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Politique française

Tollé autour de la «colonisation positive»

Manifestation, à Fort-de-France (Martinique), à l'appel du «Collectif martiniquais pour l'abrogation de la loi de la honte».(Photo : AFP)
Manifestation, à Fort-de-France (Martinique), à l'appel du «Collectif martiniquais pour l'abrogation de la loi de la honte».
(Photo : AFP)
Dominique de Villepin a implicitement condamné l’article de loi qui souligne «le rôle positif» de la colonisation française. Il n’appartient pas au Parlement «d’écrire l’Histoire», a encore déclaré jeudi matin, le chef du gouvernement français. Léon Bertrand, ministre du Tourisme et élu de Guyane, est le premier membre du gouvernement à demander l’abrogation de l’article de loi controversé. Aux Antilles, on manifeste.

Un millier de personnes ont manifesté à Fort-de-France, chef-lieu de la Martinique, pour réclamer l’abrogation de la loi française sur la colonisation. Ces Martiniquais répondaient à un appel lancé par plusieurs collectifs d’élus, de syndicalistes, d’associations. Tous voulaient dénoncer la loi du 23 février 2005, dont l’article IV stipule que «les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord».

Au départ, la manifestation avait pour but de protester contre la venue de Nicolas Sarkozy, qui n’a pas condamné le contenu de cet amendement bien au contraire, puisque c’est le parti dont il est président, l’UMP, qui en est à l’origine. Le 29 novembre dernier, malgré les remous provoqués par le contenu de cet article, l’UMP avait même confirmé son existence et son contenu sur la colonisation, à l’occasion d’un nouveau vote parlementaire. Depuis, le ministre de l’Intérieur a décidé de reporter sa visite dans les Caraïbes.

A Fort-de-France, les organisateurs ont donc maintenu la manifestation. Ils voulaient faire pression sur le gouvernement pour obtenir le retrait de l’amendement controversé, inséré dans une loi plus générale sur les rapatriés et les harkis. Dans le défilé en Martinique, de nombreux élus, dont le président indépendantiste de la région, Alfred Marie-Jeanne, s’en sont pris au ministre de l’Intérieur : «Monsieur Sarkozy doit se reprendre. Nous n’avons jamais demandé de réparation. Nous demandons simplement du respect par rapport à ses propos outranciers et racistes», a déclaré le fondateur du mouvement indépendantiste martiniquais. «Il faut qu’il sache que l’avenir de la Martinique ne passe pas par la soumission», a-t-il encore déclaré.

Une pétition a également été lancée en Martinique pour obtenir l’abrogation de l’article incriminé. En Guadeloupe, un meeting s’est aussi déroulé, auquel ont assisté environ 300 personnes, toujours pour demander le retrait de cet amendement.

Le vote des Antillais

Léon Bertrand, ministre du Tourisme et élu de Guyane, est le premier membre du gouvernement Villepin à demander la suppression de cet article très controversé. Au cours d’une conférence de presse à Paris, Léon Bertrand a demandé aux dirigeants de l’UMP, le parti gouvernemental, «de revenir sur l’article» de la loi reconnaissant le «rôle positif» de la colonisation française. «Le fait historique se suffit à lui-même», a expliqué Léon Bertrand. «Je réprouve effectivement le mot positif ajouté à cet article de loi».

Même si quasiment deux Français sur trois sont d’accord avec cette idée des bienfaits de la colonisation française, - un sondage publié il y a quelques jours l’a démontré -, les analystes politiques estiment que le gouvernement ne pourra pas en rester là. La présidentielle 2007 approche, et la droite au pouvoir ne peut prendre le risque de s’aliéner le vote des Antillais, un vote déterminant en cas de scrutin serré. De plus, le suffrage des Martiniquais et Guadeloupéens compte beaucoup car ils ont la réputation d’être attachés au suffrage universel.

François Baroin, ministre de l’Outre-mer, est lui aussi entré dans la controverse indiquant que cette loi n’a «pas de valeur normative», et même «pas d’impact». Elle a pourtant provoqué un tollé chez les historiens, une polémique entre Paris et Alger, et une flambée de colère en Guyane et aux Antilles. Aimé Césaire, écrivain reconnu et personnalité respectée, avait donné le coup de grâce à la visite de Sarkozy, annonçant qu’il ne recevrait pas le ministre de l’Intérieur.

Le Premier ministre demande l’apaisement

Jeudi matin, Dominique de Villepin, le Premier ministre, a remis en question le fameux amendement de la loi du 23 février 2005, déclarant : «ce n’est pas aux politiques, ce n’est pas au Parlement d’écrire l’histoire ou de dire la mémoire. Il n’y a pas d’histoire officielle en France… J’ai écouté Aimé Césaire, Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau. Il y a beaucoup d’amis parmi ceux-là. Ce qu’ils disent, c’est qu’il y a des souffrances qu’il faut prendre en compte, qu’il faut écouter. Il y a des mots qui peuvent blesser, il y a une histoire dont il faut se souvenir», a-t-il encore déclaré.

Il faut «un temps d’apaisement, un temps de dialogue, que des gestes soient faits qui permettent véritablement d’avancer tous ensemble», a encore déclaré le chef du gouvernement français, sans cependant se prononcer sur une éventuelle abrogation de l’article de loi en question. Dominique de Villepin a tempéré la portée de cet amendement en rappelant qu’il revient à «l’inspection générale de l’Education nationale de faire les programmes. Et les enseignants sont libres, dans le cadre de ces programmes, de leur enseignement».

«Regarder notre histoire en face, surtout les questions qui dérangent», a encore insisté le Premier ministre français. Mercredi soir, le ministre de l’Intérieur appelait à «cesser avec la repentance permanente», Dominique de Villepin, lui, a déclaré que «la repentance ne doit pas être un exercice en soi».

François Hollande, le premier secrétaire du Parti socialiste, a demandé au Premier ministre d’abroger avant la fin de l’année le texte de loi qui reconnaît «le rôle positif» de la colonisation française en outre-mer. Pour le leader du principal parti d’opposition, Dominique de Villepin a «désavoué implicitement son propre gouvernement et la majorité UMP» en déclarant que «ce n’est pas au Parlement d’écrire l’Histoire».

De son côté Ségolène Royal, députée socialiste des Deux-Sèvres, a demandé l’abrogation de la «loi révisionniste sur la colonisation qui heurte toutes celles et ceux pour qui l’adhésion à la France ne peut s’inspirer que des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, bafouées en son temps par le colonialisme». Dans cette lettre ouverte au ministre de l’Intérieur, Ségolène Royal, candidate potentielle à la candidature présidentielle, a rappellé «la réalité de l’esclavage, du travail forcé et de la sujétion coloniale ainsi que l’engagement en masse des Antillais dans le combat pour la libération de la France».

Qu’il s’agisse des autorités algériennes ou de la France d’outre-mer, on s’est insurgé contre «la loi de la honte». Depuis février dernier, époque à la laquelle l’amendement fut adopté, il y a eu la crise des banlieues. Les mots «racailles, voyous», l’expression «nettoyer au Kärcher», ont été prononcés par Nicolas Sarkozy. Ces mots-là, eux aussi, ont été mal perçus dans les départements français d’Outre-mer. 


par Colette  Thomas

Article publié le 08/12/2005 Dernière mise à jour le 08/12/2005 à 17:03 TU