Côte d'Ivoire
Les diamants de la guerre des Forces nouvelles
(Photo: Global Witness)
En novembre 2002, soit deux mois après la tentative de coup d’Etat, un arrêté ministériel émis à Abidjan avait interdit les exportations des diamants extraits dans les mines du Nord, c’est-à-dire dans la zone contrôlée par les ex-rebelles des Forces nouvelles. Cela n’a pas empêché la production de se poursuivre. Une enquête conduite en septembre 2005 par Global Witness indique que «les diamants extraits au nord de la Côte d’Ivoire arrivent en contrebande sur le marché international, en passant par le Mali». Ce dernier n’est pas signataire du Processus de Kimberley, à la différence de la Côte d’Ivoire et de la Guinée, où transitent également des gemmes ivoiriennes. Mais, selon Global Witness, le Mali serait «une plaque-tournante où sont achetés et vendus des diamants d’Afrique centrale et occidentale», de Sierra Leone et de Côte d’ivoire en particulier. Global Witness a notamment rencontré des «creuseurs» et des dealers maliens impliqués dans la filière ivoirienne.
Global Witness assure avoir recoupé avec succès les résultats de sa propre enquête avec ceux d’un panel d’experts des Nations unies qui vient lui aussi de remettre un rapport accablant. Celui-ci relève que la production illégale de diamants bruts au nord de la Côte d’Ivoire constitue «un revenu important pour les Forces nouvelles», qui persistent à refuser de désarmer. Selon les informations recueillies par les différentes équipes d’enquêteurs, «des dizaines de creuseurs travaillent dans les mines de diamants de trois villages du nord-ouest de la Côte d’Ivoire, Seguéla, Bobi et Diarabala, mais aussi dans la région de Tortiya».
«Dealers» maliens
Le ministre ivoirien des Mines et de l’Energie estime à quelque 25 millions de dollars annuels le possible revenu tiré de la vente des pierres. Selon un creuseur malien, reconverti en dealer et interrogé par Global Witness, des milliers de travailleurs seraient employés dans les mines ivoiriennes sous la férule des Forces nouvelles. En attente d’une livraison mensuelle en provenance de Côte d’ivoire, un autre Malien explique avoir rendez-vous avec un acheteur venu d’Italie. D’un bout à l’autre de la chaîne, de la production à l’industrie, en passant par le polissage, que leur commerce ait ou non pignon sur rue, les yeux se ferment.
Dans la sous-région ouest-africaine, le réseau passe aussi par Conakry, où Global Witness a rencontré des «grossistes» qui évoquent des arrivages plus ou moins réguliers de diamants ivoiriens. Un autre commerçant, interrogé en Sierra Leone, rapporte que des acheteurs négocient au Liberia des diamants produits en Côte d’Ivoire. Bref, la Côte d’Ivoire est une passoire à diamants et les membres du Processus de Kimberley peinent à trouver la riposte. Il est vrai que celle-ci exige une volonté politique sans faille des autorités politiques des pays concernés.
Boycotter les trafiquants implique en outre un souci de transparence, voire un certain esprit de renoncement, de la part des industriels du diamant qui se sont engagés, en 2000, à l’initiative des Nations unies à éviter les «diamants du sang», monnaie d’échange des trafiquants d’armes, en particulier en Afrique. En 2003, ils ont promis la fin des trafics avec leur mise au point d’un système de certification, assorti d’un suivi des diamants (depuis les mines, jusqu’aux ateliers de polissage). Mais force est de constater que l’appât des pierres a été plus fort.
Pour leur part, les autorités maliennes et en particulier les douanes maliennes n’ont aucun chiffre à fournir sur le volume des gemmes qui passent de poche en poche sur leur territoire. Officiellement, le Mali n’a lui-même produit qu’une toute petite poignée de «78 diamants découverts depuis 1955, parmi lesquels trois pierres de plus de 100 carats». Brut ou taillé, le diamant est absent des statistiques nationales de 2003 et 2004, avec toutefois quelque 5,7 millions de dollars de diamants «maliens» en 2000 (et 2,2 millions en 2002), inscrits aux registres des importateurs de Belgique, fief du commerce diamantaire international.
Global Witness recommande l’envoi d’un expert du Processus de Kimberley avant l’adhésion annoncée du Mali. Faute de quoi, selon les enquêteurs, les diamants estampillés Mali seront en réalité des produits de contrebande. «A défaut d’un système de contrôle national étroit, le Mali a le potentiel nécessaire pour blanchir les diamants de la guerre et alimenter l’instabilité en Afrique de l’Ouest», écrivent-ils.
Criminalité internationale
Alertée par un précédent rapport de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci), chargée de veiller à ce que les ex-belligérants ne réarment pas, la direction du Processus de Kimberley avait adressé une mise en garde à ses membres, en octobre dernier. Aujourd’hui, elle relève, à Moscou, «avec beaucoup d'inquiétude, qu'une importante production illicite de diamants continue à Bobi, Séguéla et Tortiya», en Côte d’Ivoire. La direction de Kimberley demande à ses membres de collaborer avec le comité des sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU sur la Côte d'Ivoire. Global Witness estime pour sa part qu’il faut passer au plus vite de la menace à la sanction effective contre les industriels qui continueraient à tirer profit des diamants de la guerre. Reste à les confondre.
Concernant la Côte d’Ivoire, Global Witness demande à chacun des pays voisins de vérifier l’origine des pierres qui se négocient sur leurs territoires respectifs, d’identifier les filières et d’agir pour fermer le robinet qui alimente le marché en diamants frauduleux. Nul doute en effet que celui-ci irrigue les caisses de seigneurs de la guerre locaux ou plus excentrés. Mais les diamants de la guerre font surtout les choux gras de la grande criminalité internationale, trafiquants d’armes et même terroristes. De précédentes enquêtes ont en effet dénoncé la présence d’agents d’al-Qaïda dans différents trafics de diamants ouest-africains.
par Monique Mas
Article publié le 17/11/2005 Dernière mise à jour le 17/11/2005 à 17:09 TU