Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Environnement

Exploiter la forêt pour la préserver

La forêt de chênes-lièges de la plaine des Maures se trouve entre Toulon et Nice.DR
La forêt de chênes-lièges de la plaine des Maures se trouve entre Toulon et Nice.
DR
Le WWF, organisation mondiale de protection de la nature, et Tetra Pak, leader mondial de l’emballage alimentaire en carton, s’associent pour protéger la Plaine des Maures, située dans le massif des Maures, au sud-est de la France. Tout autour de la Méditerranée, on parle surtout de la forêt lorsqu’elle brûle en été. Pourtant, la préservation est une histoire au long cours. Pour concrétiser leur projet, les deux partenaires se lancent dans une politique foncière d’acquisition de parcelles dans une région, le sud-est de la France, sous pression.

De notre envoyée spéciale dans la Plaine des Maures

La forêt est l’une des priorités du WWF. L’organisation écologiste souhaite que 10% des forêts de la planète soient protégés, aussi bien la forêt tropicale d’Amazonie que la taïga russe ou encore la forêt tempérée de Méditerranée. Comme l’organisation écologiste a une notoriété mondiale, elle attire les mécènes. Le plus souvent, il s’agit d’entreprises d’envergure internationale, cherchant à «rendre» à la planète ce qu’elles lui ont «pris», par leur activité. «Trois pour cent des recettes mondiales du WWF viennent des entreprises», indique Cédric du Monceau, directeur général du WWF France. «Un chiffre qui monte à 23% en France parce qu’il y a peu de donateurs (particuliers)», précise le numéro deux de l’antenne française de l’organisation.

Le WWF et Tetra Pak, qui a souhaité s’engager pour quelques années dans le programme forêt de l’organisation écologiste, ont donc décidé d’acheter des terrains dans la Plaine des Maures. L’endroit fut l’objet d’une polémique en 1993. Michelin annonçait alors son intention de réaliser, dans cette zone tranquille, à la biodiversité méditerranéenne exceptionnelle, une piste d’essais, pour mettre au point ses nouveaux pneus. Devant le tollé général, le fabriquant français de pneumatiques avait abandonné son projet. Pour éviter toute mainmise sur le site et régler le problème une fois pour toutes, l’Etat avait alors donné une autorisation inédite au Conservatoire du littoral dont la mission est d’acheter des caps, des plages, pour les préserver de toute tentative d’urbanisation : l’organisme étatique achetait cette parcelle, non située en bord de mer, pour la protéger.

Une stratégie foncière

Les terrains de la Plaine des Maures que le WWF est en train d’acheter avec l’aide financière de Tetra Pak jouxtent cette parcelle appartenant au Conservatoire du Littoral. Le but de cette politique foncière, c’est d’avoir une surface protégée assez grande pour en étudier la biodiversité, notamment les plantes. Ces terrains vont devenir un site d’étude pilote, et son évaluation tout à la fois écologique et économique suivra.

La caractéristique du massif des Maures, comme d’ailleurs de l’ensemble de la forêt française, est d’appartenir à une multitude de petits propriétaires qui, en général, ne savent que faire de ce bien dont la valeur économique est faible. A plus d’une demi heure de route du littoral, la pression touristique ne se fait pas encore sentir. Mais malgré sa richesse naturelle, la seule image de cette forêt est négative, en raison des feux qui se répètent presque chaque été. Pour les collectivités locales, la forêt est un souci supplémentaire plutôt qu’un atout, une source de dépenses pour prévenir les feux. Chaque année, les quinze départements de l’Entente Méditerranéenne doivent investir 23 millions d’euros pour lutter contre les incendies.

Jusque dans les années 1950-1960, la forêt méditerranéenne française, dont la plaine des Maures, était une zone de pâturage. Pour optimiser leur activité dans cette zone, les paysans avaient planté des châtaigniers. Leur bois servait à faire des piquets, et chaque automne, les châtaignes étaient ramassées. Parmi les autres arbres typiques de cette forêt, des pins sylvestres, des pins d’Alep et des pins maritimes. Cette dernière espèce a été décimée par des attaques de cochenilles importées de la région landaise. Des pins parasol, dont les graines servaient à faire de l’huile, restent encore dans le paysage ainsi que des arbousiers, dont le bois très dur n’a pas trouvé de débouché, ni ses fruits rouges non plus, qui auraient pu être récoltés.

La renaissance du liège

Chêne-liège en exploitation.
DR
Par le passé, l’homme avait également favorisé la pousse de chênes-liège, au détriment des chênes pubescents, ou chênes blancs, caractéristiques de cet environnement. Le liège avait de la valeur, il servait à faire des bouchons. Aujourd’hui, on en récolte encore un peu en Provence. Ce petit volume de liège part au Portugal, seul pays européen à avoir encore une industrie du liège avec les pays d’Afrique du nord. Le WWF réfléchit à une nouvelle valorisation des produits forestiers, il voudrait que le liège retrouve sa place dans l’économie locale, avec de nouvelles applications à haute valeur ajoutée comme par exemple la fabrication de tissu à partir de cette fibre naturelle. Pour ce produit renouvelable, l’organisation écologiste a l’ambition, comme elle l’a fait pour le bois de certaines forêts, de parvenir à l’éco-certification. Le parcours vers la traçabilité du liège provençal sera compliqué car les petits propriétaires forestiers n’ont guère envie de se confronter à une nouvelle réglementation. Reste, de plus, la concurrence du plastique.  

Comme toute forêt proche d’une zone urbanisée, la forêt méditerranéenne offre des activités récréatives liées aux loisirs. Comme les autres massifs, cette forêt préserve la ressource en eau, elle la retient dans son sous-sol. Le ruissellement des eaux est d’autant réduit, ainsi que l’érosion. Les sols sont maintenus. Les élus le regrettent certainement lorsqu’ils font leurs comptes, mais les économistes n’ont pas encore donné de valeur marchande à toutes ces fonctions, qu’elles soient écologiques, ou non. A une époque où toute activité est évaluée en fonction de sa valeur monétaire, les spécialistes du WWF avancent une estimation. A eux seuls, le bois et la chasse représentent 30% de la valeur économique de cette forêt méditerranéenne.  

Pour ce qui est de la faune et de la flore sauvages, le massif des Maures possède 4 à 5 000 espèces. Elles ne sont pas toutes connues même si les scientifiques ont répertorié 17 espèces de cigales en forêt méditerranéenne. La tortue d’Hermann est l’emblème de ce massif des Maures, mais l’espèce est très menacée. Elle a totalement disparu du reste de la Méditerranée.

Tetra Pak et la forêt

Suite à un diagnostic de l’ensemble des forêts du bassin méditerranéen effectué en 2000-2001, le WWF a repéré environ 300 sites remarquables dans cette région du monde. Les experts de l’organisation écologiste ont travaillé avec la Turquie notamment pour créer un parc naturel. Et en France, le WWF a décidé de s’investir sur plusieurs sites méditerranéens, notamment dans les Pyrénées-Orientales, dans le Mercantour, et dans le massif des Maures. Ici, le WWF travaille en partenariat avec une organisation régionale, le Conservatoire des espaces de Provence. Lui aussi, à l’aide de financements locaux, achète des parcelles entrant dans cet ensemble auquel s’ajoute les parcelles de forêt domaniale appartenant à l’Etat. Un îlot écologique est en formation. Les naturalistes, les scientifiques, les forestiers, les statisticiens vont l’étudier sous toutes les coutures. Les uns feront l’inventaire de sa biodiversité. Les autres estimeront son rôle de frein dans les changements climatiques. D’autres enfin soupèseront sa valeur économique.

Tetra Pak est leader mondial de la brique alimentaire en carton, donc fabriquée avec du bois. En 2004, l’entreprise suédoise a produit 111 milliards d’emballages (dont 4% en France) provenant essentiellement de forêts finlandaises et suédoises. Cinquante-trois pour cent du carton alimentaire fabriqué dans le monde par Tetra Pak sortent de forêts certifiées, c’est-à-dire dont la gestion préserve les futures ressources forestières. L’engagement de l’entreprise suédoise en faveur de l’environnement commence donc en forêt, là où on choisit les arbres qu’il faut couper. Comme l’emballage alimentaire en carton ne peut pas être recyclé pour des raisons sanitaires, Tetra Pak s’y prend autrement en réduisant petit à petit le poids de chaque brique. Aujourd’hui, elle qui contient un litre de lait pèse, vide, 28 grammes, dont 1,3 grammes d’aluminium. Cet aluminium est actuellement récupéré dans une usine brésilienne.

Yannick Richomme, PDG de Tetra Pak France, estime que sa société «a une légitimité à protéger les ressources, notamment la forêt». Il annonce par ailleurs que, étant donné «la notoriété du WWF, la crédibilité scientifique (du projet dans la Plaine des Maures), il a l’intention de «faire progresser les objectifs du WWF». En dehors des acquisitions foncières, le partenariat avec le groupe suédois a permis de financer une étude sur les lichens de cette région. Une autre suivra sur les champignons.   


par Colette  Thomas

Article publié le 07/11/2005 Dernière mise à jour le 07/11/2005 à 15:27 TU