été pris la main dans le sac d’une succursale de la Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest qu’ils avaient mission de surveiller. La hiérarchie militaire avait alors fait «son devoir» et des mesures disciplinaires avaient suivi.
Des crimes de guerre passibles de la justice internationale
La région de Man et de Bangolo, où est mort Mahé, et, plus largement, le Centre-Ouest ivoirien, sont une zone de très hautes turbulences traversées par la zone de confiance qui sépare loyalistes et ex-rebelles. L’axe Duékoué-Logoualé-Man, en particulier, a enregistré entre avril et mai 2005 des attaques meurtrières qui ont chassé des milliers de villageois guéré et engendré des représailles le mois suivant, comme s’en inquiète le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, dans son rapport du 17 juin 2005. Les exactions en tous genres commises dans cette région intéressent aussi le président du comité des sanctions des Nations unies pour la Côte d'Ivoire, le diplomate grec, Adamantios Vassilakis, arrivé mardi soir à Abidjan pour une visite de trois jours, au cours de laquelle il doit évaluer l’opportunité de rappeler à l’ordre l’un ou l’autre des anciens belligérants. Exactions ou crimes de guerre peuvent également être passibles de la justice internationale, s’ils sont le fait d’un quelconque représentant des «forces impartiales» déployées en Côte d’Ivoire.
La présomption d’innocence est due au général Poncet comme à n’importe quel militaire ou civil. Il n’empêche que ce Saint-Cyrien de terrain, engagé au Liban ou au Kosovo, commandant des opérations spéciales (Cos) en février 2001 et habitué des bourbiers africains (celui du Rwanda, en 1994) ne sort pas indemne de celui de la Côte d’Ivoire. Et cela, même si, pour l’heure, il n’est pas question d’images montrant des hélicoptères français mitraillant les ponts sur la lagune d’Abidjan, ni de celles des corps effondrés ou même de la tête de femme éclatée, par un tir visiblement tendu, au pied de l’Hôtel Ivoire, en novembre 2004.
«Devant l'Hôtel Ivoire, le pouvoir a voulu provoquer un bain de sang... Nous n'étions pas dans une configuration type quartier Latin-mai 68, mais nous étions confrontés à de véritables opérations militaires», assurait alors, au Figaro, le commandant de l’opération Licorne, le général Poncet. Mais aujourd’hui, il est seulement question d’un certain Mahé présenté comme un malandrin de la brousse ivoirienne et qui serait mort, si l’on comprend bien, de ce que les tribunaux internationaux appelle une «exécution extrajudiciaire».
par Monique Mas
Article publié le 19/10/2005 Dernière mise à jour le 20/10/2005 à 11:35 TU