Irak–Etats-Unis
Une «désinformation» organisée
(Photo: AFP)
Dans le jargon journalistique, on appelle cela un «publi-reportage». Il s’agit d’un message publicitaire qui ressemble à un reportage. Il peut être commandé et payé par une entreprise, une institution, une personne, un gouvernement… La déontologie des journalistes oblige de préciser clairement qu’il ne s’agit pas d’un vrai reportage, d’où la mention obligatoirement apposée: «publi-reportage». Dans le cas des médias irakiens, cette mention n’apparaît nulle part. Et pourtant, il s’agit bien d’articles qui ont été payés.
Ce scandale a été rapporté par des journalistes américains et confirmé en Irak. «Les soldats américains nous demandaient de venir avec eux visiter des projets de reconstruction ou des opérations d’aide humanitaire, raconte ainsi une journaliste irakienne, sous couvert d’anonymat. Puis ils nous demandaient d’écrire des articles positifs, en contrepartie d’une petite somme qui ne dépassait pas les 50 dollars». La somme pouvait être plus élevée si une photo accompagnait l’article. Le quotidien américain Los Angeles Times affirme même que les articles étaient parfois rédigés directement par les soldats américains, et traduits ensuite en arabe par les journalistes. Ces articles vantent le travail des Américains dans la reconstruction de l’Irak, et dénoncent les actions des insurgés. Point central du système: le Club de la presse de Bagdad. Cette structure a été créée il y a plus d’un an par des officiers américains. D’après la presse américaine qui révèle cette affaire, ce Club de la presse permettait ainsi d’avoir un contact direct avec des journalistes locaux. Si au départ, il s’agit de faciliter l’accès aux informations, il semble que le système ait parfois dérivé vers des pratiques beaucoup moins respectables, aux yeux des professionnels de l’information. «C’est un scandale que les Américains aient recours à de tels stratagèmes, explique Ahmad Sabri, consultant pour plusieurs chaînes de télévision arabes. Des stratagèmes totalement contraires aux principes de ce métier et qui trompe l’opinion publique». Et de qualifier les articles incriminées de «publicité» pour l’armée américaine.
Washington ne dément pas
Ces révélations émanant de la presse américaine ont été confirmées en Irak, par plusieurs journalistes. Certains reconnaissent avoir profités du système de «désinformation» organisée, puis l’avoir délaissé au bout de quelques mois, au nom de principes déontologiques. D’autres journalistes avouent que ces pratiques étaient connues dans le milieu des médias. Pour autant, cette affaire ne semble pas faire beaucoup de vagues.
En revanche, l’histoire connaît un retentissement beaucoup plus important aux Etats-Unis. La Maison Blanche s’est dite «très préoccupée». Scott McClellan, le porte-parole, cachait sa gêne en rappelant que «les Etats-Unis sont pilotes pour promouvoir et défendre la liberté et l’indépendance de la presse dans le monde et le resterons». L’opposition démocrate trouve là, évidemment, un nouveau motif d’attaquer l’administration républicaine au pouvoir. «Si les Américains étaient réellement accueillis comme des libérateurs en Irak, lance le sénateur Edward Kennedy, nous n’aurions pas besoin de trafiquer l’information pour les Irakiens».
Pour sa part, l’armée américaine n’a pas démenti ces accusations. Au contraire, elle estime que son rôle est de contrer les «mensonges» diffusés par les militants d’Al-Qaïda. «Nous ne mentons pas, nous n’avons pas besoin de mentir, nous autorisons nos commandants sur le terrain à être en mesure d’informer le public irakien», affirme le général Rick Lynch, porte-parole militaire, interrogé par l’AFP. Autre justification, celle avancée par M.Warner, président de la commission de la Défense du Sénat américain : «Il y a de la désinformation dans ce pays (en Irak), qui porte atteinte à l’efficacité de ce que nous faisons, à ce pour quoi nos militaires se battent et meurent. Et par conséquent, nous n’avons pas d’autre solution que d’essayer de faire sortir la vérité et les faits».
Les représentants démocrates à Washington ont réclamé une enquête de la part de l’inspecteur général du Pentagone (ministère de la Défense).
par Olivier Péguy
Article publié le 03/12/2005 Dernière mise à jour le 03/12/2005 à 17:43 TU